La Loire

La Loire

Par Philippe Audic, Président du Conseil de développement de Nantes métropolePublication : 2016

# Introduction

De la Loire, Nantes est née, y puisant sa fortune, établie sur le commerce et les industries accueillies sur ses quais. Son port sera même le premier port européen pendant quelques années au XVIIIe siècle.

Pour garder son rang, alors que les bateaux grandissaient et grossissaient, s'arrêtant de plus en plus souvent à Saint-Nazaire, les bénéficiaires de cette fortune entreprirent d'adapter le fleuve à ces nouveaux bateaux.

Ils le firent d'abord, en construisant à la fin du XIXe siècle, le canal de la Martinière, une sorte de « pontage coronarien » pour contourner les parties de l'estuaire offrant le moins de tirant d’eau.

Puis, alors que ce canal devint lui-même trop étroit à partir de 1912, ils adaptèrent le chenal « naturel » de l'estuaire en l'élargissant, en arasant les seuils rocheux et en endiguant toute la partie médiane de l’estuaire. C'est à ce prix que les trafics sur les quais de Nantes purent se maintenir et même atteindre un peu plus de 3 millions de tonnes, son record,  en 1937. Mais c’est aussi à ce prix qu'il fallut combler de nombreux bras de Loire dans cette ville que l'on surnommait à l'époque la « Venise de l'Ouest ».

C'est la Loire, elle-même, qui fut en partie « comblée » par les terribles bombardements alliés de septembre 1943. De nombreux bateaux (121) furent coulés dans l’estuaire et servirent de blockship pour rendre le port inopérant.

     

# De 1945 à 1970 : l’illusion d’un retour de la prospérité par le fleuve

En 1945, les premiers travaux de dégagement de la voie fluviale furent engagés à Nantes, en même temps que les bords à quais furent libérés, autorisant à nouveau la reprise des transports de marchandises et de passagers par train ou tramway. Le pont transbordeur fut remis en service, permettant à nouveau de franchir le bras de la Madeleine.

Progressivement la voie d’eau est dégagée, notamment à hauteur de la Télindière, près du Pellerin, où plusieurs bateaux coulés constituaient un obstacle à toute remontée de navires vers Nantes.

Les quais du port de Nantes, réparés et rééquipés, retrouvent petit à petit une certaine activité, toutefois encore bien inférieure à celle d'avant-guerre. Le quai Wilson ne redevient totalement accessible qu’en 1959.

Pourtant, dès le début des années 50, l’heure est à nouveau à l'optimisme et les projets d'extension des espaces portuaires sont à l'ordre du jour. La zone de Cheviré fera l’objet d’un premier aménagement assorti d’un nouveau quai en 1956, le tout destiné à positionner Nantes en tant que port à bois, en capitalisant sur les lignes historiques développées avec l’Afrique.

De leur côté, les chantiers de construction navale - Chantiers de la Loire, de Bretagne et Dubigeon -, reprennent rapidement leur activité, soutenus par le programme de reconstruction et les commandes de la Marine Nationale. 

Dès 1946, Dubigeon livre à l'État français deux sous-marins commandés avant-guerre et en réalisera dix autres de la classe Daphné à la fin des années 50 et au début des années 60, tant pour la Marine Nationale que pour celles du Portugal et d'Afrique du Sud.

Dans les années 50, à l’apogée de cette activité, les chantiers nantais livrent une centaine de bâtiments de toute taille et de toute nature (commerce, servitude, drague...), et notamment des cargos à marchandises diverses, des navires fruitiers avec chambre frigo et cuveries à vin,  mais aussi des grumiers et des minéraliers, répondant ainsi aux besoins générés par les nouveaux espaces aménagés par le port de Nantes. 

Chaque lancement est largement suivi par les Nantais, fiers et heureux de voir ces œuvres réalisées par des ouvriers locaux naviguer sur la Loire avant de parcourir le monde.

