Voyage du général de Gaulle au Québec

23 juillet 1967
17m 53s
Réf. 00136

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle, débarqué du croiseur Colbert, est accueilli au Québec, à l'Anse-au-Foulon, par le gouverneur général. Il prononce un bref discours de remerciement. En remontant la "route du roy", le Général fait halte dans plusieurs villes. Il prononce un discours depuis l'Hôtel de Ville de Québec, depuis la place de Trois-Rivières, puis il lance à la foule rassemblée à Montréal le fameux "Vive le Québec libre !", qui fait couler beaucoup d'encre. Il assiste enfin à un banquet donné en son honneur, avant de regagner la France par avion.

Type de média :
Date de diffusion :
28 juillet 1967
Date d'événement :
23 juillet 1967

Éclairage

Du 23 au 26 juillet 1967, le général de Gaulle accomplit la première visite officielle d'un chef d'État français au Québec (mais c'est la quatrième fois qu'il se rend au Canada). C'est à Brest, le 15 juillet, qu'il embarque à bord du croiseur Le Colbert en compagnie de son épouse et du ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville. Après une halte à Saint-Pierre-et-Miquelon le 20 juillet, il gagne Québec par l'embouchure du Saint-Laurent (plusieurs mois de négociations avec le gouvernement canadien - qui craint que de Gaulle ne motive les poussées indépendantistes de certains Québécois - ont été nécessaires pour que ce voyage débute par la province francophone).Le reportage démarre sur des images de son arrivée, le 23 juillet, à l'Anse-au-Foulon, le port de Québec, où il est accueilli par Roland Michener - le gouverneur général canadien - et par le premier ministre québécois, Daniel Johnson. Au micro, il évoque son "immense joie" d'être là, parmi les Canadiens français, dont l'accueil enthousiaste ne sera jamais démenti tout au long du parcours présidentiel.Plus tard, au balcon de l'Hôtel de Ville de Québec, il rappelle les liens historiques qui lient la France à la province canadienne (découverte par l'explorateur Jacques Cartier, elle fut abandonnée à la Grande-Bretagne par Louis XV en 1763). Le lundi 24 juillet, le général de Gaulle emprunte le Chemin du Roy (tracé par Louis XV) qui relie la ville de Québec à celle de Montréal. Tout au long de la route (comme à Donnacona, Trois-Rivières ou Repentigny), il s'arrête pour saluer et adresser quelques mots aux très nombreux Québécois venus à sa rencontre ; il rappelle que France "a des devoirs envers eux" et qu'elle "doit les aider".Plus tard dans la journée, depuis le balcon de l'Hôtel de Ville de Montréal - où il est reçu par le maire Jean Drapeau - il prononce un discours improvisé qui s'achève par ces mots célèbres "Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! Vive le Canada français et vive la France !", provoquant un débordement d'enthousiasme de la part d'une foule majoritairement indépendantiste (le reportage montre les très nombreuses pancartes siglées RIN, c'est-à-dire en faveur du Rassemblement pour l'Indépendance Nationale). Dans ce retentissant discours, qui provoque l'ire du gouvernement fédéral canadien, mais aussi américain et britannique, le général de Gaulle reconnaît l'effort de modernisation, mais aussi d'affranchissement des Québécois. Mais il se défend d'avoir formulé un appel au soulèvement ou à l'indépendance politique. Malgré les très vives critiques formulées par Ottawa, le voyage se poursuit néanmoins, et le 25 juillet, de Gaulle visite l'Exposition universelle, puis le jour suivant, l'Université de Montréal. L'incident diplomatique est pourtant grave : si ses échos retentissent partout, plaçant ainsi le Québec sous les feux des projecteurs mondiaux, le Général achève néanmoins sa visite sans se rendre dans les territoires anglophones. Mais avant de partir, il souhaite - lors de sa réponse au toast adressé par Jean Drapeau - que son voyage ait pu "contribuer" à l'élan du Québec.

