L'occitan, qu'es aquò ?

L'occitan, qu'es aquò ?

Par Marie-Jeanne Verny, Université Paul Valéry Montpellier 3

# Présentation

Ce parcours propose de situer la langue occitane à travers l'espace et l'histoire, notamment celle des dernières décennies.

     

Introduction

L’occitan est une langue romane qui désigne l’ensemble des variétés pouvant être rassemblées sous le terme de langue d’oc (par opposition aux variétés d'oïl). D’un point de vue dialectal, on dégage six dialectes regroupés en trois grands ensembles : l'occitan méridional (languedocien et provençal), l’occitan septentrional (limousin, auvergnat, vivaro-alpin) et le gascon. Sa proximité linguistique avec le catalan permet en outre de définir un ensemble occitano-roman au-delà des limites fixées traditionnellement pour le gallo-roman. Une des caractéristiques de l’occitan est l’étendue de son aire linguistique. En France, il recouvre un espace considérable, correspondant à quatre régions administratives (Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur), 34 départements ou encore huit académies. Au-delà des frontières administratives de France, il s’étend en Italie, dans une douzaine de vallées piémontaises [1], et en Espagne, dans le Val d’Aran.

[1] Il faut y ajouter une enclave « vaudoise » en Calabre, Guardia Piemontese, depuis le XIVe siècle.

# Quelques rappels historiques

Si au Moyen Âge le latin reste encore la langue qui sert pour les domaines écrits et religieux, on voit aussi émerger à cette époque des écrits en langue vulgaire. Les premiers véritables textes occitans conservés datent du XIe siècle mais le succès des troubadours permet, aux XIIe et XIIIe siècles, d’étendre plus massivement encore l’usage de cette langue aux registres écrits, administratif, juridique ou scientifique occitan. Cet usage de l’occitan dans les registres officiels et prestigieux se développe considérablement jusqu’à la première moitié du XVe siècle, mais décroît ensuite peu à peu avec la progression de l’usage du français officiel écrit.

L’abandon progressif s'accompagne de la perte des conventions graphiques médiévales au profit d’une notation de l'oralité dialectale au moyen du système graphique du français. De plus en plus, la production écrite se réduit aux registres populaires ou religieux (littérature carnavalesque, Noëls, etc.), même si des auteurs continuent de défendre la dignité littéraire de l’occitan.

La Révolution française, en liant l'idée de progrès et d'unité républicaine à la pratique du français, finit par diffuser l’idée de la supériorité naturelle de la langue officielle. C'est avec la scolarisation obligatoire, à la fin du XIXe siècle, que se met en place un processus massif de substitution linguistique dans l'usage oral et que s’interrompt progressivement la transmission familiale de la langue occitane. La francisation touche d’abord les villes puis gagne les populations rurales, de plus en plus souvent contraintes à s’exiler vers les villes, Paris, ou les grands centres urbains. Bien sûr le français qui s’est progressivement mis en place depuis quelques siècles dans le Midi n’est pas celui de Paris, mais un français élaboré à partir d’un substrat phonologique occitan. Il se caractérise non seulement par un accent méridional mais par la francisation de bon nombre de formes occitanes importées dans le français régional.

# Deux normes graphiques principales

# La norme classique

Au cours du XIXe siècle, le regain progressif d’intérêt pour l’occitan a favorisé, chez certains auteurs, la volonté de restaurer la graphie classique, autrement dit le système autonome d’écriture qu’avait mis en place l’occitan médiéval. C’est notamment le cas du Languedocien Fabre d’Olivet (1803) ou du Provençal Simon-Jude Honnorat (1846). Au début du XXe siècle, la graphie classique de Perbosc et Estieu a connu un certain succès. Mais il n’y avait pas encore de norme précise, il ne s’agissait que de conventions assez vagues. Le Languedocien Louis Alibert a publié en 1935 sa Gramatica Occitana. Cet ouvrage est le point de départ d’une véritable norme qu’on appelle norme classique (nòrma classica) dont l’usage est devenu majoritaire aujourd’hui. Elle s’inspire du fonctionnement de la norme du catalan qui a été élaborée dans les années 1910 par Pompeu Fabra. La norme classique a pris un essor important durant la seconde moitié du XXe siècle grâce au soutien de l’Institut d’estudis occitans (IEO), fondé en 1945. La norme classique s’est alors diffusée dans les années 1950 et a acquis un usage majoritaire dans toute l’Occitanie au cours des années 1960-70. C’est aujourd’hui le seul système qui soit disponible dans la totalité des dialectes d’oc.

# La norme mistralienne

À côté de la norme classique, la norme mistralienne est un autre système important dans la vie contemporaine de l’occitan. En 1853, l’écrivain provençal Joseph Roumanille a proposé une orthographe précise pour le provençal en s’appuyant principalement sur les habitudes de notation à la française. L’association du Félibrige, fondée en 1854, a adopté ce système. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le prestige de Mistral et du Félibrige a étendu l’usage de la norme mistralienne dans l’ensemble de l’Occitanie. Elle a été adaptée aux autres dialectes que le provençal. Après la mort de Mistral, en 1914, le Félibrige a perdu une partie de son dynamisme même s’il est resté jusqu'à nos jours une association importante. Le Félibrige est partagé entre la norme mistralienne, utilisée notamment par le Félibrige provençal et la norme classique, utilisée massivement ailleurs.