Le franchissement du fleuve, notamment pour les ouvriers des chantiers, se faisait par la ligne des ponts de la Madeleine et de Pirmil grâce à l'utilisation des transports par cars organisés par les employeurs, mais aussi par cyclomoteurs, dont l’usage se développa rapidement dans cette période. 

Venant du nord, certains prenaient aussi le pont transbordeur et d’autres, venant du sud, utilisaient les roquios, sorte de vaporetti à la nantaise, permettant la traversée du fleuve entre Trentemoult, l’île Ste Anne et Chantenay.

Après la guerre, la clientèle utilisant le pont transbordeur a tendance à diminuer et l'exploitation, confiée à une société concessionnaire, devient déficitaire. Par ailleurs, sa justification première, à savoir permettre aux trois mâts de remonter le bras de la Madeleine, n’est plus d’actualité. Une tentative de classement échoue au début des années 1950.

Le 1er janvier 1955, le service de transport prend fin après cinquante-deux ans de service. La municipalité dirigée par Henry Orrion décide ensuite de le faire démonter et ferrailler, ce qui est réalisé en 1958, malgré des protestations.

Pour les mêmes raisons, le service des roquios, créé en 1887, exploité depuis 1931 par la ville de Rezé, cessera de fonctionner en 1958, en même temps que le tramway condamné, lui, par l’essor de l’automobile. C’est finalement moins aux ouvriers que ce service manquera qu’aux Nantais du dimanche qui venaient flâner à Trentemoult, appréciée pour ses fêtes, ses régates, ses guinguettes et ses restaurants où on pouvait déguster civelles, anguilles et beurre blanc.

Au début des années 60, les trafics du port de Nantes continuent de progresser, semblant valider la stratégie de développement mise en œuvre. En 1961, Nantes redevient un port bananier confortant ses lignes vers les Antilles, grâce aux équipements construits sur le quai... des Antilles, et notamment un hangar de mûrissement pour les bananes.

En 1964, le port retrouve un niveau de trafic  équivalent à celui de 1937, légèrement supérieur à 3 millions de tonnes, entretenant l’illusion d’un retour de la prospérité grâce au fleuve.

Un second quai est mis en service à Cheviré, cette même année, pour conforter la position prise par Nantes en tant que port à bois. En 1966, une nouvelle grue plus puissante, capable de lever jusqu’à 60 tonnes, est installée à la pointe de l’île Ste Anne.

Après une décennie 50 favorable, les années 60 vont toutefois révéler progressivement la fragilité de la construction navale nantaise, contrainte d’un côté par la configuration du fleuve - limitant la capacité à répondre aux exigences des armateurs de construire des bateaux de plus en plus grands - et de l’autre par l’émergence de concurrents asiatiques (Japon, Corée) mieux équipés et aux coûts de production inférieurs. 

Les restructurations effectuées au long de cette décennie entraîneront la disparition des Ateliers et Chantiers de la Loire, dont une partie des activités seront transférées à St Nazaire aux Chantiers de Penhoët, qui deviendront ultérieurement les Chantiers de l’Atlantique, et dont l’autre partie fusionnera en 1961 avec les Ateliers et Chantiers de Bretagne pour donner naissance aux Ateliers et Chantiers de Nantes. De son côté, Dubigeon se spécialisera dans la construction de ferries.

La question des franchissements du fleuve reste par ailleurs lancinante dans une ville dotée d'une seule ligne de ponts au début des années 60 alors que le trafic automobile est en pleine croissance et qu'il devient particulièrement difficile d'accéder à la principale zone industrielle et portuaire de l'agglomération.

Aussi, en même temps qu'on met en service une deuxième ligne de ponts en 1966, la municipalité engage la construction de deux ponts Bailey au bout de l'île Gloriette pour faciliter l'accès à l’île Ste Anne et à la zone des chantiers. Ils seront ouverts à la circulation en 1967 et contribueront également à la desserte du Marché d’Intérêt National de Nantes créé en 1965 et localisé le long du quai Wilson, sur la partie sud de l’île Sainte Anne.

