Canoë Kayak : les problèmes d'affluence pour la descente de l'Ardèche

09 août 1977
08m 04s
Réf. 00465

Notice

Résumé :

La descente de l'Ardèche devient victime de son succès. L'affluence des touristes entraîne des difficultés au niveau de la sécurité mais aussi de la propreté du lieu.

Date de diffusion :
09 août 1977
Source :

Éclairage

Une vue aérienne suit le cours de l'Ardèche au fond d'une gorge d'où s'élancent de hautes falaises couvertes de végétation : c'est ainsi que s'ouvre le reportage que France Régions 3 Lyon consacre en août 1977 aux problèmes de saturation touristique liés à la multiplication des « descentes » de la rivière pendant la période estivale. Les images s'attardent alors plus longuement sur des scènes de vacanciers pêchant, se baignant et, surtout, naviguant en canoë, en kayak, en barque ou encore dans des bateaux pneumatiques. Le montage conjugue l'offre et la demande de façon équilibrée en alternant les séquences sur des pratiquants et divers professionnels, loueurs d'embarcations et moniteurs. Le reportage s'achève sur un zoom arrière allant de la rivière vers le haut des gorges, où les hommes, dans leur bateau, disparaissent progressivement au profit d'un paysage remarquable qui emplit bientôt tout l'écran.

Le film souhaite attirer l'attention sur l'impact de l'essor de la randonnée nautique en Ardèche. Dans les années 1960, le nombre de descentes touristiques étaient passées de 4000 à 77 000 par an, avant de connaitre un rythme d'augmentation moins fort mais néanmoins soutenu puisque, malgré le tassement du tournant des années 1990, on compte autour de 180 000 descentes annuelles aujourd'hui. Sur fond d'extension du loisir sportif en général, la massification de la randonnée nautique dans l'Ardèche s'explique par la recherche de nouvelles territorialités pour l'aventure ou la sociabilité dans les populations urbaines issues plutôt des classes moyennes et non des classes défavorisées, comme le prétend un peu hâtivement l'un des loueurs de bateau interviewés.

Au moment du reportage, la situation est en passe de devenir problématique à plusieurs niveaux. Le premier concerne l'apparition de temps d'attente, voire de véritables embouteillages avant les passages les plus difficiles des 33 kilomètres de la descente, qui s'opposent à la plénitude du cadre. Le second niveau concerne la multiplication des dangers liés à l'augmentation du trafic nautique et à la prise de risques de touristes peu avertis en matière de conduite d'embarcation. Une brève séquence d'un cours donné par un instructeur de canoë-kayak vient ici opportunément rappeler qu'un encadrement professionnel existe depuis peu. En 1974, le Brevet d'Etat d'Educateur Sportif de Canoë-kayak, option « tourisme sportif » était créé et une option Canoë-kayak avait été ouverte au Certificat d'Aptitude au Professorat d'Education Physique et Sportive (CAPEPS) dès 1970. Enfin, un troisième niveau existe à travers la question environnementale et les risques de pollution consécutifs à l'afflux de touristes. L'un des professionnels locaux interviewés évoque à ce propos un projet de réserve naturelle qui permettrait d'organiser plus rationnellement la gestion du tourisme. Un tel projet voit effectivement le jour moins de trois ans après le reportage, en janvier 1980. La « Réserve naturelle nationale des Gorges de l'Ardèche », riche de 1575 hectares, a pour mission la préservation du site ; elle interdit notamment le camping sauvage, toute nouvelle construction et toute activité commerciale ou industrielle en dehors de quelques exceptions au nombre desquelles on compte notamment la visite des gorges. Néanmoins, le label a, à son tour, créé un effet d'attraction, qui n'a fait qu'amplifier la tendance à la saturation. Désormais, cette régulation est assurée par le Syndicat Mixte de Gestion des Gorges de l'Ardèche. Quant aux effets espérés de la randonnée nautique sur le canoë kayak sportif, tel que l'une des personnes interviewées les mentionne, ils sont à peu près nuls. La fédération n'a toujours que 12 500 licenciés à cette époque et son essor ultérieur (35 000 licences en 2009) est davantage la conséquence des bons résultats de son élite que celle de la massification du loisir nautique.