Aude Vassallo

Transcription

Reporter
Dimanche, neuf heures, le Colbert à L'Anse Au Foulon, port de Québec. Police montée et drapeaux à fleurs de lys, tricolores aussi. C'est l'arrivée du Général de Gaulle pour son quatrième voyage au Canada. Les honneurs rendus par ce vingt deuxième régiment royal, uniforme britannique, troupes francophones. Le gouverneur général Michener souhaite d'abord la bienvenue au Président de la République, puis c'est Daniel Johnson, Premier ministre du Québec, qui s'adresse à lui.
Daniel Johnson
Vous nous avez témoigné en toute circonstance et spécialement lors de notre récent séjour à Paris, une telle bienveillance et une telle cordialité que j'ai plutôt en ce moment l'impression d'accueillir des amis très chers. Qu'il n'est pas un fils de ce peuple français qui ne veuille avec moi vous dire : Soyez le bienvenu en Nouvelle France !
Charles de Gaulle
C'est avec une immense joie que je suis chez vous au Québec, au milieu des canadiens français. Voilà les sentiments qui m'animent en venant à votre aimable invitation visiter une fois de plus le Québec. Mais cette fois je le sais, je le vois, je le sens, au milieu de la grande évolution qui entraîne ce pays.
Reporter
Premières images de ce Québec en évolution, la foule massée sur la place de l'Hôtel de Ville. Quelques uns des six millions de canadiens français groupés pour les quatre cinquièmes dans la province mère du Québec. La visite du Président français est pour eux l'occasion d'affirmer leur appartenance à une communauté différente de celle des quatorze autres millions de canadiens.
Annonceur
En votre nom, au premier citoyen de la République française, le président le Général de Gaulle !
Reporter
En dépit d'une coupure avec Paris qui fut longue d'un siècle, quand le Canada était devenu anglais, les canadiens français ont gardé leur langue, leur tradition. Depuis quelques années ils affirment leur droit à une égalité réelle avec les anglophones. Certains sont séparatistes, d'autres veulent que le Québec soit un Etat associé au reste du Canada mais le vent est au moins à une révision constitutionnelle. Et au Québec, il est aussi au resserrement des liens avec la France. Aujourd'hui c'est le retour à des relations plus étroites avec la mère patrie que l'on célèbre au Québec.
Charles de Gaulle
Nous sommes liés de part et d'autre de l'Atlantique par un passé aussi grand que possible et que nous n'oublierons jamais. Nous sommes liés par le présent, parce qu'ici comme dans les vieux pays, nous nous sommes réveillés. Nous avons épousé notre siècle. Nous sommes liés par notre avenir. Mais on est chez soi ici, après tout. Par notre avenir parce que ce que nous faisons ici et là-bas, tous les jours un peu plus nous le faisons ensemble.
Reporter
Près du Québec, Sainte-Anne-de-Beaupré, l'un des hauts lieux du catholicisme au Canada, messe solennelle et puis comme cela se ferait dans l'une quelconque des provinces de France, présentation des personnalités locales. Lundi matin, rythme nouveau pour la vieille alouette à l'une des étapes des deux cent soixante dix kilomètres de la route du roi que parcourt le cortège. Cette route fut le premier chemin carrossable au Canada. Donnacona, du nom du chef huron que Jacques Cartier amena en France il y a quatre siècles, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Berthierville, Repentigny, voilà les noms des villages qui jalonnent cet axe de communication sur la rive Nord du Saint Laurent. Des villages, des villes quelquefois, où à sept reprises dans la journée le général de Gaulle va brièvement prendre la parole. Dans un crescendo d'enthousiasme, c'est un bain de foule jamais vu au Canada, l'un des plus mémorable aussi pour le Président de la République. En estimant au total à trois millions de personnes le nombre des québécois qui en trois jours de la vieille capitale à Montréal verront, entendront, applaudiront leur visiteur. Passant des fermiers aux majorettes, dans un carrousel de bruit et de couleur, en dépit de quelques averses, on arrive à l'étape principale de ce parcours champêtre, Trois-Rivières, qui s'enorgueillit d'être la capitale mondiale de la pâte à papier.
Charles de Gaulle
De tout mon coeur je remercie Trois-Rivières, sa population si émouvante, parce que voilà un témoignage vraiment magnifique. C'est ce que nous voulons et pour cause, appeler le fait français.
