Allocution du 17 décembre 1965

17 décembre 1965
07m 19s
Réf. 00252

Éclairage

Le premier tour de l'élection présidentielle le 5 décembre 1975 a constitué une déception pour le général de Gaulle. Alors qu'il espérait un raz-de-marée populaire en sa faveur permettant une élection triomphale dès le premier tour, il a été mis en ballottage. Sans doute, avec un score de 43,7% des suffrages exprimés est-il arrivé très largement en tête des candidats, son principal adversaire François Mitterrand, qu'il affrontera au second tour le 19 décembre, ne parvenant à rassembler que 32,2% des suffrages. Il n'empêche que, d'une certaine manière, le ballottage le ravale au niveau des représentants des partis, alors qu'il entendait demeurer au-dessus de ceux-ci.

Aussi se trouve-t-il en quelque sorte contraint, pour ne pas répéter l'erreur du premier tour où il a dédaigné de faire campagne, de solliciter le vote des électeur en utilisant à plein son temps d'antenne, d'une part en prononçant les 11 et 17 décembre deux allocutions radio-télévisées, d'autre part sous la forme de trois entretiens avec le journaliste Michel Droit les 13, 14 et 15 décembre.

Si son allocution initiale le 11 décembre avait été axée sur son bilan, la charge contre l'opposition ne différant guère de ses diatribes habituelle contre le régime des partis, celle du 17 décembre , à l'avant-veille du scrutin, est essentiellement destinée à représenter aux Français le risque que ferait courir au pays l'élection de son adversaire. Sa description du "régime du passé", de son impuissance, de ses échecs, de l'abaissement auquel il conduirait le pays, d'autant que ses champions sont divisés entre eux, et qu'ils feront de la France le jouet des deux hégémonies qui se disputent la planète, est destinée à servir de repoussoir pour les électeurs. De plus, son adversaire, ignoré dans sa première allocution est vivement attaqué dans celle-ci. Le général ne dissimule guère le mépris que lui inspire ce candidat des partis, qui n'a d'existence que par eux, qui ne se soucie guère de l'intérêt général et s'apprête à ramener la France au règne des partis politiques.

Ce tableau, poussé au noir, lui permet donc de valoriser sa propre candidature qui se confond avec la poursuite des progrès enregistrés par la République nouvelle dont il trace à la fois le bilan et les perspectives d'avenir. Et l'allocution se termine sur une note inhabituelle d'humilité quant à sa personne, mais de promesse d'action pour le futur dans la ligne des réussites du passé.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Parce que l'estime et la considération qui entourent notre politique feraient place à une commisération, voire même à une dérision, qui nous coûterait certainement très cher. Parce que les deux puissances étrangères qui rivalisent pour l'hégémonie ne manqueraient pas de faire de cette mêlée un théâtre de leurs querelles par personnes interposées. En fin de compte et encore une fois, c'est au drame qu'irait l'aventure. Ce régime-à a un candidat. Je ne crois pas qu'aucun autre l'aurait été plus que lui. Désigné par les clans des partis, n'ayant de réalité et de possibilité que par eux et que pour eux, son mandat, s'il l'obtenait ne pourrait avoir d'autre objet que de les remettre en place afin qu'ils puissent reprendre leur tragi-comédie. Au point même où il y a sept ans, leur panique l'avait arrêté. Après quoi, que pourrait-il faire d'autre, à supposer qu'il s'en soucie, que d'être une enveloppe flottante de leurs crises et de leurs intrigues en attendant leur déconfiture. Car il n'y a pas de textes constitutionnels, de quelque façon qu'on les interprète suivant l'occurrence, ni de déclarations habilement balancée ni de promesses gratuitement distribuées, Qui puissent faire qu'en France, un chef de l'Etat en soit véritablement un, s'il procède non pas de la confiance profonde de la Nation, mais d'un arrangement momentané entre professionnels de l'astuce. Il y a d'autre part la République nouvelle. Depuis sept ans qu'elle fut fondée par la volonté du peuple, elle fait ses preuves dans la démocratie et sans manquer à la liberté. Elle donne à nos pouvoirs publics une stabilité, une continuité, une efficacité que nous n'avions jamais connues. Elle nous procure une paix complète, ce qui ne nous était jamais arrivé depuis plus d'un demi-siècle. Sur la base de finances en ordre et d'une monnaie exemplaire, extraordinaire innovation, elle assure à notre économie une croissante prospérité. Elle veut que tous y trouvent leur compte, en élevant le niveau de vie réel de chacun, à mesure que monte le revenu national, et en s'obligeant elle-même, de par la loi de notre plan, à corriger les retards. Après de grands progrès accomplis, quant aux problèmes de l'agriculture, de l'enseignement, de la recherche, du logement, des retraites, des sports, de l'équipement, du territoire, etc., Elle est prête à faire un nouveau bond en avant afin de les résoudre à fond. Ayant placé la France au milieu des peuples, un rang digne d'elle, et affirmé partout sa présence et son influence, elle entend porter l'Europe de l'Ouest à s'unir pour sa prospérité, s'efforcer d'établir l'entente et la sécurité sur notre continent tout entier, contribuer à régler le conflit qui sévit en Asie et qui menace de mener au pire, favoriser l'essor des pays les moins avantagés, et déterminer les plus puissants à une coopération directe pour le bien et le salut commun. La République nouvelle a son président, c'est moi. Me voici tel que je suis, je ne dis pas que je sois parfait, et que je n'aie pas mon âge. Je ne prétends nullement tout savoir et tout pouvoir. Je sais mieux que qui que ce soit qu'il faudra que j'aie des successeurs. Et que la Nation les choisisse pour qu'ils suivent la même ligne mais avec le peuple français. Il m'a été donné par l'histoire de réussir certaines entreprises. Avec le peuple français, je suis actuellement à l'oeuvre pour nous assurer le progrès, l'indépendance et la paix, avec vous toutes et vous tous, qui êtes le peuple français. Je pourrai demain donner à nos affaires une impulsion nouvelle, veiller de plus près encore à ce que chacun ait sa part dans le développement national. Et conduire la France, suivant sa vocation, à une action humaine redoublée au milieu du monde moderne. Françaises, Français, voilà pourquoi je suis prêt à assumer de nouveau la charge la plus élevée, c'est-à-dire le plus grand devoir. Vive la République, vive la France !