Thierry Terret

Transcription

(Musique)
Journaliste
La Basse-Ardèche n’a plus à démontrer ses possibilités touristiques. Chaque année, elle reçoit des vacanciers de plus en plus nombreux, venus, non seulement, de la région Rhône-Alpes et de la France entière ; mais aussi de l’étranger puisque le nombre de touristes belges, hollandais ou allemands est sans cesse en augmentation. La principale activité de ces estivants demeure, sans doute, la descente de l’Ardèche qui s’effectue par de nombreux moyens, le canoë, la barque ou le boudin. Une descente qui, jusqu’à présent, joignait l’utile à l’agréable, la pratique d’un sport nautique dans un cadre enchanteur. Une phrase mise au passé car actuellement, l’Ardèche est en phase d’être victime de sa notoriété. Il y a, à peu près, combien de personnes qui descendent l’Ardèche par jour ?
Inconnu 1
2000. De grosses fournées !
Journaliste
Ça pose des problèmes ?
Inconnu 1
Certains.
Journaliste
C'est-à-dire ?
Inconnu 1
Dans les rapides, il y a, c’est la cohue, il y a trop de bateaux, alors que c’est là que se créent les accidents.
Inconnu 2
Les Gorges de l’Ardèche ne sont pas encore victimes de leur notoriété mais pourraient, un jour, le devenir. Parce que finalement, nous assistons à un développement très rapide du canoë-kayak, de toutes les activités sportives dans les Gorges de l’Ardèche. Nous en sommes à un stade, maintenant, où il est nécessaire pour nous d’organiser cette fréquentation touristique. Si nous voulons, dans les années à venir garder notre clientèle du point de vue tourisme. Et c’est pour ça, d’ailleurs, que nous avons un projet de réserve naturelle dans les Gorges de l’Ardèche visant finalement à protéger le site et à organiser un petit peu la fréquentation touristique au niveau de la voie d’eau.
(Musique)
Journaliste
Alors que la préoccupation première des services de sécurité est de prévenir autant que possible les accidents, on assiste du côté des touristes et des commerçants, loueurs d’embarcation, à une certaine inconscience. Ainsi, la mode pour les uns et la rentabilité pour les autres, autorisent-elles un relâchement au niveau des contrôles de sécurité. Il suffit, pour pouvoir faire la descente de l’Ardèche, d’affirmer de savoir nager, sans que cela soit vérifié. Une situation qui autorise tous les abus.
Inconnu 3
Moi, je suis un artisan. C’est moi qui fait mes bateaux, je suis tout seul, je n’ai pas d’ouvriers. Donc, je prends mes responsabilités à tous les niveaux. Or, j’aimerais que mes clients fassent pareil, c’est-à-dire que quand ils louent un bateau, et bien, ils aient la gentillesse de me dire véritablement s’ils savent faire du bateau. Et très souvent, malheureusement, on s’aperçoit que c’est faux. Alors, dans ce contexte-là, si les gens ne savent vraiment pas faire du bateau, à la limite, je ne le leur loue pas.
Journaliste
Pourquoi ?
Inconnu 3
Eh bien, pourquoi, parce que je n’ai pas envie d’avoir le problème de l’abandon dans les Gorges, voire de la destruction complète du bateau, vous voyez ! C’est malheureusement ce qui arrive, les gens vous disent nous savons faire, nous avons déjà fait. Et quand on les met, par exemple, dans ce petit rapide là, ils sont absolument incapables de le traverser. Alors, je suis amené, quelques fois, à leur refuser la location d’un bateau. Et quelque fois, je suis amené aussi, si vous voulez, à accepter, malencontreusement, quand je les vois arriver là-bas. Je suis obligé de courir après eux parce qu’ils m’ont menti et ils partent quand même, vous voyez !
Inconnu 4
On part le matin, vers 9 heures. Et on emporte bien sûr son matériel dans des sacs en plastique. Puis, on descend tranquillement, on visite en touriste bien sûr.
Journaliste
Vous arrivez à peu près vers quelle heure, le soir ?
Inconnu 4
Oh, vers 5h, sans se presser.
Journaliste
Est-ce que c’est une descente qui vous paraît dangereuse ?
Inconnu 4
Non, absolument pas. Non, je ne pense pas parce que, bon, il y a bien quelques rapides mais, au pire, on prend un bain.
Journaliste
Est-ce que vous avez pris des cours vous-même pour faire du canoë-kayak ?
Inconnu 4
Non, jamais.
Journaliste
Et vous vous sentez quand même en sécurité ?
Inconnu 4
Oui.
Inconnu 3