En 1966, l'État crée les Ports Autonomes, dont celui de Nantes-Saint-Nazaire, et dont les quais respectifs accueilleront désormais des trafics complémentaires et non plus concurrents. Le total des trafics cumulés des deux sites s’établit à 9,77 millions de tonnes à la création, révélant ainsi que les quais de St Nazaire traitaient déjà 2 fois plus de tonnage que ceux de Nantes.

C'est ce nouvel établissement qui conduira la troisième extension du quai de Cheviré, dont les travaux démarrent en 1968 pour une ouverture en 1970, extension réalisée pour conforter les trafics de grumes et la place de premier port à bois français conquise par Nantes. Le port veut en faire une zone destinée à accueillir les usines « pieds dans l'eau », ambitionnant un développement de trafics à valeur ajoutée basée sur la fixation d’activités « industrialo-portuaires ».

Les régates de Trentemoult perpétuent une pratique du nautisme ancienne sur une Loire parfois difficile et sur des bateaux le plus souvent conçus et construits dans les ateliers nantais.

Les images des régates de mai 1969 qui se déroulent - cette fois par beau temps - de la pointe de l'île Sainte-Anne jusqu’à Cheviré, permettent à la fois de découvrir l'habilité des plaisanciers, mais aussi les travaux de réalisation du nouveau quai de Cheviré, la centrale EDF du même nom, mise en service en 1954, les vestiges du dock flottant de la Compagnie Nantaise de Réparation Navale à Chantenay ainsi que les pontons nord et sud d'accostage des roquios, toujours là 11 ans après la fin du service.

# De 1970 à 1987 : le temps des désillusions

Début 1971, c'en est bien fini toutefois de l'illusion de voir les roquios reprendre du service. Compte-tenu des risques divers qu’ils généraient, la décision est prise de démanteler les pontons d'accostage, malgré les pétitions qui s'y opposent.

Les civelliers de Loire sont, eux, dans l’âge d’or de leur activité. Il n’est pas rare pour un pêcheur professionnel de récolter 250 kg de civelles par jour à la pleine saison, et cette abondance encourage le développement de la pêche amateur, qui irrite les professionnels.

Le prix de cet « or blanc » défie toute concurrence sur les marchés des communes riveraines du fleuve (Basse-Indre, capitale de la civelle, Le Pellerin …) et en font « le plat du pauvre », fréquemment servi au menu des cantines scolaires sous forme de pains froids, peu appétissants…

Au sein du nouveau Port Autonome de Nantes-Saint-Nazaire, on sait déjà que l'essentiel du développement des trafics se fera à l'aval de l'estuaire. En témoigne la décision prise en 1970 de créer un nouveau terminal à marchandises diverses à Montoir de Bretagne. L'aménagement de ce nouveau terminal sera engagé dès 1971.

Mais il ne faut surtout pas désespérer Nantes et, malgré tout,  entretenir l'illusion que les trafics pourront encore s'y développer.

Ainsi le déplacement du chenal situé entre Donges et Paimbœuf, réalisé en 1973, est justifié par le fait qu'il autorisera les remontées et descentes vers Nantes de bateaux dont le tirant d'eau pourra gagner 20 cm après ces travaux (soit un tonnage de 500 t supplémentaire pour des bateaux de 15000 t !).

Mais ces travaux ont aussi pour but de continuer à préparer l’aménagement futur de deux nouvelles zones à vocation portuaire à l’aval. Ils sont, en effet, réalisés par une drague aspiratrice qui prélèvera 1 million de mètres cubes de matériaux meubles, déposés sur les berges du fleuve, d'un côté à Lavau-sur-Loire, pour préparer l'aménagement de la zone dite de Donges Est, et de l'autre, au sud, sur la future zone à vocation industrialo-portuaire du Carnet, à proximité de Paimbœuf.

