Projet de loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse

13 novembre 1974
05m 06s
Réf. 00017

Notice

Résumé :

Sept ans après la promulgation de la loi sur la contraception, la Ministre de la Santé Simone Veil se prépare à défendre les 26 et 27 novembre 1974, devant les députés, un projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse, largement contesté.

Date de diffusion :
13 novembre 1974
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
Personnalité(s) :
Thèmes :

Éclairage

Si désormais en France chaque femme majeure ou mineure peut choisir d'interrompre sa grossesse si elle l'estime nécessaire - et ce quelle qu'en soit la raison - et voir les dépenses occasionnées prises en charge par l'Assurance maladie, il n'en a pas toujours été ainsi.

Déjà il a fallu attendre la loi Neuwirth du 28 décembre 1967, relative à la régulation des naissances, pour que la contraception soit autorisée et la loi du 4 décembre 1974 pour son remboursement par la Sécurité sociale.

Quant à la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), c‘est Simone Veil [1], Ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, qui porte ce projet de loi sociétale particulièrement décrié.

Face à une Assemblée nationale quasi exclusivement masculine, elle doit mobiliser toute sa force de conviction, et notamment lors de son discours du 26 novembre 1974 devant les députés, pour que la loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, qui encadre la dépénalisation de l'avortement en France, soit adoptée : « Parmi ceux qui combattent aujourd'hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d'aider ces femmes dans leur détresse... aucune femme ne recourt de gaité de cœur à l'avortement » .

Et encore il s'agit d'une loi provisoire pour cinq ans, dont le législateur rend les dispositions définitives fin 1979 (loi du 31 décembre).

Pour autant, ce n'est qu'en 1983 que la couverture des frais de soins et d'hospitalisation afférents aux interruptions volontaires de grossesse non thérapeutiques intervient et c'est la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 qui prévoit une prise en charge à 100 % des IVG par l'Assurance maladie.

Les grands principes de la loi de 1975 n'ont pas été remis en cause depuis lors, la loi de juillet 2001, relative à l'IVG et à la contraception, l'ayant simplement modernisée pour tenir compte des évolutions médicales et sociales (allongement du délai de recours à l'IVG en le portant de 10 à 12 semaines de grossesse, possibilité de pratiquer l'IVG en médecine de ville ou encore d'accepter son accès aux mineures sans autorisation parentale...).

[1] Voir également le document Simone Veil.

