Allocution du 08/06/1962

08 juin 1962
14m 25s
Réf. 00079

Notice

Résumé :

Allocution télévisée et radiodiffusée prononcée par le général de Gaulle au palais de l'Elysée, trois semaines avant le référendum d'autodétermination prévu en Algérie, le 1er juillet, pour confirmer la signature des Accords d'Evian et le cessez-le-feu du 18 mars 1962. Il commence par dresser une rétrospective du conflit avec l'Algérie, avant de formuler des voeux pour l'avenir.

Type de média :
Date de diffusion :
08 juin 1962
Type de parole :

Éclairage

A trois semaines du référendum prévu en Algérie le 1er juillet pour ratifier les accords d'Evian (que les Français ont approuvé à 90% le 8 avril) le général de Gaulle s'adresse aux Français pour magnifier le résultat obtenu et préparer l'avenir, une fois tournée la page algérienne. En effet tandis que l'OAS met l'Algérie à feu et à sang, se proposant de la remettre dans l'état où les Français l'ont trouvée en 1830, les partisans de l'Algérie française déposent une motion de censure contre la politique algérienne du Général (rejetée le 6 juin) et les ministres MRP quittent le gouvernement, en désaccord avec la politique européenne. Aussi, le Général rappelle-t-il l'impuissance de la IVème République face au conflit algérien, le résultat obtenu malgré les obstacles lors des négociations qui ont mis fin à la guerre, les garanties accordées aux français en Algérie, la coopération substituée à l'affrontement. Or, affirme-t-il, seules les institutions donnant au Chef de l'Etat appuyé sur la confiance du peuple les moyens d'agir ont permis de trouver une solution. Il est donc nécessaire qu'elles soient maintenues pour que la France puisse affronter les innombrables défis qui se présentent à elle.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Dans vingt-trois jours, pour la France le problème algérien sera résolu au fond, l'Algérie disposera d'elle-même. L'Algérie et la France pourront coopérer organiquement et régulièrement. Les Algériens de souche européenne auront les garanties nécessaires pour prendre part en toute liberté, en toute égalité et en toute fraternité à la vie de l'Algérie nouvelle. C'est cela que la France aura voulu et obtenu. Oui, dans vingt-trois jours, le peuple algérien va, par le scrutin d'autodétermination, ratifier les accords d'Evian ; Instituer l'indépendance et consacrer la coopération, comme le peuple français, par le référendum du 8 Avril dernier y a souscrit lui-même pour sa part. Ainsi, par-dessus toutes les crises et toutes les passions, c'est par une libre décision et un accord raisonné des deux peuples que s'ouvriront une nouvelle phase de leur rapport et un nouveau chapitre de leur histoire. Dès lors, quel rôle peuvent et doivent jouer demain en Algérie les Français qui y sont établis, qui l'aiment, qui y ont tant fait déjà, et dont ce pays a tant besoin ? Une fois de plus, j'affirme mon espoir que ce rôle ils le joueront pleinement dès que seront dissipés les derniers nuages sanglants par lesquels des fous criminels tentent encore de les égarer. Quel rôle aussi peuvent et doivent jouer pour le bien de leur patrie les dirigeants de la communauté musulmane, ceux qui sont en charge ou qui s'y apprêtent ; Et dont il est certain qu'avant peu ils auront à assumer les responsabilités capitales dans la République algérienne ? Quel rôle enfin peut et doit jouer la France dans l'essor de cette nation à laquelle elle est attachée par tant de liens et que tout lui commande d'aider à être libre et prospère ? Depuis cent trente-deux ans que le problème est posé à maintes reprises tragiquement et après plus de sept années d'une lutte absurde et lamentable, ce résultat portera la marque de la justice et de la raison. Mais, pour y aboutir, ce sont de rudes obstacles que la France a du surmonter. Quand en 1958, nous avons pris l'affaire corps à corps, nous trouvions, qui a pu l'oublier, les pouvoirs de la République anéantie dans l'impuissance. Une entreprise d'usurpation se constituant à Alger est sollicitée vers la métropole par l'effondrement de l'Etat. La nation, placée tout à coup au bord du gouffre de la guerre civile. En même temps, la rébellion