# L’essor de l’occitanisme contemporain - L’occitan aujourd’hui

Dès la mise en place de l’école obligatoire, il ne reste que peu d’espace pour la défense publique de l’occitan. Même si en 1911 Jean Jaurès émet déjà l’idée que la connaissance de l’occitan est un atout permettant une acquisition plus rapide des autres langues romanes ; même si l’occitan est encore parfois la langue de la revendication sociale (c’est le cas lors de la révolte des vignerons en 1907) ou est sporadiquement utilisé dans des discours publics (le 1er mai 1905, Jean Jaurès utilise l’occitan pour l’inauguration de la coopérative viticole de Maraussan, près de Béziers), il manque encore à la langue les outils techniques qui permettrait de la définir comme une langue à part entière.

La création de l'IEO (Institut d’estudis occitans), à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, va contribuer à donner un nouvel élan à la langue occitane. Tout en promouvant la norme classique et en soutenant la création littéraire, l’IEO a tenté de faire de l’occitan non plus seulement un objet d’étude, à l’instar des études romanes, mais un outil de communication et de pensée moderne. Il oriente peu à peu son action vers la reconquête sociale de la langue. L’école qui avait contribué à la substitution linguistique devient alors l’espoir d’une reconquête possible de la langue. Un des acquis institutionnels majeurs du XXe siècle pour l’occitan comme pour toutes les autres langues de France sera la promulgation de la Loi Deixonne (1951) qui a autorisé l’enseignement de l’occitan dans les écoles. Ainsi l’occitan a pu peu à peu se développer à tous les niveaux du système éducatif.

Dans les années 1960, à côté d’un occitanisme « littéraire », va se développer un occitanisme plus politique. L’occitan devient par la parole publique un vecteur de la contestation sociale et acquiert une nouvelle audience. Grâce à l’essor de la nouvelle chanson occitane ou du théâtre militant. À cette période de contestation va se substituer lentement une amorce d’institutionnalisation, voire de professionnalisation de l’occitan qui mènera à la situation que l’on connaît aujourd’hui.

Aujourd’hui, on peut dire que, toutes proportions gardées, la langue occitane commence à réinvestir des espaces culturels et sociaux dont elle était absente. Paradoxalement, alors que la transmission familiale s’est interrompue de façon irrémédiable après la guerre de 1940, et au moment où s’éteignent les derniers locuteurs vivants (dans les zones rurales), s’éteint aussi la honte, la vergonha, appelée parfois par hyperbole « auto-òdi » et les sondages font état très majoritairement d’un attachement des populations à leur langue. Le terme de « patois » a perdu de la vigueur et cédé peu à peu du terrain devant l’expansion du terme « occitan » qui suscite à présent une adhésion nationale et internationale.

Le choix par sondage du nom de la région Occitanie – qui heurte cependant une partie des militants occitanistes des autres régions occitanes, lesquels se sont sentis exclus – est aussi le signe de cet attachement. Certes, il s’agit de déclarations qui ne sont pas toujours suivies d’actes (apprentissage de la langue, inscription des enfants dans des écoles enseignant l’occitan...), mais il s’agit là d’un signal positif.

La progression du nombre de néolocuteurs est aujourd’hui difficilement estimable, mais il est sûr que cette pratique de l’occitan est encore loin de pouvoir compenser le déficit de plus en plus grand de locuteurs naturels.

Signe si ce n’est d’un intérêt du moins d’un respect et d’une tolérance plus grande des pouvoirs publics face à l’occitan, un grand nombre de villes et villages ont mis en place une signalisation bilingue. Ces évolutions sont probablement la conséquence, directe ou indirecte, de la reconnaissance publique dont l’occitan commence à faire l’objet. Ainsi, des chargés de mission à la langue et à la culture occitanes ont-ils été recrutés depuis les années 1980 par les régions, les départements ou les villes.

L’action revendicative et le militantisme culturel ont permis la création du CIRDOC (Centre international de recherche et documentation occitanes) et de l'Institut Occitan, ou favorisé la mise en place des premières bases institutionnelles (Loi Deixonne, enseignement primaire, secondaire et supérieur, création d'un CAPES puis d’une agrégation, des Calandretas et des classes bilingues publiques).

Deux organismes se sont donnés pour tâche d’œuvrer à la normalisation de la langue : Lo Congrès, qui regroupe les principales associations occitanes (Association internationale d’études occitanes (AIEO), Fédération des enseignants de langue et culture d’oc (FELCO), IEO, Calandreta...) et l’Acadèmia Occitana. Pour sa part, le Félibrige s’est donné pour tâche de renouveler la base indispensable du dictionnaire mistralien Lou Tresor dóu Felibrige, en créant le Conseil de l’écrit mistralien.

L’occitan s’est développé de manière modeste dans les médias. Avec l’autorisation des radios libres dans les années 1980, sont apparues les premières radios associatives en occitan (Ràdio País, Ràdio Occitània). D’autres ont vu le jour plus récemment. C’est le cas de Ràdio Lengadòc à Montpellier. La place de l’occitan à la télévision reste encore très limitée.

La presse régionale continue d’accorder sporadiquement une petite place à l’occitan, il existe quelques revues d’information culturelles ou littéraires. En revanche, l’hebdomadaire d’information, La Setmana, entièrement en occitan, a cessé de paraître en 2018. Ces dernières années, le succès d’Internet a permis un développement sans précédent des échanges en occitan permettant de créer des liens entre des personnes partageant un intérêt commun pour la langue et la culture (nombreux sites amateurs ou professionnels, forums de discussions, revues électroniques).

Sans le recours aux messageries et autres réseaux, il aurait sans doute été difficile de rassembler les dizaines de milliers de personnes qui se sont retrouvées à Carcassonne en 2005 pour la défense de la culture et de la langue occitanes, puis successivement à Béziers (2007), Carcassonne (2009), Toulouse (2012). La manifestation de Montpellier en 2016 semble cependant marquer une décrue du mouvement.