Christiane Talbot

Transcription

(Musique)
Présentateur
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir. Le conseil des ministres a adopté ce matin le projet de loi sur l’interruption de la grossesse tel qu’il avait été préparé par le ministre de la Santé. Monsieur Giscard d’Estaing a estimé que ce projet répondait avec humanité et lucidité aux problèmes posés. Ce sont, naturellement, les parlementaires qui auront le dernier mot, le projet sera examiné par l’Assemblée Nationale le 26 novembre.
Journaliste
Le problème, c’est de remplacer la législation de 1920 et 1923 sur l’avortement qui n’est plus du tout appliquée aujourd’hui. Déjà, le gouvernement de Monsieur Messmer avait proposé un projet de loi l’année dernière pour modifier cette législation. C’était une libéralisation importante. L’interruption de la grossesse aurait été permise quand elle présentait un danger immédiat ou lointain pour la santé physique, psychique ou mentale de la mère, en cas de risque de malformation du fœtus et lorsque la grossesse était la conséquence d’un acte de violence ou criminel. Après un débat mouvementé de deux jours à l’Assemblée Nationale, le projet de Monsieur Poniatowski, alors ministre de la Santé, était repoussé le 14 décembre dernier par 255 voix contre 212. Le nouveau projet présenté par Madame Veil et adopté aujourd’hui par le Conseil des ministres est beaucoup plus libéral. S’il est adopté, avant la dixième semaine de la grossesse, l’interruption serait autorisée mais elle serait soumise à des précautions pour protéger la femme. L’intervention devrait obligatoirement être faite par un médecin et en milieu hospitalier, c’est-à-dire, soit dans un hôpital, soit dans une clinique. Elle ne serait pas remboursée par la Sécurité sociale. Après la dixième semaine, l’interruption de la grossesse ne serait autorisée que dans les cas exceptionnels ; c’est-à-dire lorsque cette grossesse présente un péril grave pour la santé de la mère, et des risques élevés d’affections graves pour l’enfant. Il s’agit alors d’un avortement thérapeutique qui exige l’avis de deux médecins dont un agréé par la Cour d’appel.
Simone Veil
Je pense que la situation actuellement est une situation injuste et mauvaise. Elle est injuste pour les femmes, parce qu’en définitive, c’est surtout contre les plus démunies, les plus défavorisées que la loi pénale actuellement est rigoureuse. Pour les autres, il est très facile d’aller en Hollande, il est très facile d’aller en Angleterre, et même quelquefois aussi facile de trouver un médecin qui le fasse en France. Il y en a, nous le savons. Mais en revanche, pour les femmes qui sont les plus perdues, les moins informées, qui n’ont pas d’argent, qui sont perdues soit dans leur campagne, soit même dans des conditions de vie très difficiles dans les villes, elles ne savent pas comment faire quand elles attendent un enfant qu’elles ne peuvent vraiment pas assumer. Alors, c’est pour ça que nous trouvons que la situation est mauvaise que nous estimons souhaitable de la modifier. Parce que il y a trop de femmes actuellement qui interrompent une grossesse dans des conditions pénibles.
Journaliste
Ce ne sera pas remboursé par la Sécurité sociale.
Simone Veil
Le texte ne précise rien en matière de Sécurité sociale, donc on se retrouve dans le droit commun. C’est-à-dire que lorsqu’il s’agit d’un acte médical, qui a une raison thérapeutique comme l’avortement thérapeutique qui est autorisé par le texte, la Sécurité sociale remboursera. Lorsque au contraire, il ne s’agira pas d’un acte médical, la Sécurité sociale ne le remboursera pas.
Journaliste
Est-ce que vous ne craignez pas que ça remplace un peu la contraception ?
Simone Veil
J’espère bien que non, seulement, bien sûr, il faut du temps pour que la contraception entre dans les mœurs. Vous savez qu’elle n’a été autorisée que depuis 1967, que ce n’est que la loi qui est actuellement, enfin, le projet de loi qui est actuellement en cours de discussion devant le Parlement qui permet de faire une large information ; et pour l’instant, trop de femmes en fait ne savent pas très bien qu’elles peuvent aller voir un médecin, qu’elles peuvent obtenir une ordonnance, soit pour se faire poser un stérilet, soit pour acheter des contraceptifs oraux. Ce qui fait que elles n’ont pas encore pris l’habitude de la contraception. Et c’est pour ça qu’il y a encore tant d’avortements clandestins et c’est pour ça que le législateur est obligé d’intervenir. Et d’ailleurs, le projet de loi précise de façon très rigoureuse que le, en cas d’interruption de grossesse, la femme devra être obligatoirement informée des méthodes contraceptives. Et nous espérons qu’en tout cas, si elle a recours à l’avortement, ce ne sera qu’une fois et pas plusieurs.
Journaliste
Si la loi n’est pas votée, qu’est-ce qui va se passer ?
Simone Veil
Alors, on restera dans la situation actuelle. C’est-à-dire une situation d’une loi inapplicable, qui n’est pas appliquée.
André Rossi
Ce problème de l’interruption volontaire de grossesse est un problème grave puisque il touche à la conscience de chacun et de chacune. Et c’est la raison pour laquelle le Président de la République, à la fin du débat du Conseil des ministres, a tenu ce matin à faire une déclaration que je voudrais ici citer : Tels sont les motifs qui ont conduit le gouvernement à établir un projet mettant fin à une situation de désordre et d’injustice et apportant une solution mesurée et humaine à l’un des problèmes les plus difficiles de notre temps. Je cite, les problèmes, ce problème qui continuera à poser à chaque individu la question grave et douloureuse des responsabilités qu’il exerce vis-à-vis de la vie et d’autant qu’un texte législatif qui lui permettra à jamais de se défaire.
Journaliste
Ce projet de loi sera discuté à l’Assemblée Nationale à partir du 26 novembre prochain.