Parcours thématique

Du catholicisme social aux associations humanitaires

Claude Prudhomme

Introduction

L'expansion missionnaire, puis l'émergence d'un catholicisme social, ont joué un rôle majeur dans l'importance accordée à l'action humanitaire. Les deux mouvements sont au départ distincts, mais ils tendent à converger au XXe siècle. Le succès des périodiques missionnaires, diffusés à des millions d'exemplaires, entretient l'intérêt pour les populations lointaines jusqu'au cœur des régions les plus rurales. Les appels à la solidarité lancés à l'occasion de catastrophes naturelles ou de guerres habituent les fidèles des paroisses à apporter un soutien financier par le biais de collectes ou de ventes de charité. Mais l'orientation sociale prise par le catholicisme français le conduit aussi à introduire, sur le terrain des missions, des préoccupations sociales nouvelles. Sollicités pour alimenter et soutenir les missions, catholiques et protestants français en viennent finalement à proposer des manières de faire la mission qui insistent sur la dimension sociale. Cependant le caractère religieux tend à s'estomper à partir des années 1970 et les nouvelles initiatives s'inscrivent dans un cadre non confessionnel.

Le rôle de Lyon dans la prise de conscience

La région Rhône-Alpes est une bonne illustration de l'évolution des objectifs que se donne l'action humanitaire. Mais au sein de cet ensemble, le cas de Lyon mérite qu'on s'y arrête parce que la ville joue un rôle moteur, exerce une influence bien au-delà de la région, innove à plusieurs reprises dans les modes d'action. Cette vitalité s'explique par la convergence de plusieurs traditions.

La première est celle d'une action sociale réformiste sensible à la dimension internationale. Elle n'est évidemment pas un monopole catholique mais ce dernier y tient une grande place à travers la Chronique sociale fondée en 1892.

Portrait de Monseigneur Matagrin

Portrait de Monseigneur Matagrin

Monseigneur Gabriel Matagrin, évêque de Grenoble, est un personnage important du paysage français. Il s'intéresse depuis toujours aux problèmes sociaux et aux soulèvements qui ponctuent l'actualité.

19 oct 1971
04m 05s

Dotée d'un Secrétariat social, elle s'impose au cours du XXe siècle comme un mouvement polyvalent, instrument de formation et de communication, centre de réflexion et pépinière de militants. Elle atteint une audience nationale à l'occasion de "Semaines sociales", très sensibles aux questions internationales, et rassemblent presque chaque année dans une grande ville de France des centaines de participants.

La semaine sociale à Lyon

La semaine sociale à Lyon

Ouverture de la semaine sociale à Lyon, ville où elle fut créée par Marius Gonin. Le président Alain Barrère souligne l'importance du thème de cette année : "les chrétiens dans la vie politique".

05 juil 1973
03m 13s

Une seconde filiation est ancrée dans la tradition missionnaire propre à Lyon depuis le début du XIXe siècle. Elle a donné naissance à des congrégations missionnaires : Maristes (1816) en Océanie, Société des Missions Africaines de Lyon (1856) en Afrique, Frères maristes (1816) et clercs de Saint-Viateur (1816) spécialisés dans l'enseignement. Moins connues, mais au total regroupant des effectifs supérieurs, de nombreuses congrégations religieuses féminines se sont fondées dans le sillage des congrégations masculines pour entreprendre une action scolaire ou médicale en Afrique, en Asie, dans le Pacifique. Le mouvement de fondations touche aussi, à un degré moindre les diocèses de Savoie (Missionnaires de Saint-François de Sales d'Annecy, 1838) et celui de Grenoble (Missionnaires de la Salette, 1852). A partir d'initiatives venues de missionnaires ou des responsables, de très nombreuses associations se créent pour soutenir leur action outre-mer. Si leur objectif est clairement l'extension du christianisme, les œuvres fondées par les missionnaires contribuent à faire connaître les besoins médicaux, sociaux, scolaires des populations outre-mer. Elles mettent en place des réseaux qui drainent argent et bonnes volontés au service de réalisations dont les progrès sont décrits à travers une multitude de périodiques. Elles élargissent leur action à de nouveaux champs dans l'entre-deux guerres avec des associations destinées à accueillir les étudiants d'outre-mer. Après la deuxième guerre mondiale, elles amorcent un virage appelé à faire école en privilégiant la formation de cadres, par exemple de personnels de santé (Association Médicale Missionnaire, 1946).

