Peter Brook parle des Bouffes du Nord

08 juin 1975
03m 53s
Réf. 00432

Notice

Résumé :

Extrait d'un reportage sur les Bouffes du Nord, dans lequel Peter Brook évoque sa conception de l'espace où l'espace élisabéthain vient côtoyer cet ancien théâtre à l'Italienne. Puis un extrait de répétition de la scène du serment au début de Hamlet.

Date de diffusion :
08 juin 1975
Source :

Éclairage

Avant d'être investi par le théâtre de Peter Brook et qu'il ne lui insuffle une seconde vie, le théâtre des Bouffes du Nord, situé dans le XVIIIe arrondissement à Paris, connut une activité aléatoire avant de fermer ses portes en juin 1952.

Construit en 1876, ce théâtre à l'Italienne imaginé par Louis-Marie Emile Leménil était destiné au répertoire de café-concert. Excentré par rapport aux autres salles parisiennes, le théâtre n'attire pas le public. Et de 1876 à 1885, une quinzaine de directeurs se succèderont, jusqu'à ce que l'un d'eux parte avec la caisse et que le théâtre ferme.

En 1885, Abel Ballet, metteur en scène, reprend les lieux et concentre l'activité sur de grandes fresques historiques et des mélodrames. En 1893 et 1894, le Théâtre des Bouffes du Nord accueille plusieurs créations de Lugné-Poë qui monte, entre autres, Rosmersholm et Un Ennemi du peuple (1893) d'Ibsen dans des décors dessinés et peints par Vuillard, et les Ames solitaires de Hauptmann.

En 1904, suite à la rénovation des lieux, le théâtre est rebaptisé Théâtre Molière. Il est alors dédié au Music-Hall puis au théâtre de boulevard. En 1952, vétuste, mal entretenu, le théâtre n'est plus aux normes de sécurité, la préfecture ordonne sa fermeture.

C'est seulement vingt ans plus tard que les Bouffes du Nord rouvriront leurs portes. Oubliés de la majorité de la population et de la communauté artistique, le théâtre est redécouvert par Peter Brook, grâce à Micheline Rozan. Soutenu par Michel Guy et aidé financièrement par le Festival d'Automne, Micheline Rozan et Peter Brook décident de restaurer le théâtre sans pour autant masquer l'usure du temps. Les Bouffes du Nord rouvrent en 1974, avec la présentation au public de la première pièce en français mise en scène par Peter Brook, Timon d'Athènes (voir ce document), drame méconnu de Shakespeare.

Ce lieu théâtral permet à Peter Brook de déployer sa conception de l'espace. Le metteur en scène réinvestit cette ancienne salle à l'italienne en lui insufflant une vision élisabéthaine du plateau. En effet, l'aire de jeu n'est pas rehaussée par une scène, mais se situe au niveau du parterre, en lien direct avec les spectateurs (comme sur une place publique). Pour Brook, l'espace peut demeurer vide, ou plus précisément, ce sont les comédiens par leur jeu qui vont créer l'espace. A l'image du théâtre élisabéthain, les Bouffes du Nord peuvent tour à tour renvoyer à la sphère intime aussi bien que publique, représenter une scène de guerre que les fastes d'une cour royale, passer de l'Italie à l'Angleterre. En outre, s'il n'est point besoin de décors, la salle peut accueillir aussi bien des mises en scène de textes classiques que contemporains, des textes dramatiques que des récits. C'est donc par le jeu que Peter Brook tente de retrouver le fonctionnement de l'espace élisabéthain et non dans une perspective archéologique de reconstitution.

Marie-Aude Hemmerlé

Transcription

Peter Brook
C’est un théâtre du XIXe siècle. Mais ça devient tout de suite un théâtre qui est très proche d’un théâtre élisabéthain parce qu’en bas, au lieu d’avoir un parterre, des places, des fauteuils et une scène, il y a un lieu vide et on voit, même en regardant ici que c’est comme une place publique. On sent que c’est un endroit qui n’a pas de définition mais c’est un endroit, un lieu de rencontre. Et on peut comprendre comment pour les elisabéthains, le spectacle était des points de rencontre qui se faisaient au milieu du lieu où se trouvaient les spectateurs. Si nous imaginons que ces comédiens là soient entourés de gens ; et en même temps qui auraient la bourgeoisie assise dans des fauteuils confortables, dans les corbeilles, on aurait immédiatement quelque chose qui aurait l’esprit et la caractéristique même du théâtre élisabéthain. Alors on peut imaginer maintenant qu’un jeu d’imagination pourrait créer autour de ces quatre comédiens n’importe quoi. Ils pourraient peut-être se trouver en ce moment dans le désert c’est parfaitement plausible ; ils pourraient se trouver par contre à l’intérieur d’une forêt ; ou peut être là, il y a un qui s’en va et c’est dans une ville. Et tout ce changement de décor serait pas donné par l’art d'un décorateur mais par ce qui serait évoqué par les acteurs eux-mêmes, par leur jeu et par les mots qu’ils prononcent.
Maurice Bénichou
Mes bons amis, puisque vous êtes mes amis, mes frères d’armes et d’étude, accordez-moi une pauvre faveur.
Comédien 2
Laquelle, seigneur ? Nous sommes prêts.
Maurice Bénichou
Ne jamais révéler ce que vous avez vu cette nuit.
Comédien 2
Jamais seigneur
Maurice Bénichou
Oui mais jurez-le.
Comédien 2
Sur ma foi seigneur je ne dirais rien
Comédien 3
Moi non plus seigneur
Maurice Bénichou
Jurez sur mon épée.
Comédien 3
Nous avons déjà juré
Maurice Bénichou
Non, non sur mon épée.
(Silence)
Comédien 3
Juré.
Maurice Bénichou
Ha ha ha, mon garçon tu l’as dit. Tu es là vieille branche ? Venez messieurs, venez. Vous entendez le bonhomme à la cave ? Allons, jurez !
Comédien 2
Mais dites nous comment seigneur.
Maurice Bénichou
Ce que vous avez vu, n’en jamais parler, sur mon épée jurez-le.
(Silence)
Maurice Bénichou
Jurez ! Et bien nous allons changer de place. Venez messieurs, ici messieurs et de nouveau étendez votre main sur mon épée, jurez sur mon épée de ne jamais parler de ce que vous avez entendu, allez jurez !
Comédien 2
Jurez sur son épée !
Maurice Bénichou
Vieille taupe mais comment fais tu pour nous hanter ?
(Bruit)
Maurice Bénichou
Fameux sapeur !