Vision de la Défense de la France

03 novembre 1959
05m 01s
Réf. 00335

Notice

Résumé :

Le général s'adresse à l'Ecole militaire à Paris, aux auditeurs de l'Institut des Hautes études de la Défense nationale et aux stagiaires de l'Enseignement militaire supérieur, pour affirmer la nécessité pour la France de disposer de sa totale indépendance en matière de défense. Cette allocution fera sensation dans la mesure où, à l'époque, une partie des forces françaises se trouve placée sous le commandement militaire intégré de l'OTAN.

Type de média :
Date de diffusion :
03 novembre 1959
Type de parole :

Éclairage

Président de la République depuis janvier 1959, de Gaulle n'oublie pas le théoricien militaire qu'il a été durant l'entre-deux-guerres, pas plus que les circonstances de la défaite de 1940 qu'il attribue autant à l'impéritie des dirigeants militaires qui ont été incapables de concevoir une stratégie adaptée à la guerre moderne qu'à la dissolution d'un Etat dont le pouvoir exécutif était privé de toute autorité. Aussi la visite qu'il rend le 3 novembre 1959 à l'Ecole militaire aux hautes institutions militaires françaises chargées de définir et de mettre en oeuvre la défense française (Institut des Hautes Etudes de Défense nationale, Centre des Hautes Etudes militaires, Cours Supérieur Interarmées et Ecoles de guerre formant les officiers d'état-major) est-elle pour lui l'occasion de définir les conceptions de défense nationale qu'il entend faire prévaloir.

Son allocution s'organise autour de trois idées fondamentales.

-En premier lieu, il insiste sur le fait que la maîtrise de la défense constitue un élément essentiel de la souveraineté, sans lequel il ne saurait y avoir d'Etat digne de ce nom. Ce qui implique qu'elle ne peut procéder que du gouvernement de la nation, même si elle peut naturellement être conjuguée avec celle des pays alliés, mais à condition que le rôle de chacun soit clairement précisé. Ainsi s'explique l'hostilité du Général entre 1950 et 1954 au projet d'armée européenne contenu dans le traité de Communauté européenne de défense, puis, après le refus du président Eisenhower d'instituer en septembre 1958, comme le lui demandait de Gaulle, un directoire à trois de l'Alliance atlantique, la décision de retirer progressivement les forces françaises de l'OTAN, organisation militaire intégrée de l'Alliance atlantique. En mars 1959, la flotte française de Méditerranée est ainsi retirée du commandement intégré et interdiction est faite aux Américains d'introduire en France des bombes atomiques. En 1966-67, le retrait total des forces françaises est effectif.

-La seconde idée est que cette défense nationale indépendante doit disposer d'une " force de frappe " autonome dont l'arme nucléaire sera le fer de lance. Dès son retour au pouvoir, le général de Gaulle fait presser les travaux de mise au point de la bombe atomique entamés par la IVème République et la première bombe " A " française éclate à Reggane au Sahara le 13 février 1960. Aussitôt commencent les études pour la construction d'une bombe à hydrogène qui explose à Mururoa en Polynésie en août 1968. Dotée de l'arme atomique, la France va construire les vecteurs capables de la transporter. D'abord les avions Mirage-IV de la société Dassault, puis, à partir de 1960, les travaux de construction d'un missile SSBS (sol-sol-balistique-stratégique) et ceux d'un sous-marin nucléaire Le Redoutable, lancé en 1967.

-Enfin, en troisième lieu, de Gaulle insiste sur le rôle du chef militaire qui ne doit pas se contenter d'appliquer des préceptes pré-établis, mais se préparer à répondre de manière responsable et imaginative à l'imprévu. On y retrouve le thème de " l'homme de caractère ", déjà décrit par lui en 1932 dans "Le fil de l'épée" et qui représente à ses yeux l'idéal du chef militaire (mais aussi politique).

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
En ce qui concerne la Défense dans son ensemble, je tiens à vous dire qu'il faut que cette défense de la France soit française. C'est une idée qui ne nous a pas toujours été très familière ces dernières années, je le sais. Il est indispensable qu'elle le redevienne. Un pays comme la France, s'il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. S'il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu'il est depuis ses origines. Il serait en contradiction avec sa structure, avec l'estime qu'il a de lui-même, avec son âme. Naturellement, il faut que la défense française soit, le cas échéant, conjuguée avec la défense d'autres pays. Cela est dans la nature des choses. Mais il est indispensable qu'elle nous soit propre, que la France se défende par elle-même, pour elle-même et à sa façon. C'est pourquoi, messieurs, la conception d'une défense, et même la conception des batailles dans laquelle la France ne serait plus elle-même et n'agirait plus pour son compte avec sa part bien à elle et suivant ce qu'elle seule veut, cette conception-là ne peut être admise. Le système qu'on a pu appeler d'intégration, et qui a été, sans doute, inauguré, et même, dans une certaine mesure, pratiqué après les grands malheurs que nous avions traversés, alors qu'on pouvait croire que le monde libre était devant une menace instantanée et sans limite, et que nous n'avions pas encore, peut-être, recouvré notre personnalité nationale, ce système de l'intégration, il faut qu'il ait vécu. Naturellement, cela va de soi, notre défense, la mise sur pieds de nos moyens, la conception de la conduite de la guerre doivent être, chez nous, je le répète, combinées avec ce qui est dans d'autres pays. Notre stratégie doit être conjuguée avec la stratégie des autres. Et sur les champs de bataille, il est infiniment probable, et j'ajoute qu'il est souhaitable, que nous nous trouvions aux côtés d'alliés, mais chacun ayant sa part à lui. Voilà ce que je recommande à vos réflexions. La conception, je le répète, d'une défense nationale de la France et de la communauté, d'une défense qui soit française, cette conception-là doit être à la base de la philosophie de vos centres et de vos écoles. Il y a une conséquence. C'est qu'évidemment, il faut que nous sachions nous pourvoir d'une force capable d'agir pour notre compte. Il faut que nous sachions nous pourvoir, dans les années qui commencent, de ce qu'on est convenu d'appeler une force de frappe susceptible d'agir pour notre compte, à tout moment et n'importe où. Il va de soi qu'à la base de cette force doit être l'armement atomique, que nous le fabriquions ou que nous l'achetions, mais qui doit nous appartenir. Et puisqu'on peut détruire la France, éventuellement, à partir de n'importe quel point du monde, il faut que notre force, à nous, soit faite pour pouvoir agir en n'importe quel point du monde.