Maurice Escande, nouvel administrateur de la Comédie-Française

18 février 1960
05m 12s
Réf. 00142

Notice

Résumé :

Maurice Escande présente ses grands projets pour la Comédie-Française dont il vient d'être nommé administrateur. Il a obtenu de ramener le délai de service obligatoire des sociétaires du Français de 20 ans à 15 ans. Il présente sa programmation et parle également des auteurs et des tournées à l'étranger.

Date de diffusion :
18 février 1960
Source :
ORTF (Collection: JT NUIT )
Artistes et personnalités :

Éclairage

Maurice Escande (1892-1973) arrive comme administrateur à la Comédie-Française en 1960. Il hérite d'un établissement en pleine crise. Claude Bréart de Boisanger, le précédent administrateur, n'est resté qu'une seule saison à la tête de l'établissement. Maurice Escande arrive avec le projet de réformer l'institution, de la moderniser. Il obtient d'abord de ramener l'obligation de service des sociétaires de 20 ans à 15 ans. Cette modification lui permet d'attirer de nouveaux comédiens et d'éviter le départ prématuré de ceux qui sont déjà dans la maison. La Comédie-Française est en effet un des rares théâtres français à avoir une troupe permanente salariée. Les comédiens sont répartis en trois catégories : les pensionnaires, qui sont engagés comme comédien dans la troupe, les sociétaires, nommés parmi les pensionnaires sur arrêté ministériel et proposition de l'administrateur général, et enfin les sociétaires honoraires, qualification honorifique pour les sociétaires ayant plus de 20 ans de maison et atteint l'âge de la retraite. L'existence de la troupe de la Comédie-Française remonte à 1640, elle a été créée par Louis XIV. L'institution n'est donc pas simple à réformer.

Maurice Escande souhaite également faire entrer de nouvelles pièces au répertoire et fait appel dans le même temps à des metteurs en scène extérieurs. Jusque là, la Comédie-Française avait des metteurs en scène issus de la maison, la plupart du temps également membres de la troupe. En 1960, le théâtre est en pleine ébullition, notamment suite à la politique de décentralisation théâtrale qui s'installe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En proposant à des metteurs en scène extérieurs de venir travailler au Français, Maurice Escande entend ouvrir la maison, et éviter ainsi de se couper de son époque. Par ailleurs, la Comédie-Française fonctionne avec un répertoire, composé de l'ensemble des pièces jouées par les Comédiens-Français sur la scène principale du théâtre, c'est-à-dire la Salle Richelieu, depuis 1640. Sous Louis XIV, les Comédiens-Français bénéficiaient d'un monopole sur les pièces françaises ; c'est ainsi que le fond du répertoire fut créé. Aujourd'hui, les pièces qui entrent au répertoire sont choisies par un comité de lecture, composé de douze personnes et présidé par l'Administrateur Général. Il y a actuellement 1024 auteurs au répertoire. Sans être une maison de découverte, là encore Maurice Escande estime qu'un certains nombres d'auteurs, dont Jean-Paul Sartre ou Albert Camus, devraient être inscrits au répertoire.

En 1970, après 10 ans de direction, c'est Pierre Dux qui est nommé à la place de Maurice Escande. Depuis 2006, c'est Muriel Mayette qui est administrateur général de la Comédie-Française.