Lyon abrite des facultés catholiques qui entretiennent des liens étroits avec le catholicisme social. Ce contexte, et l'avantage d'être en zone libre, expliquent pourquoi le mouvement "Economie et Humanisme", fondé en 1941 à Marseille par un religieux dominicain, le père Lebret, vient s'établir dans l'agglomération lyonnaise en 1943. Greffe réussie qui fait du mouvement et de sa revue une référence en matière d'économie sociale et de développement solidaire. Economie et Humanisme associe en effet l'analyse scientifique des réalités sociales, grâce à des enquêtes de terrain, à la conception de projets d'aménagements du territoire, en France puis hors de France. Véritable tête de réseau, Economie et Humanisme sera souvent imité tandis que le père Lebret (1897-1966) devient un expert international écouté et un conseiller du pape Paul VI.

La confluence de ces orientations, celle de l'engagement social, de la solidarité avec les populations non européennes, de la compétence, explique en bonne partie la fécondité de Rhône-Alpes dans le domaine humanitaire. On ne s'étonne pas de voir s'implanter dans ses principales villes les grandes ONG françaises de solidarité, confessionnelles ou non : Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement (CCFD), CIMADE, Secours catholique pour les associations chrétiennes, Secours populaire, Terre des Hommes, Peuples solidaires, Médecins sans Frontière, Médecins du Monde, Artisans du Monde, Action Contre la Faim... pour les associations laïques. Mais Lyon conserve un rôle moteur avec des initiatives humanitaires spécifiques, qui essaiment souvent au plan national, puis international, selon une évolution qui passe par trois étapes.

Au fil des initiatives

Le premier stade est dominé dans les années 1950 par les réseaux catholiques, autour de l'Oeuvre de la Propagation de la foi devenue Oeuvres Pontificales Missionnaires (OPM), de la Chronique sociale et d' Economie et Humanisme . Dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide, la crainte de voir les nouveaux États basculer dans le communisme et la volonté de construire les jeunes Etats sur des principes chrétiens orientent en priorité l'action humanitaire catholique vers la formation des élites. Joseph Folliet (1903-1972), porté à la tête de la Chronique sociale en 1938, accélère cet investissement en faveur des pays colonisés et met sur pied des Sessions africaines en 1956-1957. En collaboration avec Economie et Humanisme des stages intensifs forment de nombreux cadres appelés à exercer d'importantes responsabilités. Par ailleurs Lyon continue à alimenter un courant de laïcs missionnaires (création à Lyon du "Service du Laïcat Missionnaire" en 1959) qui partent remplir des tâches d'enseignement ou d'action médico-sociale et génèrent à leur tour des relations individuelles et collectives surtout avec l'Afrique francophone.

Les années 1960 et 1970 amorcent une recomposition des engagements et accélèrent la sécularisation des associations désignées désormais par le terme d' Organisations de Solidarité Internationale (OSI). Le développement rapide de la coopération, notamment au titre du service militaire, met brutalement en contact avec le sous-développement des générations de jeunes gens. Ils adoptent souvent à leur retour une attitude critique devant des politiques dont ils ont constaté qu'elles ne réduisent pas les inégalités. En 1961 le groupe de presse de Georges Hourdin (La Vie catholique) lance la revue Croissance des jeunes nations animée par un professeur d'Economie de l'Université de Lyon, Gilbert Blardone. Ce dernier ouvre un centre de documentation du même nom au cœur de la Ville, puis une section Tiers Monde au sein de l'Institut social des Facultés catholiques, dans le but d'alimenter et d'organiser la réflexion sur le sous-développement. Les associations humanitaires accélèrent dans ce contexte leur évolution vers le militantisme dans l'espoir de changer les règles du jeu au niveau international. Le soutien aux luttes des travailleurs immigrés de la région lyonnaise ou les interventions dans le Tiers Monde se combinent avec la critique de l'ordre économique mondial. A Lyon, comme ailleurs, l'action humanitaire passe alors par une période de tensions internes entre défenseurs de la neutralité et partisans de l'engagement politique.

Une grève de la faim contre les expulsions d'immigrés

Une grève de la faim contre les expulsions d'immigrés

Le prêtre Christian Delorme, le pasteur Jean Costil, et l'immigré algérien en sursis d'expulsion Hamid Boukhrouma, ont entamé une grève de la faim pour protester contre les expulsions et particulièrement celles des jeunes de la seconde génération d'immigrés.