À Nantes, le chantier Dubigeon-Normandie, seul survivant des restructurations des années 60, continue à construire des ferries, le plus souvent dans le cadre de commandes « soutenues » par l'État.

En 1975, Madame Giscard d'Estaing vient baptiser le Napoléon, destiné à assurer les liaisons entre le continent et la Corse dans la logique de continuité territoriale promue par l'État à cette époque. Les autorités de Corse sont d'ailleurs bien plus visibles, lors de cette cérémonie, que les autorités locales, et le lancement de ce bateau de 155 m est effectué en pleine nuit, contrairement à l'habitude, privant les Nantais de ce spectacle qu'ils aiment tant. Anticipation inconsciente pour une activité à son crépuscule ?

En 1978, les investissements industrialo-portuaires vont bon train... mais à l’aval de l’estuaire, avec la construction du terminal gazier à Montoir, la création d'un terminal pour les conteneurs également à Montoir et les études préparatoires pour l'aménagement du site de Donges Est.

Les questions relatives à l'avenir des quais de Nantes commencent à être exprimées explicitement : handicap d'un port en fond d'estuaire, sans hinterland, mal desservi tant par les voies d'eau (navigabilité de la Loire amont) que les voies terrestres (pas d'autoroute) ou ferroviaires.

Les responsables du Port esquissent une forme de partage entre l'amont et l'aval. À Nantes, les trafics dits « commerciaux », et aux quais de Donges, Montoir et Saint-Nazaire, les trafics dits « industriels ». On comprend surtout que c'est l’aval qui bénéficiera de l’essentiel du développement des trafics.

À la fin des années 70, il est acquis qu'il devient illusoire de vouloir encore augmenter les tirants d'eau pour l'accès à Nantes.

Dès lors, la question du maintien du bassin de marée, constitué à l'amont de Nantes par le prélèvement de volumes très importants de sable dans le lit de la Loire, peut être ouverte.

Ce bassin de marée avait pour but d'accélérer les courants dans l'estuaire, notamment le jusant, pour générer un « effet de chasse », censé réduire les besoins de dragage dans le chenal d'accès à Nantes.

Mais sa constitution, même si elle a servi les intérêts des acteurs de la reconstruction et du BTP, puis ceux des maraîchers de la région nantaise qui ont pu bénéficier longtemps d’un sable de qualité et bon marché, a surtout eu quelques conséquences néfastes, comme la remontée de la salinité au-delà de Nantes, l'installation pérenne du bouchon vaseux dans la ville-même et la baisse du niveau du fil de l'eau du fleuve, depuis Ancenis jusqu'à Nantes.

L'arrêt des prélèvements de sable est dès lors considéré comme nécessaire et annoncé comme devant être effectif à la fin 1978. Dans les faits, les extractions n’ont effectivement cessé qu’en 1993, contraignant les maraîchers à s'approvisionner d'abord à l'aval de Nantes puis ultérieurement en mer.

Le développement du MIN fait progresser les trafics de primeurs et d'agrumes en provenance du Maroc et d’Afrique du Sud. La souille devant le quai Wilson doit être approfondie et élargie pour accueillir les bateaux. Le port à bois de Cheviré reste au premier rang en France en concurrence avec la Rochelle. Globalement les trafics nantais sont stables.

Au début des années 80, tandis qu'à Nantes on corrige les impacts des dysfonctionnements de la Loire sur le port de Trentemoult pour permettre aux plaisanciers d’y séjourner et aux pêcheurs de Loire de continuer à exercer leur métier, à Montoir de Bretagne, on investit dans un nouveau terminal pour les conteneurs et les marchandises diverses sous l'œil bienveillant d'Olivier Guichard, père des métropoles d'équilibre et soutien actif de la dynamique portuaire en tant que Président de la toute nouvelle région des Pays de la Loire. Tout est dit dans ce parallèle.

