Pierre Soulages et la commande publique, l'exemple des vitraux de Sainte-Foy de Conques

26 mars 1991
03m 01s
Réf. 00018

Notice

Résumé :

Le Ministère de la Culture, mené par Jack Lang, décide de confier à Pierre Soulages une commande exceptionnelle : composer un nouvel ensemble de vitraux pour l'abbatiale romane Sainte-Foy de Conques. L'annonce de ce projet est fraîchement reçue par la critique qui craint de voir le « peintre du noir » assombrir l'édifice et qui remet en cause la dépose des précédents vitraux, témoins des arts décoratifs limousins d'après-guerre.

Date de diffusion :
26 mars 1991

Éclairage

Cet extrait vidéo du journal télévisé de France 3 Quercy Rouergue, diffusé le 26 mars 1991, présente avec un certain sens de la polémique l'annonce officielle de la commande passée par le Ministère de la Culture à Pierre Soulages : composer un nouvel ensemble de vitraux pour l'abbatiale romane Sainte-Foy de Conques.

Ce projet occupe Pierre Soulages depuis quelques années déjà. Dès 1986, il mène une réflexion sur ce sujet en relation étroite avec le Ministère de la Culture et le maître verrier Jean-Dominique Fleury. Le choix de Sainte-Foy de Conques n'est pas anecdotique, Pierre Soulages aime raconter que c'est à l'âge de 12 ans, lors d'une excursion scolaire au sein de l‘abbatiale, que s'est révélé son intérêt pour l'art roman et un « désir confus » de devenir artiste. Comme le sous-tend le ton du journaliste du JT de France 3 Quercy Rouergue, l'annonce de ce projet a été fraîchement reçue par l'opinion publique, craignant de voir le « peintre du noir » assombrir l'édifice et remettant en cause la dépose des précédents vitraux, témoins des arts décoratifs limousins d'après-guerre.

La création de ce type d'ouvrage est encouragée par le fort développement de la commande publique à des artistes contemporains sous les mandats successifs de Jack Lang au Ministère de la Culture. Cette période marque en effet l'incursion de la création contemporaine au sein de lieux patrimoniaux emblématiques. A l'instar de Pierre Soulages à Conques, ces réalisations furent souvent mal reçues par l'opinion. Citons pour exemple l'œuvre Les Deux Plateaux, commandée par le Ministère à l'artiste Daniel Buren pour la cour d'honneur du Palais-Royal de Paris. Achevée en 1986, elle a très tôt suscité huées et actes de vandalisme.

Au delà de la polémique engendrée par le projet de Sainte-Foy de Conques, cette première commande publique représentait une véritable preuve de reconnaissance de l'Etat français vis-à-vis du travail de Pierre Soulages. La fin de ce document sonne comme un présage, l'interview de Jack Lang et les commentaires du journaliste laissent déjà entendre que le travail de l'artiste à Conques durera « (...) le temps qu'il faudra, ». En effet, les vitraux de Conques vont occuper Pierre Soulages durant cinq années, l'artiste refusant d'effectuer toute esquisse avant la longue mise au point de la conception technique de ses vitraux.

Léa Salvador

Transcription

Présentateur
Conques va avoir des vitraux mieux appropriés à son cadre mondialement connu. Jack Lang a tranché. C’est au peintre Pierre Soulages qu’a été confiée la réalisation de ces vitraux. Il sera assisté par le maître verrier François Fleury et par les sociétés Saint-Just et Saint-Gobain avec laquelle des recherches inédites de pâte sont en cours. Reportage Yves Garric, Jacques-Michel Cuniasse.
Yves Garric
C’est à sa double qualité d’enfant du pays né à Rodez et d’artiste contemporain mondialement reconnu, l’un de ceux qui cotent le plus, aujourd'hui, sur le marché de l’art que Pierre Soulages doit le privilège d’entrer à Conques et d’y entrer non pas par la grande porte mais plus royalement par les vitraux. Ceux de l’abbatiale. Il est chargé de les refaire entièrement. Et ce n’est plus d’un vague projet qu’il s’agit là mais bien d’une commande ferme du ministère de la culture.
Jack Lang
Quand je m’engage, je m’engage vraiment. Et donc en ce moment-même, l’oeuvre de monsieur Soulages fait l’objet d’un travail d’élaboration. Mais on veut le faire bien. Par conséquent, parfois, on se heurte à des difficultés dans le choix du matériau.
(Musique)
Yves Garric
Curieusement, ce n’est pas de l’Aveyron qu’est venue la tempête de protestation à laquelle on pouvait s’attendre s’agissant d’un artiste aussi abstrait que Soulages. Les remous sont limousins. C’est dans les ateliers Chigot-Parot de Limoge qu’avaient été exécutés, entre 1947 et 1955, sur le thème de la vie de Sainte Foy, les vitraux qui ornent l’abbatiale de Conques.
Alain Baron
On ne détruit pas une oeuvre qui a été créée parce que c’est une oeuvre très caractéristique de la période art déco des arts limousins. C’est ce qui nous a beaucoup surpris, qu’une décision ait pu être prise sans l’avis des personnalités locales et notamment ceux qui ont contribué à créer ces vitraux. Et c’est pour ça que nous militons pour qu’ils restent en place.
Yves Garric
Va pour des vitraux de Soulages estime, pour sa part, le maire de Conques dans la mesure où c’est l’Etat qui les a commandés qui les paiera.
Pierre Rion
Les vitraux actuels, étant la propriété de Conques, et ça ne fait pas l’ombre d’un doute, resteront à Conques. Ils seront entreposés en attendant que nous puissions ouvrir notre centre européen de culture romane. Et nous verrons à ce moment-là de les remettre à l’exposition du public de façon qu’il puisse en bénéficier.
Yves Garric
Toute polémique à part, celle sur le coût de l’opération comprise - le projet se montera à plus de 10 millions de francs, de quoi financer quelques-unes de ces initiatives culturelles dont le milieu rural aurait bien besoin -, l’idée d’introduire l’art moderne parmi les vieilles pierres de Conques apparaît bien séduisante.
François Barre
L’idée de Pierre Soulages étant qu’en faisant varier la granulométrie à l’intérieur des fenêtres, à l’intérieur des vitraux, il aura des gradations de lumière qu’il modulera, qu’il maîtrisera et qui permettront d’architecturer, d’une certaine manière, la transparence et le passage de la lumière en fonction de l’architecture de l’abbaye.
Yves Garric
Au ministère de la culture on est formel. Ces études dureront le temps qu’il faudra.