03 avr 1981
01m 40s

Les modes et les motifs d'engagement se déplacent dans les années 1980 et 1990 au fur et à mesure que les grandes idéologies porteuses de projets alternatifs reculent. L'affaiblissement des réseaux missionnaires réduit la place des associations issues de cette tradition, même si certaines réussissent leur conversion dans le développement économique ou culturel. Mais on observe surtout un foisonnement d'initiatives individuelles, nées souvent à l'occasion d'un voyage (en Thaïlande pour Handicap International, fondée à Lyon 1982), d'une expérience de coopération, de contacts avec des étrangers. Les motivations idéologiques tendent à s'estomper au profit d'objectifs soigneusement ciblés qui revendiquent un savoir-faire. Les Facultés de Médecine (Actes Lyon) et de Pharmacie (Lyon Humanitaire), l'Ecole vétérinaire (Vétérinaire Sans Frontière, 1983), l'Ecole d'Architecture de Lyon (OBEAHH, 1999), les Ecoles d'ingénieurs (Solidari'Terre, pour l'Ecole de Management de Lyon et l'Ecole Centrale ; Lato Sensu en 1993 et RAPP en 1994 à l'INSA), et sans doute beaucoup d'autres, voient se constituer des associations étudiantes qui montent des projets de coopération médicale, économique, technique. La même dynamique se vérifie parmi les étudiants dans les universités de Grenoble et de Savoie

Handicap international

Handicap international

L'association, Handicap international, organise sa 3ème opération "pyramide de chaussures". Celle-ci est le symbole des vies détruites dans le monde par les mines antipersonnel.

27 sep 1997
02m 01s

L'action humanitaire affirme aujourd'hui son caractère professionnel et insiste depuis les années 1980 sur la nécessité de former les cadres. L'association Equilibre, fondée à Lyon par Alain Michel en 1984, ambitionnait même de concilier la générosité de l'humanitaire avec le rentabilité de l'entreprise. Malgré une forte médiatisation, elle a dû déposer son bilan en 1998. L'association Bioforce, fondée par le docteur Charles Mérieux en 1983 pour préparer aux métiers de l'humanitaire, a réussi au contraire à s'inscrire dans la durée. Les établissements supérieurs s'engagent à leur tour dans la mise en place de formations professionnelles qui jouent l'alliance de la générosité et de la compétence, de la solidarité et de l'efficacité : École Internationale de Commerce et Développement 3A, masters créés au sein des universités de Lyon et Grenoble.

Bioforce : une formation pour l'humanitaire

Bioforce : une formation pour l'humanitaire

Bioforce est le premier établissement de formation des professionnels de l'humanitaire. On y apprend aussi bien à conduire un véhicule tout terrain, construire des bâtiments, ou encore à tenir une conférence de presse.

12 mar 1995
03m 20s

Au tournant du siècle, le débat autour du choix entre intervention en urgence et action dans la durée est réactivé. Les associations nées pour l'urgence mettent en place des programmes qui veulent agir en amont à l'exemple de Handicap International. Elles s'interrogent sur les conditions de leur efficacité et les formes de leur action. Le programme de Triangle génération humanitaire, fondé à Lyon en 1994, résume bien l'état d'esprit quand il propose « une approche globale de l'aide humanitaire intégrant l'urgence et le développement [..]. dans le respect des cultures et des formes d'organisations locales. La priorité est donnée à l'auto-organisation des populations bénéficiaires seules capables de construire à long terme les véritables alternatives du développement durable ».

Malgré un contexte a priori peu favorable où l'on dénonce l'État-Providence et encourage les solutions individuelles, l'inventivité ne se tarit pas en matière de solidarité. Bernard Devert lance à Lyon en 1985 Habitat et Humanisme. Il explore une nouvelle approche du logement social fondée sur trois principes : un homme-un toit ; mixité sociale ; économie de partage et sur trois outils : société foncière, assurance-vie ; fonds commun de placement. Soutenu par des organismes publics, les collectivités locales et les comités interprofessionnels, il réussit en quelques années à asseoir une expérience que l'on tente d'étendre à d'autres villes.

La vitalité de la solidarité humanitaire a donc souvent eu Lyon pour centre principal dans la région. Mais elle se vérifie dans toutes les villes, avec un tissu d'associations dont le recensement reste à faire. Elle bénéficie souvent de l'appui des municipalités et de la Région à travers l'attribution de locaux ou des subventions. Ces dernières années, la promotion du commerce équitable tend à devenir le prolongement naturel de cet engagement.

Bibliographie

  • Mabille François, Approche de l'internationalisme catholique, Paris, L'Harmattan, 2002
  • Pelletier Denis, Economie et Humanisme. De l'utopie communautaire au combat pour le tiers-monde, 1941-1966, Paris, Edit. du Cerf, 1996
  • Lyon, l'humaniste. Depuis toujours ville de foi et de révoltes, Editions Autrement, Collection Mémoires n° 105, 2004
  • Les ONG confessionnelles: religions et action internationale, sous la direction de Bruno Duriez, François Mabille et Kathy Rousselet, Paris, l'Harmattan, 2007
  • « Utopie missionnaire, militantisme catholique » sous la direction de Denis Pelletier, Le mouvement social, Ed. de l'Atelier, n° 177, 1996