De temps en temps, la Loire rappelle au bon souvenir de ses riverains qu'elle est sujette aux crues. En décembre 1982, le débit du fleuve dans l'agglomération nantaise atteint 6300 m³ par seconde, pour un débit moyen habituel de 870 m³ par seconde. Ce débit exceptionnel est équivalent à celui de la crue centennale de 1910 que les vieux Nantais ont encore en mémoire.

Les travaux de creusement du chenal, effectués depuis cette époque, et qui ont globalement entraîné une baisse de 4 m du niveau de la Loire à Nantes, en période d’étiage et de vives eaux, ont contribué à réduire l'impact d'un tel événement, même si quelques rues de la ville ont dû être interdites à la circulation.

Chez Dubigeon, en juillet 1985, face à la baisse des commandes et suite à l'échec des négociations entre l'État, l'entreprise et les organisations syndicales, une réduction drastique des effectifs est annoncée (perte de 500 emplois), provoquant une colère violente des salariés, à la mesure sans doute d’une fin d’activité qu’ils pressentent proche.

Dans cette période qui voit décliner lentement les activités historiques de Nantes, notamment celles qui contribuaient à l'animation et à la navigation sur le fleuve, certains imaginent de faire de Nantes la ville de départ d'une course à la voile amateur, reliant Nantes à Lisbonne via les Açores. La première édition, en juin 1986, n’attirera toutefois que huit concurrents qui, malgré tout, enchanteront un nombreux public nantais ravi de voir ces bateaux multicolores s'affronter sur leur rivière.

La remontée du front salin en Loire, générée par la succession des creusements du chenal de navigation dans l'estuaire et par la création d'un bassin de marée à l'amont de Nantes, contraint la municipalité nantaise - qui produit, en régie, l'essentiel des besoins en eau potable de la population de la Loire-Atlantique - à remonter la prise d'eau en Loire d'une vingtaine de kilomètres et à l’implanter sur la commune de Mauves-sur-Loire.

La réparation coûteuse de ce « dommage collatéral » de l'aménagement de l'estuaire intervient au début de l'année 1987.

Comme un symbole, c'est aussi en 1987, au mois d’avril, que le Belem, trois-mâts barque lancé par Dubigeon à Nantes en 1896, revient dans son port d'origine, après sa rénovation et sa transformation en voilier école par la fondation Belem, alors que Dubigeon-Normandie s’apprête à livrer à la Marine Française en juillet, trois mois plus tard, le Bougainville, son dernier bateau avant la fermeture définitive du chantier.

La fin de cette activité bimillénaire crée un traumatisme réel au sein de la population de la région nantaise où de nombreuses familles avaient ou avaient eu des liens directs ou indirects avec les chantiers Dubigeon, de Bretagne ou de la Loire.

Elle laisse aussi une immense friche industrielle au cœur même de l’agglomération, l’île Sainte Anne, et une Loire peu à peu désertée par les bateaux. Les Nantais préfèrent regarder ailleurs et une forme de deuil s’installe.

# De 1987 à 2007 : la recherche  d’un nouveau rôle pour le fleuve

Faudra-t-il se contenter maintenant et à l’avenir de baptiser ou d’accueillir de grands voiliers de compétition, trimarans ou catamarans ni conçus ni construits sur les bords de la Loire ? Le baptême du Elf-Aquitaine III le 18 avril 1988 montre en tout cas que la vue d’un bateau sur le fleuve contribue à ramener le regard sur celui-ci.

Faudra-t-il faire du bras de la Madeleine et du quai de la Fosse un parking pour bateaux immobiles ? Une exposition  de bâtiments désaffectés ? On peut le craindre en voyant y accoster le Maillé-Brézé, un escorteur d'escadre de la Marine nationale française de la classe T 47 désaffecté, remis à l’association Nantes Marine Tradition qui en fait un navire musée, qui sera même classé monument historique. Ce bâtiment relativement jeune et bien conservé trouve rapidement son public et justifie ainsi sa présence le long du quai de la Fosse.

