Soulages et l'Aveyron

01 décembre 1978
04m 44s
Réf. 00010

Notice

Résumé :

Dans les rues de Conques, le peintre évoque avec Claude Imbert sa relation à l'Aveyron.

Type de média :
Date de diffusion :
01 décembre 1978
Source :

Transcription

Claude Imbert
Tous les émigrants ne partent pas de l’Aveyron pour l’Argentine ou pour San Francisco. Il y a ceux qui émigrent sans émigrer, qui émigrent… comment dire ? dans leur tête. Pierre Soulages est né dans un des quartiers les plus arides de Rodez qui n’est pas une ville gaie. Celui qui allait de la caserne à la gendarmerie, du palais de justice à l’hôpital. Il est, aujourd'hui, reconnu dans le monde entier comme un des peintres les plus clairs et les plus forts de notre temps.
Pierre Soulages
Enfin, ce qui compte dans un homme, chez un homme, se sont sûrement ses racines. Se sont sûrement, aussi, ce qu’il doit au passé. Mais entre les racines de l’arbre et les fruits qu’il porte, il y a tout un cheminement. Et dans ce cheminement se trouve la liberté d'un individu. Et c’est ce qui est important aussi. Et en général, les gens qui insistent beaucoup sur leurs racines, c’est des gens qui sont en quête de leur identité. Alors qu’après tout, quelqu’un qui est un artiste, qui travaille, qui produit des oeuvres d’art, c’est plutôt quelqu’un qui est tourné vers l’avenir. Et bien sûr, cet avenir est fait de tout ce qu’il est, de tout ce qui l’a façonné. Mais dans ce qui l’a façonné, il y a aussi ce qu’il a choisi.
Claude Imbert
On choisit ses racines ?
Pierre Soulages
Absolument.
(Bruit)
Pierre Soulages
Personnellement, j’ai choisi mes racines déjà lorsque j’étais enfant dans ce pays. Mais dans ce pays, il y a des grands plateaux solitaires, des déserts, ce qu’Agrippa d’Aubigné appelle… enfin, un mot, un vers d’Agrippa d’Aubigné qui me touchait beaucoup, à l’époque, c’était : « J’aime les déserts, les rochers égarés ». Moi aussi, j’aimais les causses, j’aimais les grands plateaux. Et finalement, il y avait aussi, dans ce pays, des riantes vallées, des dentelles de pierre dans l’architecture. Mais je n’ai pas voulu les voir.
Claude Imbert
On ne s’en souvient pas beaucoup, dans l’Aveyron.
Pierre Soulages
Comment ?
Claude Imbert
On ne s’en souvient pas beaucoup, des vallées. Je veux dire l’Aveyron n’est pas une terre qui laisse une image facile. Ce n’est pas un pays facile.
Pierre Soulages
Tout dépend du souvenir qu’on garde. Moi, je connais des gens qui rêvent du vallon, de Salles-la-source, des petits ruisseaux, des petits moulins. Personnellement, j’aime les grands espaces, j’aime les causses. Et c’est ce que j’ai voulu retenir. Et dans l’art, je n’aime pas tellement les dentelles de pierre de la fin du gothique. Ce que j’ai aimé, ce sont les cryptes romanes, c'est Conques, c'est l’architecture de cette époque, et aussi, peut-être, des choses plus profondes, plus enfouies comme celles que l’on trouve dans les menhirs gravés qui sont…
Claude Imbert
Vous êtes un Celte.
Pierre Soulages
Je suis sûrement comme tout le monde. Un celte mélangé. Il ne faut pas, quand même, trop mythifier là-dessus. Mais après tout, quand on parle de l’enracinement, on peut être enraciné dans un pays mais aussi on peut être enraciné dans une ethnie. Et les gens qui se sont installés ici, au deuxième âge du fer, c’étaient des gens qui aimaient travailler le fer, travailler l’or, qui avaient même inventé les émaux. Et quand on voit, 2000 ans plus tard, c'est-à-dire… à peu près 2000 ans plus tard c'est-à-dire au XIe siècle des émaux à Conques, on peut se demander si tout cela appartient à un pays ou, au contraire, à une race d’indo-européens qui a traversé l’Allemagne, qui est passée ici et qui a déferlé jusqu'en Espagne pour faire les celtes ibères. Il faut toujours être prudent quand on parle des racines.
(Musique)