A chaque fois que je repose la question vous ne savez pas faire du bateau, on a l’impression de les diminuer. Je ne sais pas pourquoi parce que moi-même, personnellement, j’ai appris très tard à faire du bateau, maintenant, je m’en porte très bien. Et au contraire, je pense qu’apprendre, c’est quelque chose qui est enrichissant. Je peux me tromper mais, enfin. Personnellement, je trouve qu’on a beaucoup plus de plaisir quand on sait manipuler un bateau à contempler les Gorges de l’Ardèche que quand on est, toute la journée, crispé sur un bateau en attendant l’accident.
Journaliste
Le coût de la descente de l’Ardèche dépend du moyen utilisé. Les 33 kilomètres peuvent être parcourus en 4 heures par canoë-kayak pour un coup de location de 60 francs. En barque la descente s’effectue à peu près en 5 heures et revient à 85 francs par personne. Enfin, le voyage en boudin, s’élève à 350 francs, environ, pour 20 personnes.
Inconnu 3
Nous avons des gens qui viennent chez nous qui ont de très grosses voitures, vous voyez, et puis vous avez des gens qui viennent à pieds ; vous avez des jeunes qui viennent en groupe. Il semblerait, malgré tout, que nous ayons une majorité de gens qui sont de classe sociale pas trop aisée, oui ; puisqu’ils n’ont quand même pas la possibilité, quelque fois d’avoir, d’acheter des bateaux. Ou alors, ils viennent de trop loin. Et ceux qui ont de l’argent, évidemment, peuvent s’acheter leur propre bateau. Je pense que la majorité des gens qui viennent sont les classes sociales peut-être un petit peu défavorisées, vous voyez, sur le plan argent.
Journaliste
Faire la descente de l’Ardèche par n’importe quel moyen et parfois, par n’importe quel prix, c’est le phénomène qui se dessine très nettement. Or, pour prévenir les accidents, la meilleure solution est encore d’apprendre à manier les moyens de locomotion qui vont être utilisés pour cette descente. Dans ce domaine, les cours d’initiation, canoë-kayak, font de plus en plus d’adeptes, surtout au niveau des jeunes.
Inconnu 3
Comme on apprend à conduire une voiture, nous, nous avons comme rôle d’apprendre aux jeunes à conduire leur canoë. Tout ça pour ensuite se véhiculer dans les Gorges, faire d’autres activités et aussi, déboucher sur les clubs. Nous formons, donc, des jeunes aptes à ensuite, aller dans les clubs. Et c’est notre vocation première.
Journaliste
Est-ce que cette enseignement est un enseignement définitif ou est-ce qu’il demande à être renouvelé ?
Inconnu 3
Définitif, rien n’est définitif, c’est-à-dire qu’on peut toujours progresser. Mais les notions de base restent les mêmes pour tout le monde. C’est-à-dire que l’on soit… le premier coup de pagaie d’un champion ou d’un débutant est le même. Ce n’est qu’après, par le travail, qu’on arrive à un certain niveau technique.
(Musique)
Journaliste
L’Ardèche, victime de son succès touristique, peut-être, mais la situation n’est pas encore irréversible. Les responsables touristiques et les 12 conseillers nature chargés de la protection de l’environnement, en Basse-Ardèche, sont là qui veillent. Planifier l’invasion estivale et éduquer le touriste, deux objectifs qu’ils se sont fixés pour faire des Gorges de l’Ardèche une véritable réserve naturelle.
Inconnu 2
Nous, dans le cadre de cette réserve naturelle, nous voudrions dire finalement aux gens qui viennent en Basse-Ardèche, aidez-nous à conserver ce site de façon à ce que vous puissiez le retrouver dans les années à venir ; c’est-à-dire éviter de jeter les ordures n’importe où, ou de sortir les ordures des Gorges de l’Ardèche quand on est capable d’amener 5 kilos de nourriture ; d’éviter de faire du feu dans de mauvaises conditions. Il y a beaucoup de choses comme ça que l’on va essayer de développer en accordant un gros effort d’information à ce niveau là.
(Bruit)
Journaliste
La menace de pollution en Ardèche n’est pas une vaine préoccupation quand on sait que plusieurs tonnes d’ordures sont ramassées chaque semaine le long des Gorges. Ce problème écologique, s’il en est, est déjà pris en charge par les Ardéchois eux-mêmes. Plus que tout autre, ils tiennent à ce que leur région, économiquement liée au tourisme, n’en devienne pas une victime.
(Musique)