Pierre Soulages, son utilisation du noir

16 mars 1968
11m 37s
Réf. 00005

Notice

Résumé :

Le peintre Pierre Soulages est interviewé sur la couleur en peinture et sur son utilisation du noir, dans une salle d'exposition de ses oeuvres. Un tableau en blanc et noir exclut les couleurs qui l'entoure. Dans une toile abstraite c'est toute l'expérience du monde qui est concernée. Il dit son amour du noir, et les réactions qu'il créée avec le blanc. La dimension sollicite aussi différemment le spectateur.

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Date de diffusion :
16 mars 1968
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Transcription

Pierre Soulages
Quand on voit une toile, un tableau peint en noir et blanc, on le voit dans un univers qui n’est pas noir et blanc. Il y a toutes les couleurs autour. Et il est davantage encore en opposition à ce qui l’entoure.
Journaliste
En opposition de couleurs ?
Pierre Soulages
Il est fait en opposition sûrement.
(Silence)
Pierre Soulages
Je crois que toujours c’est une opposition dans la mesure où il y a un choix. Dans la mesure où il y a un choix, quand on peint, on s’oppose à ce que vous propose la nature. La nature, finalement, c’est tout ce qu’on veut. Et à partir du moment où on choisit, c’est qu’on refuse aussi certaines choses. Enfin, on ne choisit pas. Moi, je ne choisis jamais. Je ne crois pas qu’on choisisse par refus. On choisit parce qu’on est poussé vers quelque chose qu’on aime. Mais ce quelque chose qu’on aime, si on en a la passion, exclut le reste. Et un tableau en noir et blanc, quand on le voit sur un mur, il exclut les couleurs qui l’entourent.
(Silence)
(Bruit)
Pierre Soulages
Il y a quand même… Il y a des toiles en noir et blanc qui font penser à la couleur. Ce n’est pas une couleur que l’on voit mais c’est une couleur que l’on imagine. Et ça, c’est une chose qui m’intéresse en particulier dans les toiles en noir et blanc. Mais c’est un phénomène qui se produit aussi dans des toiles comme celle-là où la couleur n’est pas très violente et où quand même elle a un rôle extrêmement important.
(Silence)
Pierre Soulages
C’est un problème d’expression. Ce qu’on exprime avec du noir et blanc n’est pas ce qu’on exprime avec de la couleur. Ce qu’on exprime avec de la couleur très descendue, très retenue, ce n’est pas non plus ce qu’on exprime avec de la couleur extrêmement violente. C’est un problème d’ordre artistique. C’est un problème d’émotion qu’on peut avoir devant la toile. Et de pouvoir que la toile peut avoir sur le spectateur.
(Silence)
Pierre Soulages
Ça ne veut pas dire que le monde, la réalité soit absente. Mais le monde n’est plus figuré dans un de ces aspects sur la toile. Il est passé dans l’expérience que le spectateur en a et expérience qui s’éprouve, qui entre en jeu dans le dialogue que le spectateur entretient avec les qualités physionomiques des formes, de l’espace d’une toile abstraite. Quand on regarde une surface, une tache avec son contour, sa transparence, son opacité, son côté rugueux, soyeux, le rythme qui se crée d’une tache à l’autre, quand on regarde une toile abstraite, c’est toute l’expérience qu’on a du monde qui est concernée.
(Musique)
(Bruit)
(Musique)
Pierre Soulages
En général… Enfin, ce n’est pas par économie et par un souci de limitation qu’on emploie quelque chose, qu’on choisit de travailler avec du noir par exemple. C’est parce qu’on aime cette couleur-là. Si j’emploie du noir, c’est parce que j’aime le noir et que j’aime surtout les réactions qu’avec le noir, on obtient avec les autres couleurs et principalement avec le blanc. L’opposition noir et blanc est le plus extrême contraste. Et c’est… C’est une manière de créer la lumière. La lumière, j’entends bien non pas cette lumière qui se pose sur les objets dans le monde dans lequel on vit mais cette lumière qui a l’air d’émaner d’un tableau. Et c’est avec le noir et le blanc que l’on obtient le maximum de lumière. Quand on pose un noir sur un blanc, le blanc se met à changer. Il devient plus ou moins gris ou plus ou moins lumineux. Et c’est ce qui m’intéresse dans l’emploi de cette couleur.
(Musique)
Pierre Soulages
C’est évident. Quand je peins, c’est ce qu’il se passe sur ma toile qui me donne envie de continuer et de continuer dans un certain sens. D’ailleurs, au départ, il y avait… dans cette masse-là, il y avait, autant que je me souvienne, des sortes de formes avec des blancs, comme ça, qui crépitaient à l’intérieur. Et brusquement, c’est ce côté-là qui s’est mis à m’intéresser. Et j’ai trouvé que ce côté-là prenait d’autant plus d’intensité que cette partie-là était foncée. Alors j’ai effacé tout ça, j’ai balayé tout ça et j’ai obtenu cette grande masse qui s’oppose, finalement, à ces formes et à ces contrastes de blanc et de noir et à ce rythme de verticale un peu hésitante, enfin, qui se cherche comme ça, dans la verticale. Et c’est cette chose-là qui m’a intéressé et sur laquelle j’ai travaillé.
(Musique)
Pierre Soulages
Ce n’est pas tellement un souci de contrôle qui me fait choisir le noir. C’est un souci d’intensité. D’intensité sur le plan plastique mais aussi sur l’arrière-plan qui est, finalement, la qualité poétique que l’on peut tirer de certains contrastes, de certaines oppositions, de certains passages.
(Musique)
Pierre Soulages
C’est d’ailleurs le blanc… Le blanc, le noir… Il y a une infinité de blancs et une infinité de noirs. Même dans la même toile, même quand on peint sur un fond blanc. A partir du moment où on juxtapose des taches ou des touches de couleur, le blanc change. Il n’y a plus jamais le même blanc dans la toile.
Journaliste
Surfaces et couleurs. Yves Klein : « Un grand bleu est plus bleu qu’un petit bleu ».
Pierre Soulages
C’est Gauguin, je crois qui a dit ça. C’est Gauguin qui disait, je crois, « 200 grammes de vert… », non, « 2 kilos de vert sont plus verts que 200 grammes de vert ». C’est vrai d’ailleurs. Il y a même une notion de… Quand je vous ai parlé, tout à l’heure, de la forme liée à la couleur et à la matière, j’aurais dû ajouter à la dimension. Il est extrêmement important de… Enfin, on est tout à fait… La sensibilité de celui qui regarde est sollicitée d’une toute autre manière si elle est en présence d’une forme de 3 m² ou de 2 cm. C’est bien là, d’ailleurs, le malheur de la reproduction. Quand on ne peut pas… Même si on a une notion d’échelle, on n’a pas la sensation que l’on peut avoir… ni l’émotion que l’on peut avoir devant une certaine quantité de couleur, devant une certaine dimension.
(Musique)
(Silence)
(Musique)