Même s'il attire moins l'attention que par le passé, le fleuve reste un obstacle difficile à franchir dans une agglomération où le nombre de ponts est faible, particulièrement dans sa partie ouest.

En 1986, après de nombreux atermoiements liés aux changements de majorité à la tête de la municipalité de Nantes, la décision est enfin prise de construire un pont à Cheviré pour assurer le bouclage ouest du futur périphérique nantais et, en même temps, constituer un maillon de l'autoroute dite « des estuaires » qui longe toute la façade atlantique du pays.

Il s'agit d'un pont offrant un tirant d'air de 52 m, dont la travée centrale repose sur deux piles posées de chaque côté de la Loire. Il préserve ainsi intégralement le chenal d’accès des bateaux aux différents quais de Nantes et à la zone d’évitage de Trentemoult qui permet le demi-tour aux plus grands d’entre eux (jusqu’à 230 m).

Sa construction engagée dès la fin 1986 s’achève en 1991 par la pose spectaculaire de la travée centrale métallique d’une longueur de 242 m, construite à Saint Nazaire et amenée par barge sur le site du pont avant d’être levée puis posée sur les piles à 50 m de hauteur.

L’envie de voir de grands bateaux de commerce continuer à remonter jusqu’à Nantes demeure toujours ancrée au sein des milieux économiques et politiques nantais.

Toutefois, chacun est conscient que le développement des trafics hauturiers se fera maintenant à l’aval de l’estuaire, et admet même que la question de conserver ceux qui arrivent encore sur les quais de Nantes - comme le sucre, le bois ou les céréales - se posera inévitablement un jour.

Il apparaît clairement que les sites portuaires nantais auront essentiellement leur avenir dans le barging de matériaux divers, consommés ou produits par la ville (ferrailles, sable,  déchets…) ou de colis lourds ou encombrants (pièces ou tronçons d'Airbus...). 

Dans cette perspective, la question de la place et du rôle du fleuve au cœur de la ville commence à être soulevée (décor urbain, espace public, transport de passagers,  tourisme...), comme se pose la question de ses berges et de ses quais progressivement délaissés, ou encore celle du devenir de l'île Sainte-Anne. Une étude urbaine exploratoire est confiée à Dominique Perrault qui esquissera en 1995, à l’issue de cette mission, l’idée de la création de l’Île de Nantes.

Un premier constat émerge de ces questionnements. Il concerne l'état déplorable du fleuve dans sa traversée de l‘agglomération, avec la présence quasi permanente du bouchon vaseux et une hauteur de marnage qui fait presque disparaître le fleuve à marée basse, révélant des berges et des quais dégradés par les forts courants de flux et de jusant.

Il est clair que l'envie de Loire doit passer par une réhabilitation du fleuve et de ses berges dans la ville.

Fortes de ce constat relatif à la dégradation de l'état de la Loire, tant dans sa partie estuarienne que dans l'agglomération nantaise et à l'amont, la Région des Pays de la Loire, le Conseil Général de Loire-Atlantique et les Villes de Nantes et de Saint-Nazaire décident de créer en 1985 l'Association Communautaire de l'Estuaire de la Loire (ACEL).

Ainsi réunies au sein de l’ACEL, ces collectivités décident de se doter d'un outil de modélisation du fonctionnement du fleuve sur la portion allant de Bouchemaine jusqu'à Saint-Nazaire.
L'objectif est de mieux anticiper sur les évolutions du fleuve en cours, liées aux aménagements des décennies passées, d'évaluer les conséquences de nouveaux projets d'aménagement proposés notamment par le Port de Nantes-Saint Nazaire (Donges Est) et de simuler également les effets de divers projets envisagés pour améliorer la situation présente (remontée du fil de l’eau, ralentir les courants,...)

