La Locandiera mise en scène par Jacques Lassalle à la Comédie-Française

04 avril 1981
02m 53s
Réf. 00473

Notice

Résumé :

En 1981, Jacques Lassalle met en scène La Locandiera de Goldoni à la Comédie-Française. Des extraits alternent avec des interviews de Jacques Lassalle et de Catherine Hiegel.

Date de diffusion :
04 avril 1981
Source :
FR3 (Collection: Soir 3 )
Fiche CNT :

Éclairage

Créée en janvier 1753 à Venise, La Locandiera est une pièce charnière dans l'œuvre de l'auteur dramatique vénitien Carlo Goldoni (1707-1793), résultat d'une longue réforme de sa propre écriture et du genre comique vénitien. L'intrigue demeure assez proche des fables de la Commedia dell'arte : descendus à l'auberge tenue par Mirandolina, le comte d'Albafiorita et le marquis de Forlipopoli tentent tous deux de séduire cette belle aubergiste. Mais cette dernière est intriguée par un autre de ses hôtes, le chevalier de Ripafratta, misogyne et rustre, insensible à ses charmes. Piquée au vif, elle décide de le séduire. Cependant, on observe un travail d'approfondissement des personnages, un dessin plus précis des caractères, des statuts sociaux. Goldoni s'éloigne des stéréotypes de la Commedia dell'arte, fait évoluer sur scène ses personnages, leur enlève leurs masques et tente une dramaturgie plus élaborée, des dialogues plus fins et insère une critique sociale totalement absente des schémas de la commedia dell'arte. Il réforme le théâtre pour y dire le monde. Si l'on veut oser grossièrement le parallèle entre Goldoni et les auteurs français, La Locandiera se situe entre la comédie de mœurs et la critique acérée de Molière (1622-1673) et le badinage amoureux brillant de Marivaux (1688-1763).

Dans son interview, Jacques Lassalle dit que Goldoni a voulu « réconcilier le théâtre et le monde », « réconcilier la réalité de son temps avec les formes théâtrales. » Le Théâtre et le Monde : la « renaissance » de Goldoni au XXe siècle a à voir avec ces deux « livres » dont il se réclamait, réformant l'un pour dire l'autre. Les metteurs en scène du siècle dernier ont souvent voulu que leur travail soit le lieu de rencontre du Théâtre et du Monde. Comme Giorgio Strehler, Jacques Lassalle est séduit par Goldoni, dont il souligne également la séduction (« un théâtre de l'allégresse, de la jubilation »). Ces deux termes font écho à la verve de Goldoni mais également au rythme qu'il sait donner à ses pièces, à la pulsation des mots et des corps en scène.

Jacques Lassalle est une figure fondamentale du théâtre d'art français. Avant tout metteur en scène, mais aussi auteur et acteur, il a toujours essayé de s'attacher à un lieu et une troupe, dont le Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine, Le Théâtre National de Strasbourg (TNS) et la Comédie-Française, en mettant en scène tant des auteurs classiques que des auteurs contemporains et vivants. Il donne aussi une grande importance à la pédagogie avec ses activités au Conservatoire National et à l'école du TNS.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Présentatrice
On passe au théâtre avec une première au théâtre français ce soir, La Locandiera de Carlo Goldoni. Les interprètes principaux sont Catherine Hiegel et Jean-Luc Boutté. Goldoni, un classique italien qui retrouve une scène classique après deux siècles de relatif oubli.
Catherine Hiegel
Ils viennent à l’auberge pour y loger. Ils se figurent que le cœur de l’hôtel est à prendre.
Journaliste
Pourtant considéré comme le chef-d’œuvre de Goldoni, La Locandiera aura donc dû attendre plus de deux siècles pour entrer enfin dans la maison de Molière. Et c’est à Jacques Lassalle qu’on a confié le soin de la sortir du purgatoire.
Catherine Hiegel
… moi tout particulièrement. Quand je vois qu’ils s’imaginent je ne sais quoi, je ris comme une folle.
Jean-Luc Boutté
Bravo ! Je rends hommage à votre sincérité.
Catherine Hiegel
Oh, la sincérité est bien ma seule qualité. Je vais vous dire monsieur. Dans notre métier on en voit et on en entend de toutes les couleurs. Et à dire la vérité je comprends qu’il y ait des hommes qui ont peur de notre sexe.
Jacques Lassalle
Goldoni a voulu réconcilier le théâtre et le monde. C’est-à-dire, transposer la réalité de son temps, la société de son temps, les questions qui se posent aux hommes de son temps et à tous les hommes de son temps car la Venise de 1750, c’était un peu comme le Londres de Shakespeare ou l’Athènes de Sophocle, c’est-à-dire qu’objectivement tous les publics vont au théâtre. Et le grand projet de Goldoni, c’est de réconcilier la réalité de son temps avec les formes théâtrales.
Catherine Hiegel
Pourquoi voulez-vous me donner ces pendants d’oreilles, monsieur le comte ?
Comédien 2
Quel cadeau ! Vraiment, elle en a qui sont deux fois plus beaux !
Comédien 3
Ceux-ci sont montés à la mode ! Je vous prie de les recevoir pour l’amour de moi.
Jean-Luc Boutté
Il est complètement fou.
Catherine Hiegel
Non monsieur, vraiment.
Comédien 3
Si vous ne les prenez pas vous allez me fâcher
Catherine Hiegel
Je pense vraiment que c’est une pièce contemporaine ; dans le sens où elle remue, si vous voulez, des questions qui ont remué toute les sociétés d’avant l’époque de La Locandiera, et de maintenant. A partir du moment où elle met en question un homme qui ne connaît pas l’amour et une femme aussi qui va découvrir d’une certaine façon l’amour. Donc à partir de moment-là, je trouve que c’est un sujet assez contemporain. A la santé de tout se qui fait plaisir à monsieur le chevalier.
Jean-Luc Boutté
Je vous remercie, aimable petite patronne.
Catherine Hiegel
Bien entendu, ce vœu n’est pas pour les femmes.
Jean-Luc Boutté
Non, pourquoi ?
Catherine Hiegel
Parce que je sais que vous ne pouvez pas les voir.
Jacques Lasalle
Le théâtre de Goldoni garde aujourd’hui encore une séduction considérable, une séduction formelle. C’est un théâtre de l’allégresse, de la jubilation, du plaisir. Un théâtre de l’optimisme aussi.
Comédienne 4
De temps en temps, j’aime à me divertir un peu.
Catherine Hiegel
Moi, j’apprécie infiniment les gens d’esprit. Soyez les bienvenues dans ma maison, vous êtes ici chez vous.