Reporter
Longue haie ensuite jusqu'à Montréal dont l'accueil en fin d'après-midi va étonner. Cinq cent mille Montréalais dans les longues rues qui mènent au centre où accompagné de Monsieur Johnson, le Général de Gaulle va être accueilli par le Maire Jean Drapeau.
Charles de Gaulle
Je vais vous confier un secret que vous ne répèterez pas. Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. Et tout le long de ma route, outre cela j'ai constaté quel immense effort de progrès, de développement et par conséquent d'affranchissement vous accomplissez. Vous accomplissez ici, et c'est à Montréal qu'il faut que je le dise, parce que s'il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c'est la vôtre. J'emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit, entend ce qui se passe ici, et je puis vous dire qu'elle en vaudra mieux. Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre !
Reporter
Le contenu du discours de l'Hôtel de Ville alimente aussitôt les commentaires et fait les titres des journaux. Vingt quatre heures plus tard, le Premier Ministre Fédéral, Monsieur Pearson, après deux réunions de cabinet, qualifiera d'inacceptable la déclaration du Président. Ce qui amènera le Général de Gaulle à ne pas se rendre à Ottawa, comme c'était prévu à l'origine, et à terminer sa visite à Montréal. Montréal où c'est mardi, la journée de la France à l'exposition universelle. Titre de fierté pour les Montréalais que cette exposition. Elle montre leur dynamisme, leur vitalité. Alors que la polémique politique se développe, visite de pavillons marathon. L'accueil étant, de l'avis des Montréalais, plus chaud que celui réservé jusque-là à tous les chefs d'Etat en visite à l'exposition en 1967. De la Terre des Hommes le mardi, on passe mercredi à une brève visite de Montréal, dont le panorama se développe au pied du Mont Royal qui a donné son nom à la ville. Une compagnie franche de la marine royale, uniforme Louis XV, fusil d'époque, salue l'hôte de la Nouvelle France. Là même où les premiers colons venus d'Anjou ou de Bretagne ou d'une autre province française s'établissaient il y a trois cent vingt-cinq ans. A l'université de Montréal, le recteur évoque la progression du fait français en Amérique, puis c'est le banquet à l'Hôtel de Ville de Montréal à l'issue duquel, Monsieur Drapeau et le Général de Gaulle prononcent les dernières allocutions du voyage dans le prolongement de la décision d'écourter la visite.
Jean Drapeau
Depuis L'Anse au Foulon jusqu'à ce moment, il y a eu une explosion chez nous. Une explosion réelle d'un sentiment qui reste indéfinissable. Explosion réelle, ça ne peut pas se nier, indéfinissable non plus. Vous avez vécu avec notre population des moments historiques. Le Canada français a commencé de se tourner résolument vers l'avenir. Et ce n'est prendre la place de personne comme il a dit l'un de nos grands historiens que d'occuper la sienne. Et c'est à cause des vertus dont nous avons hérité de nos ancêtres, que les défis ne nous ont jamais fait peur et que nous croyons possible de jouer au Canada un rôle. Je veux respecter les proportions, mais je dis quand même analogue en Amérique du Nord à celui que la France joue en Europe et pour l'humanité.
Charles de Gaulle
Du fait d'une sorte de choc auquel ni vous ni moi-même ne pouvions rien, c'était élémentaire et nous en avons tous été saisi au cours de ce voyage, je crois avoir pu aller en ce qui vous concerne au fond des choses. Et quand il s'agit du destin, et notamment du destin d'un peuple, en particulier du destin du peuple canadien français ou français canadien, comme vous voudrez, aller au fond des choses, y aller sans arrière-pensée. C'est en réalité, non seulement la meilleure politique, mais c'est la seule politique qui vaille en fin de compte. Ensemble nous avons été au fond des choses et nous en recueillons les uns et les autres des leçons capitales. Nous les emportons pour agir. Et je voudrais que, quand je vous aurai quitté avec ceux qui m'accompagnent, vous ayez gardé l'idée que la présence en quelques jours du Général De Gaulle dans ce Québec en pleine évolution, Ce Québec qui se prend, ce Québec qui se décide, ce Québec qui devient maître de lui, mon voyage dis-je, aura pu contribuer à votre élan. C'est tout naturel.