La naissance du Centre Dramatique de l'Est

11 mai 1968
03m 22s
Réf. 00392

Notice

Résumé :

Le Centre Dramatique de l'Est est le premier centre dramatique national à voir le jour, en 1946, à l'initiative de Jeanne Laurent. Germain Muller et Raymond Wirth témoigne des débuts du CDE, à l'occasion de ses vingt ans.

Date de diffusion :
11 mai 1968

Éclairage

En 1946, Jeanne Laurent est nommée sous-directrice des spectacles et de la musique à la direction générale des Arts et Lettres au ministère de l'Éducation nationale. Dès son entrée en fonction, elle appuie une politique de décentralisation théâtrale en créant le premier centre dramatique national : le Centre Dramatique de l'Est à Colmar, en 1947. La direction en est confiée à Roland Pietri. La création du CDE n'est pas le fruit du hasard ; en 1946, plusieurs municipalités alsaciennes s'étaient réunies pour créer le Syndicat Intercommunal pour la gestion d'un théâtre, et avaient également soutenu la création d'une troupe régionale. C'est suite à cette initiative que Jeanne Laurent décide d'appuyer la création du CDE.

Dès 1947, Roland Pietri ouvre une école d'art dramatique au sein du CDE. « Seule école reconnue par l'État au sein d'un établissement de la Décentralisation, sa vocation est d'abord régionale : elle vise à « former de jeunes élèves comédiens qui pourront être appelés à participer à l'effort artistique actuel et futur du Centre dramatique de l'Est » » [1]. Le CDE est aussi le premier centre dramatique à recevoir l'usage d'un lieu dédié, alors que d'autres centres continuent à être itinérant, comme le Grenier de Toulouse, dirigé par Maurice Sarrazin. En 1954, sous la direction de Michel Saint-Denis, le CDE déménage à Strasbourg, capitale de la région Alsace, dans le but d'avoir un rayonnement plus important. Il restructure également l'école d'art dramatique, posant les jalons de l'école telle qu'elle existe encore aujourd'hui.

Pour la saison 1968-69, le Centre Dramatique de l'Est devient le premier, et encore unique à ce jour, Théâtre National hors de Paris, sous la direction d'Hubert Gignoux. Ce changement de statut s'accompagne de problèmes budgétaires importants qui provoquent la démission d'Hubert Gignoux, puis de son successeur, Jacques Fornier.

Symbole incontournable de la décentralisation théâtrale de l'après-guerre, le CDE, devenu Théâtre National de Strasbourg est désormais dirigé par Julie Brochen depuis 2008. Il abrite toujours une école d'art dramatique, l'école du TNS, qui fait partie des trois écoles nationales d'art dramatique avec l'ENSATT (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) à Lyon, et le Conservatoire d'Art Dramatique à Paris.

[1] Voir « L'Histoire du Théâtre National de Strasbourg » sur le site du TNS

Sidonie Han

Transcription

(Musique)
Journaliste
20 ans déjà, souvenez-vous !
(Musique)
Journaliste
En Alsace, à Colmar, une naissance discrète. C’est sous l’influence de Mademoiselle Laurent, dont on connaît le travail pour théâtre et la musique, à la direction des arts et lettres, que furent créés les centres dramatiques. Le tout premier fut le centre dramatique de l’Est, installé alors à Colmar. Germain Müller nous en parle.
Germain Müller
Nous étions à cette époque-là bien mal lotis, il était très difficile de se trouver un public pour ce centre. Parce que ce que les gens comprenaient, sous théâtre français, ce n’était pas du tout ce que nous comprenons aujourd'hui sous cette appellation. Les gens étaient habitués aux pièces de boulevard d’avant-guerre, hormis les Karensty, les Herbert n’existait pas encore à l’époque. Hormis les Karsenty, et quelques tournées Baret ou Janvier qui donnait des comédies classiques. Les gens n’avaient aucun contact avec le théâtre actuel.
Journaliste
Raymond Wirth à présent.
Raymond Wirth
En 1947, je me trouvais à Colmar, j’ai vu le premier spectacle du Centre Dramatique de l’Est. A l’époque, j’avais 19 ans, c’était en somme mon premier spectacle français. L’entreprise me paraissait extrêmement importante dans la région ; pour d’une part, promouvoir la langue française, pour la réintroduire dans cette région d’Alsace-Lorraine après l’effort culturel qui avait été fait durant ces 5 années d’occupation.
Germain Müller
C'est Ducreux qui, le premier, a été nommé directeur, il n’a pas accepté. Ensuite, il y a eu Pietri, enfin il y a eu toute une succession de départs malheureux. Enfin, Clavet vint, et avec beaucoup de fanatisme et beaucoup d’idéalisme a défriché le terrain de culture qui était le nôtre. Je me souviendrais longtemps de cette nuit colmarienne. Un soir que nous avions joué à Colmar, nous sommes rentrés très tard, vers les 4 heures du matin et avec [Vaugelle], nous sommes tombés en panne à quelques kilomètres de là. A Ostheim, il y avait beaucoup de verglas et de brouillard, et on s'est retrouvés dans un fossé. On a dû retourner à pied à Colmar. Arrivés vers les 4 heures et demie au théâtre de Colmar, on voyait encore un peu de lumière. A tout hasard, on est entrés, et on a retrouvé notre ami Clavet qui répétait encore à 4 heures et demie du matin Hamlet de Shakespeare. C’est pour vous dire qu’il travaillait à cette époque-là 18 heures par jour. Il est vrai qu’on lui avait imposé quelque chose.
Journaliste
Un cahier des charges épouvantable.
Germain Müller
Oh, incroyable, il montait 12 pièces, et pas des petites pièces, des grands Dostoïevski, des Molière, des Marivaux, des Anouilh. Il en montait 12 comme ça par an, il les faisait circuler, c’était inouï. Il a vraiment fait un travail de titan. D’ailleurs le pauvre, il en maigrissait de mois en mois. Il décollait, et un beau jour, on a dû lui dire, écoutez, vous en faites vraiment de trop. Non, disait-il, il y a beaucoup de terrain, il y a beaucoup de temps à rattraper ici. En Alsace, il faut que je le fasse. Vraiment, je n’ai jamais vu un animateur se transformant en moine et en pèlerin comme il l'a fait.