musulmane, parvenue à son paroxysme et misant sur nos crises intérieures, s'affirmait résolue à l'emporter par les armes ; Se donnait comme assurée d'obtenir l'appui du monde et offrait à la communauté française un seul choix pour son avenir : la valise ou le cercueil. Mais, l'Etat une fois remis debout et la catastrophe évitée, redressement confirmé par l'adoption par le pays des institutions nouvelles à une majorité de quatre-vingt pourcents des suffrages. On a pu, pas à pas, mettre un terme à cette affaire. Oh, non sans mal, assurément, et chacun a vu, d'ailleurs, comment cela s'est passé. Sur place il fallait que notre armée maîtrisât le terrain et les frontières, afin qu'à aucun moment et en quoique ce soit, aucun échec ne pût influer sur les volontés de la France. Il fallait que nous prenions carrément comme but politique l'autodétermination et la coopération, tandis que la mise en oeuvre du plan de Constantine faisait sentir à toute l'Algérie combien était essentielle l'aide de la France pour sa vie. Ainsi, la rébellion musulmane, renonçant à ses outrances et répondant aux désirs de la masse, en venait-elle peu à peu à prendre le chemin de la terre, à entrer en contact avec nous et à conclure en définitif des accords permettant à l'Algérie de s'exprimer en toute connaissance de cause. Il fallait qu'au dehors toutes les tentatives d'ingérence et de pression internationale qui se multipliaient à l'envie n'eussent aucune prise sur notre politique. Il fallait que fussent brisés les complots successifs, affaires et barricades. L'insurrection d'Avril 1961, et depuis lors, action acharnée de subversions terroristes menées hélas par des Français qui usent de l'assassinat, du vol et du chantage ; Tout soulèvement qui visait à forcer la main au pouvoir, à l'ébranler, à le renverser et à jeter la France aux abîmes. Ce qu'il fallait faire fut fait. Mais c'est, chacun l'a vu, parce que les institutions nouvelles permettent à l'Etat d'agir au lieu que les anciennes ne pouvaient que l'en empêcher. Que le pouvoir peut décider au lieu de tergiverser toujours qu'il tient bon au lieu de trébucher et de culbuter sans relâche. Surtout, Françaises, Français, chacun a vu que la fidèle confiance dont vous m'avez en masse investie, m'a moi-même obligé et soutenu jour après jour. Et que cet accord direct entre le peuple et celui qui a la charge de le conduire est devenu dans les temps modernes essentiel à la République. Maintenir dans ce domaine ce qui vient d'être éprouvé, telle est la conclusion que nous devons tirer une fois réglée la question algérienne. Dans ces temps durs et dangereux mais remplis d'espérance, nous avons en effet tant de choses à faire qui commandent notre destin, poursuivent notre développement économique, social, démographique, scolaire, scientifique, technique. Pratiquer la coopération avec les Etats du monde, avant tout ceux de l'Afrique dont nous sommes solidaires par l'idéal, la langue, la culture, l'économie, la sécurité. Contribuer aux progrès des deux milliards d'hommes qui peuplent les pays sous-développés. Nous doter des forces de défense, telles que pour qui que ce soit attaquer la France, ce pourrait être aller à la mort. Avec nos alliés, assurer la sécurité, l'intégrité du monde libre face à la menace des Soviets. Aider l'Europe occidentale à construire son unité, sa prospérité, sa puissance, son indépendance. Hâter le jour où peut-être le régime totalitaire, ayant perdu de sa virulence et abaissant les barrières, tous les peuples de notre continent se retrouveront dans l'équilibre, le bon sens et l'amitié. Bref, pour accomplir la mission de la France, nous devons, oui nous devons, être et rester librement un grand peuple rassemblé. Depuis quatre ans, en dépit des orages, c'est au fond ce que nous sommes, comme nous l'avons alors décidé massivement et solennellement par le suffrage universel, y ont trouvé certainement leur compte, la justice et l'efficacité. Françaises, Français, par la même voie et au moment voulu, nous aurons à assurer que dans l'année et par delà les hommes qui passent, la République puisse demeurer forte, ordonnée et continue. Vive la République ! Vive la France !