La résistible ascension d'Arturo Ui, mise en scène de Jean Vilar et Georges Wilson

06 novembre 1960
03m 03s
Réf. 00444

Notice

Résumé :

En 1960, Jean Vilar et Georges Wilson créent La résistible ascension d'Arturo Ui, pièce de Bertolt Brecht qu'ils présentent au Théâtre National Populaire. Extraits du spectacle et archives historiques montrant Hitler discourant devant la foule.

Date de diffusion :
06 novembre 1960
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )
Compagnie :

Éclairage

« Certains spectacles font une impression si puissante, emportent si fortement l'adhésion des sens et de l'esprit, qu'on a peine à argumenter de sang-froid sur l'état d'enthousiasme troublant où ils laissent pour de longues heures. Tel est le cas de La résistible ascension d'Arturo Ui, qui ajoute à la liste des plus grandes réussites du T.N.P. un exploit éclatant. » [1] Voici en quels termes le critique Bertrand Poirot-Delpech rend compte de la mise en scène de Jean Vilar et Georges Wilson qui, en novembre 1960, créent pour la première fois en français, au Palais de Chaillot, ce qui va devenir une des œuvres les plus célèbres de Bertolt Brecht. La réussite est d'autant plus remarquable, pour le directeur du T.N.P., qu'en juin de cette même année, le Berliner Ensemble était déjà venu présenter la pièce à Paris, au Théâtre Sarah Bernhardt, dans une mise en scène de Peter Paliztsch. Il s'agissait alors de la première représentation en France de La résistible ascension d'Arturo Ui, mais elle était donnée en allemand. Les critiques avaient loué sans réserve le spectacle du Berliner Ensemble et le talent de ses comédiens, en particulier d'Ekkehard Schall qui incarnait Arturo Ui, et dont Poirot-Delpech décrivait ainsi l'interprétation : « Horriblement maquillé de blanc, il a tantôt des gestes mécaniques de clown, tantôt des attitudes fatalistes manifestement inspirées du Charlot dictateur, tantôt des œillades hébétées vers la salle qui le font ressembler aux singes de l'opéra chinois. » [2] On conçoit quel défi Vilar avait à relever, face au public, aux critiques, et aux défenseurs de l'orthodoxie brechtienne.

Or la mise en scène de Vilar-Wilson et le jeu de toute la troupe font l'unanimité. Le document témoigne de l'usage des projections cinématographiques pour souligner l'aspect allégorique de la pièce. Il montre aussi à quelle intensité parvient le jeu de Vilar qui, sans nécessairement jouer la carte de la distanciation, suggère de façon saisissante le personnage qu'Hitler était parvenu à se fabriquer, mettant ainsi en abyme le processus même de la dramatisation. « De ce commediante-tragediante, on voit sortir le diable, le Mal qui triomphera. » conclut J.-J. Gautier [3] : en effet, le spectacle du T.N.P. redonne à la pièce de Brecht son acuité et sa force politiques, tant il rend clairs les ressorts sur lesquels s'édifie la tyrannie.

Brecht a rédigé La résistible ascension d'Arturo Ui en 1941, alors qu'il était en exil en Finlande. Arrivé aux États-Unis en juillet 1941, il voulut y monter la pièce devant le public américain pour l'alerter sur la réalité du nazisme alors triomphant. Mais son projet échoua. L'œuvre ne fut montée qu'en 1958, deux ans après la mort du dramaturge, par Peter Paliztsch, à Stuttgart. Il s'agit d'une parabole qui retrace l'ascension d'Hitler au pouvoir, depuis la crise de 1929 jusqu'à l'annexion de l'Autriche. Cette « farce historique » transpose l'action au temps de la prohibition à Chicago, et assimile Hitler à un gangster, Arturo Ui, qui prend la tête d'un trust de fruits et légumes. Les scènes sont ponctuées d'écriteaux qui établissent le parallèle entre la parabole et les faits historiques. En faisant naître cette dictature sanglante dans les choux-fleurs, Brecht souhaitait à la fois ancrer son explication des mécanismes socio-politiques dans un cadre familier et burlesque, et combattre la fascination exercée par la figure du Führer, de son vivant, mais aussi bien après sa mort. La pièce de Brecht s'achève par cet épilogue désormais fameux : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester / Les yeux ronds. Agissez au lieu de bavarder. / [...] Les peuples en ont eu raison, mais il ne faut / pas nous chanter victoire, il est encore trop tôt : / Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. »

[1] Article de Bertrand Poirot-Delpech dans Le Monde du 17 novembre 1960.

[2] Article de Bertrand Poirot-Delpech dans Le Monde du 9 juin 1960.

[3] Article de Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro du 17 novembre 1960.

Marion Chénetier-Alev

Transcription

Jean Vilar
S’ils sont vingt, c’est peu sûr. Il faut que vous m’aidiez, 14 années d’effort remises en question. Je vous parle en tant qu’homme.
Georges Wilson
Ecoutez bien ce que je vais faire en tant qu’homme, appeler la police.
Jean Vilar
Non, pas la police.
Georges Wilson
Oui ! La police.
Jean Vilar
Donc, vous vous refusez à m’aider, en tant qu’homme ? En ce cas je l’exige de vous en tant que criminel, car c’est ce que vous êtes. Je vais vous démasquer, j’en possède les preuves. Le scandale des quais montant à l’horizon. L’entreprise de Sheet, c’est vous ! Une enquête vient d’être décidée.
Georges Wilson
Elle n’aura pas lieu. Mes amis...
Jean Vilar
Plus d’amis, plus d’amis, c’est de l’histoire ancienne. S’il est quelqu’un pour vous sauver c’est moi, c’est moi Arturo, moi Arthur Ui.
Journaliste
Arturo Ui aussi a son professeur de comédie.
Jean Vilar
Alors voilà, on m’a laissé entendre que ma prononciation laissait à désirer.
(Silence)
Comédien 4
Un, deux, un, deux,…Ah très bien, vous avez le don. Ahhh, les bras ! Raides. De la souplesse. Et le mieux les croiser comme ça devant votre braguette. Sans effort, mais plein de puissance contenue.
(Silence)
Journaliste
La fiction a rejoint ici, la réalité. Devant le grand public, Arturo Ui, mis en piste par Hindsborough, orateur formé à l’école de Shakespeare, tient désormais les grands rôles politiques, le premier.
Jean Vilar
Lorsque voici, 15 ans, je me suis mis en route, moi simple fils des faubourgs de New York et chômeur, j’avais pour volonté inflexible et totale, au commerce des choux de garantir la paix. Tu le sais, Tout Puissant, toi dont je suis l’image. Argh.