L’outil de modélisation retenu est proposé par le Danish Hydraulic Institute et l’exploitation en sera confiée à une Cellule de Mesures et de Bilans chapeautée par l’ACEL.

Les trafics historiques du port de Nantes (engrais, sucre, bois, céréales…) se maintiennent, en lien avec les industries « bord à quai » localisées sur le quai Wilson (Société Nantaise des Engrais, raffinerie Béghin Say) ou avec les terminaux dédiés du port (Cheviré pour le bois, Roche Maurice pour les céréales).

Toutefois, la construction et la mise en service du pont des Trois Continents en 1994 sur le bras de Pirmil, entre le MIN et la zone des abattoirs à Rezé, oblige à revoir la chaîne de la logistique finale de l'approvisionnement en sucre de canne de Béghin Say. Les bateaux sucriers sont déchargés à Cheviré et la matière première acheminée par une noria de camions vers la raffinerie. 

S'il ne remet pas en cause l'activité de cette usine, emblématique de l'histoire portuaire de Nantes et dont les bâtiments ont été remarquablement rénovés en 1993, ce changement fragilise l'une les deux seules raffineries de sucre de canne française, dont l'activité ne tient que grâce au soutien de l'Europe à la production de la canne à sucre dans les territoires français d'Outre-Mer.

Le dragage de la zone d’évitage reste néanmoins nécessaire pour permettre le demi-tour aux navires sucriers mais aussi aux grumiers, aux céréaliers et autres cargos à marchandises diverses.

Dans le même temps, le projet de construire une centrale nucléaire sur la rive sud de l'estuaire, d'abord au Pellerin, dans l’agglomération nantaise, puis sur le site du Carnet, près de Paimbœuf, est suspendu puis définitivement abandonné par le gouvernement dirigé par Lionel Jospin,  après les élections de 1997, et après une longue période de contestation démarrée en 1976.

La disparition de la navale et des activités industrialo-portuaires qui lui étaient liées laissent en plein cœur de la ville un vaste espace en déshérence qui suscite pourtant quelques chimères comme celle d’une zone économique à statut fiscal spécial (ZIA) portée par Jean-Joseph Régent, ancien Président du Port et de la CCI, et un promoteur luxembourgeois, zone censée accueillir les Quartiers Généraux de grandes multinationales. Le projet sera abandonné en 1989.

La volonté de conserver l’identité fluviale, industrielle et maritime est très présente. Dès 1992 la réhabilitation du bâtiment des Ateliers et Chantiers de Nantes est lancée. Il accueillera notamment la Maison des Hommes et des Techniques.

Une vaste réflexion est alors menée sur l’avenir de l’Île. Deux architectes, Dominique Perrault et François Grether, se voient confier une mission d’étude par la Ville de Nantes, à laquelle ils remettront leur projet en 1994. Le concept de l’Île de Nantes vient de naître.

Face à cet espace considérable à urbaniser, la Ville choisit de se renforcer sur elle-même. Elle veut le faire en créant un nouveau récit identitaire, respectueux de l'histoire industrielle et économique du lieu, sans remettre en cause les activités subsistant sur l'île, en privilégiant le traitement des espaces publics et notamment des berges, en choisissant de réhabiliter les friches existantes, d’aménager par îlots successifs autour d'implantations majeures, de s'appuyer sur la culture, et de favoriser l’appropriation de ces espaces nouveaux par l’événementiel ou la localisation d’activités grand public... En 1998, la ville lance un marché de définition destiné à formuler le projet. En décembre 1999, l’équipe menée par le tandem Chemetoff-Berthomieu est retenue pour conduire ce vaste chantier.

