Discours à Saint-Cyr

02 août 1956
05m 42s
Réf. 00326

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle rend visite à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr installée à Coëtquidan en Bretagne et s'adresse aux élèves après avoir accueilli au musée de l'Ecole le drapeau de l'Ecole des cadets de la France Libre. C'est un message de confiance et d'espoir.

Type de média :
Date de diffusion :
02 août 1956
Type de parole :

Éclairage

La France vit depuis les élections de janvier 1956 avec une majorité de "Front républicain", unissant les gauches et la majorité des gaullistes du Parlement (ex-RPF, réélus sous l'étiquette "républicain social"), avec un gouvernement dirigé par le socialiste Guy Mollet dans lequel figurent des gaullistes, Jacques Chaban-Delmas (ministre d'Etat) et Maurice Lemaire (secrétaire d'Etat à l'industrie et au commerce). Le contexte est dominé par la guerre d'Algérie qui a commencé en 1954 mais est entrée dans une nouvelle phase depuis l'envoi du contingent et le début de la politique de pacification, à compter du printemps 1956.

Le gaullisme connaît une situation complexe depuis 1951-1955 quand le général de Gaulle a, d'abord, retiré le RPF de la vie électorale et parlementaire puis l'a mis en sommeil. Dès lors, une partie des gaullistes dont le général de Gaulle ont quitté toute activité politique : c'est pour l?homme du 18 juin, la "traversée du désert" au sens strict, entre 1955 et 1958. D'autres, la plupart des élus, réunis dans un parti, le "Centre national des républicains sociaux", continuent le combat politique dans les élections et dans les assemblées. Les relations entre les deux ne sont pas toujours faciles, les premiers reprochant souvent aux seconds leur intégration voire leur compromission dans la IVe République, les seconds se défendant en expliquant ne pas avoir perdu leurs objectifs et se battre à l'intérieur du système pour les faire triompher.

De Gaulle intervient fort peu publiquement durant la "traversée du désert" : entre septembre 1955 et mai 1958, il ne prend la parole que trois fois dont une fois, à Saint-Cyr, le 2 août 1956. Cela ne signifie pas qu'il soit inactif. Il rédige ses mémoires à Colombey, reçoit de très nombreux visiteurs à Paris et voyage dans la France d'Outre-Mer.

A Saint-Cyr, une fois encore, dans cette prestigieuse école dont il a été l?élève, il s'appuie sur son action passée pour inciter les Français à garder l'espoir, à ne pas renoncer et à croire, même dans les temps les plus difficiles, aux forces de la France pour l'avenir.

Bibliographie :

Jean Charlot, Le gaullisme d'opposition 1946-1958, Paris, Fayard, 1983.

Bernard Lachaise

Transcription

Charles de Gaulle
Je suis très content de vous voir, non pas seulement parce que de me trouver parmi vous, cela me fait remonter le penchant de mes jeunes années mais aussi parce qu'en voyant Saint-Cyr, en voyant l'école vigoureuse, vivante, j'éprouve une sorte d'éclatante confirmation de ce que j'ai pensé dans de grands et durs moments, à savoir qu'il ne fallait pas renoncer, qu'il fallait combattre, qu'il fallait, malgré tout, arracher, pour la France, un morceau de la victoire. Et bien, cela fut fait. Et je répète que s'il me fallait une preuve qu'il fallait le faire, ce serait l'existence de Saint-Cyr qui est là et qui s'affirme avec beaucoup d'autres choses françaises, lesquelles seraient devenues je-ne-sais-quoi si nous étions restés dans l'opprobre et dans l'humiliation, mais qui, après tout, renaissent avec leur espérance. Je sais bien, vous êtes les soldats d'une France, aujourd'hui, plongée dans une situation amère. Cela résulte de toute espèce de causes, les unes qu'on pourrait croire fortuites, qui sont les invasions et les révolutions, les erreurs des gouvernements, les fautes des commandements, et puis d'autres qui sont - il faut les voir en face - permanentes et essentielles ou qui l'ont été. Je veux parler de la diminution de notre nombre ou du moins du fait que pendant cent ans, il ne s'est pas accru alors qu'autour de nous, tous les autres s'accroissaient. Cette situation de la France résulte aussi de faits inéluctables comme, par exemple, l'absence de charbon ou de beaucoup de charbon, de pétrole, alors que le monde s'est fait avec le charbon et le pétrole. Et puis, la perpétuelle inconsistance de nos pouvoirs publics. Mais ces raisons-là, ces raisons permanentes, je ne parle pas des raisons fortuites : l'Histoire, maintenant, les a balayées jusqu'à ce que, peut-être, se présentent des occasions de n'en plus commettre de semblables, mais les raisons permanentes, essentielles, qui ont affaibli la France d'une manière absolue et relative, ces raisons-là, rien n'indique qu'elles doivent durer. Nous avons recommencé à nous multiplier. Nous sommes, nous, les Français, chaque jour, plus nombreux. C'est une chose qu'on n'avait pas vue depuis très longtemps mais qui existe, qui se maintient et qui, peu à peu, va changer tout chez nous : l'état d'esprit, l'esprit d'entreprise, l'obligation d'agir. Le pétrole et le charbon. Le charbon, nous n'en aurons pas plus que nous n'en avons. Le pétrole, on commence à en trouver quelque peu. Mais surtout, l'avenir de l'énergie est ailleurs, vous le savez bien. Et dans la matière atomique, nous n'avons absolument rien qui nous handicape par rapport à aucun peuple du monde. Il n'est que de vouloir, de prendre le problème corps à corps et de nous refaire une puissance par ce moyen-là. Quant à l'inconsistance des pouvoirs publics, je ne crois pas qu'elle durera toujours. Il me semble qu'elle est, chaque jour, plus nettement reconnue par tout le monde, sans exception, ce qui est la première condition pour que les choses s'améliorent. Je ne désespère aucunement, Saint-Cyriens, je vous le dis, de l'avenir de la France, bien qu'aucun homme, peut-être, n'ait eu à porter plus lourdement, plus durement tout ce qui lui a manqué, et dans des moments plus difficiles.