Sidonie Han

Transcription

C
Monsieur l’Administrateur, la première question que je vais vous poser, je m’en excuse, touche davantage la vie intérieure de votre maison que ses manifestations extérieures. Mais je crois que c’est une question qui intéresse quand même beaucoup le public. Un certain nombre de mesures d’assouplissement portant sur certaines règles essentielles de la maison viennent d’être envisagées ou même décidées. Est-ce que vous pourriez au moins, nous parler de celles qui, comme je disais, intéressent, le plus souvent le public ? Oui, ces décrets je suis autorisé à vous dévoiler dès maintenant, c’est celui des vingt ans. Vous savez que jusqu’à présent un sociétaire était obligé de rester vingt ans dans cette maison. Il ne pouvait absolument pas s’en aller avant cette date sans avoir un procès, ce que nous avons vu quelques fois. J’ai demandé aux autorités de tutelle, de ramener ce délai à quinze ans. Il m’a semblé que dans une époque, où tout est si rapide, où nous brûlons notre vie, il était bien difficile de demander à un comédien de s’engager pour vingt ans. Ça fait très peur vous savez ! Et je crois, puisque ça a été accordé, je crois que ça me permettra de garder à la Comédie-Française des acteurs qui songeaient à s’en aller. Si je prends par exemple le cas de Robert Hirsh que tout le monde connaît et que tout le monde aime. C’est un acteur très en vogue et qui le mérite. Et bien, il est bien certain qu’il lui resterait maintenant, il va lui rester, trois ans à faire. Ce n’est rien pour lui, je pense que ça le décidera à rester chez nous sans partir en claquant les portes. Et pendant ces trois ans, et bien c’est à nous à savoir le garder, à lui faire une prison si dorée qu’il ait envie d’y terminer sa carrière. Alors je crois que c’est une bonne mesure.
Journaliste
Alors, maintenant que nous avons parlé des règles intérieures de la maison, j’aimerais que vous nous parliez de la façon dont la Comédie-Française se manifestera sur scène, sous votre administration. C’est-à-dire pratiquement durant la saison 60-61, car pour la saison 52-60, les décisions ont déjà été prises sous la précédente administration.
Administrateur
C’est ça. Je ne commencerai en fait la vraie saison, celle que j’organise qu’en septembre 60. Et bien d’abord j’ai fait appel à des metteurs en scène extérieurs. J’ai pris je crois les meilleurs, il y en a d’autres que j’ai oubliés, que je retrouverai certainement, mais enfin, j’ai le concours assuré de René Clair, de Rouleau, je prends la liste car je l’ai là, de Mercure, de Barsac, de Fabry, de Jérôme, de Peter Brook, pour ne citer que ceux-là. Et ils vont travailler avec nous sans aucun préjudice d’ailleurs pour les metteurs en scène de la maison. Et j’espère même que s’il en a quelques loisirs, Jean Meyer, nous fera le plaisir de mettre en scène ici un grand Molière, dès qu’il le pourra. Alors c’est une chose importante. Tout de suite d’ailleurs, avec ces metteurs en scène, nous allons travailler nous de même avant la fin de la saison, et Raymond Rouleau je crois commencera. Et il mettra en scène Ruy Blas avec des décors et des costumes de Lila De Nobili. Ce sera je pense et j’espère un évènement théâtral. Vous savez comment travaille Rouleau, ce sera extrêmement intéressant. Après, il y aura une tragédie qui n’est pas encore choisie que Mercure mettra peut-être en scène. Puis après cela, nous aurons pour les fêtes de Noël et du jour de l’an, nous aurons René Clair qui mettra en scène un Labiche. Je ne sais pas encore lequel, tous les jours nous en retrouvons un nouveau qui nous amuse un peu plus, et nous allons faire un choix, certainement très prochainement. Alors, voilà pour tout le premier trimestre. Mais tout de suite après, je pense que nous aurons un Shakespeare, avec Peter Brook comme metteur en scène, et j’espère Hirsh comme interprète si c’est le Shakespeare auquel nous pensons. Puis après encore, encore un autre anglais, Sheridan avec L’Ecole de la médisance, et dans des décors et des costumes de Cécile Beaton. Tout ça sera une certaine originalité et sera très bien accepté de notre public.
Journaliste
Et alors en ce qui concerne les auteurs, le recrutement des auteurs de la Comédie-Française, je crois que vous voulez que pour un auteur, la maison de Molière soit une maison de consécration ?
Administrateur
C’est pas une maison de découverte vous comprenez.
Journaliste
Et vous voulez néanmoins trouver de nouveaux auteurs et consacrer de nouveaux auteurs en les appelant au répertoire.
Administrateur
Nous les appelons au répertoire, nous verrons comme…. En tout cas, je voudrais faire entrer ici tous les grands auteurs que nous n’avons pas, il est inadmissible que nous n’ayons pas Bernanos, que nous n’ayons pas Camus, que nous n’ayons pas Sartre. Et j’espère que nous les aurons. Je suis en contact en ce moment soit avec les personnes autorisées, soit avec l’auteur lui-même. Et de tout mon coeur je souhaite voir entrer ici Caligula, La Dévotion à la croix de Calderon adaptée par Camus, la pièce de Sartre Huis-clos par exemple, n'est-ce pas on a Bernanos, Le Dialogue des carmélites. C’est, la place de ces oeuvres est ici certainement.
Journaliste
Et puis alors, évidemment la Comédie-Française continuera à beaucoup se produire à l’extérieur, à l’étranger, à voyager, à s’exporter.
Administrateur
Comme elle le fait en ce moment, car je disais tout à l’heure que de janvier à juin, nous avons 107 représentations à l’extérieur ; soit en Suisse, en Italie, en Hollande, en France, en fait un peu de tous les côtés en Allemagne, où nous travaillons beaucoup vous savez. Nous avons toujours beaucoup travaillé, même aux époques où on dit la Comédie-Française est en tumulte, on ne fait rien dans cette maison, nous travaillions toujours et nous travaillons le mieux que nous pouvons.
Journaliste
Et vous devez aller aux Etats-Unis aussi, je crois.
Administrateur
Alors, nous préparons une grande tournée pour l’automne, une tournée qui visitera les grandes villes des Etats-Unis, le Canada peut-être d’ailleurs mais aussi les universités américaines.