Parallèlement les équipements symboles des activités de la construction navale - cales de mise à l’eau et grues jaune et grise - sont rachetés par la Ville et sauvegardés, voire classés. L’ancienne Gare de l’État est réhabilitée et devient la Maison des Syndicats, symbole de l’attachement à l’histoire ouvrière de l’Île. La réhabilitation ou la reconstruction d’anciens bateaux symboliques (le Saint-Michel II de Jules Verne) sont encouragées. En 1999, la réhabilitation du Chantenay, l’un des roquios assurant la liaison Trentemoult-Chantenay est ainsi engagée par l’Association des Bateaux du Port de Nantes (ABPN) pour lui redonner sa capacité à naviguer sur la Loire. Les initiatives ponctuelles de traversée du fleuve entre Trentemoult et le quai de la Fosse révèlent d’ailleurs une certaine nostalgie de ces anciens modes de franchissement.

L’implantation du Palais de Justice en 2000 s’accompagne de la réhabilitation de la berge depuis le pont Haudaudine jusqu’au pont Anne de Bretagne avec, notamment, la création du quai François Mitterrand devant le palais lui-même. Simultanément la passerelle piétons Victor Schœlcher est construite, permettant le franchissement du bras de la Madeleine entre la place de la Petite Hollande et le nouveau quai.

Depuis le début des années 2000, l’Île de Nantes est ainsi le théâtre d’un grand chantier de rénovation urbaine, dont la maîtrise d’œuvre est assurée par la SAMOA (Société d'aménagement de la métropole Ouest Atlantique), qui fut créée en 2003.

Assez vite la question de la libération des espaces portuaires inutilisés par le Port Autonome fait partie des priorités de la SAMOA. Un échange de terrains est conclu entre la Ville et le Port qui, contre la libération de la zone dite des Chantiers (partie nord-ouest de l’île), récupère le site de l’ancienne centrale électrique de Cheviré, propriété de la Ville.

Cette première étape précède l’accord concernant à terme la libération des zones portuaires du sud-ouest de l’île, le long du quai Wilson. Le Port prépare donc le transfert des activités qui y sont encore, vers Cheviré. Ceci ne concerne pas les activités céréalières toujours localisées sur Roche-Maurice.

Dans la même logique, les grues et équipements portuaires du quai Wilson font également l’objet d’un transfert à Cheviré en 2005.

Ces transferts actent finalement l'idée qu'il faut cesser de chercher à adapter l'estuaire et son chenal aux bateaux qui continuent de grandir et grossir, comme on l’a fait depuis un siècle, et, à l'inverse, envisager de n’y faire naviguer que les bâtiments adaptés à sa morphologie.

Ceci admis, il devient possible et souhaitable de travailler à l'amélioration du fonctionnement de l'estuaire comme le propose le GIP Loire Estuaire.

Il devient possible aussi d'envisager d'autres rôles ou fonctions pour le fleuve dans l’agglomération, d'autres usages et d'autres pratiques pour ses habitants.

Depuis 1987 et la fin des chantiers de construction navale, il aura fallu pratiquement 15 années pour cicatriser cette profonde blessure et commencer à imaginer des retrouvailles d'une autre nature avec le fleuve « évanoui ».

En 2007, Estuaire, biennale d'art contemporain imaginée par Jean Blaise, donnera l'opportunité aux habitants de ce grand territoire de découvrir ou redécouvrir ce magnifique écrin que constituent la Loire et son estuaire. Les œuvres d'art présentées sont le déclencheur d'une nouvelle envie de Loire, d’une (re)prise de conscience de la richesse inestimable qu'elle constitue pour la métropole Nantes-Saint-Nazaire.

En 2008, les Rencontres du Fleuve, financées par le Conseil Général de Loire-Atlantique, fourniront une autre occasion de faire la fête sur le fleuve et sur ses rives, d’Ancenis à Saint-Nazaire. Mariant musiques du monde et patrimoine fluvial, ces rencontres confirmeront cette envie de Loire retrouvée.