Le Cirque Bidon

17 décembre 1981
03m 18s
Réf. 00574

Notice

Résumé :

Bernard Lesaing relate, lors du vernissage de son exposition photographique couplée à la présentation de la publication de son ouvrage, Le Cirque Bidon, sa rencontre avec les artistes de cette troupe qui ont choisi l'itinérance en roulottes tractées par des chevaux et qui ont participé à l'émergence du nouveau cirque.

Date de diffusion :
17 décembre 1981
Compagnie :
Thèmes :

Éclairage

Alors que le cirque connaît une crise économique et culturelle sans précédent qui précipite nombre de petites entreprises à la faillite, que la société de consommation est à son apogée et régule de plus en plus les vies quotidiennes, que l'automobile impose aux villes leur organisation, un groupe d'ami-e-s décide de partir sur les routes d'abord de Bretagne, puis sur celles du Sud de la France, avec quelques roulottes tirées par des chevaux [1]. En 1975, le cirque nommé Bidon, « pour prévenir le public que c'est un peu bidon » [2], présente, entre clowns, cracheurs de feu, musiciens et acrobates, sa « basse-cour savante [...]. D'abord le père Max Cador, puis la mère Ursula et sa fille Eléonore, enfin le coq acrobate mexicain nommé Las Vegas, son fiancé ombrageux ». Bernard Lesaing dresse de rapides portraits de ceux dont il a partagé un temps la vie :

« Ils sont sept, de dix-huit à trente-quatre ans : François, colosse placide et barbu, avec des yeux bleus et des colères rentrées et sa compagne menue, Dominique, dite "Dom", dont les pommettes rosissent dès qu'on lui parle, et Fidji, leur petit bonhomme, un mois. Et puis Isa la belle, aux taches de rousseur, et Benoît avec son chapeau noir et ses cheveux filasse qui donne l'impression de rêver et bricole tout le temps, et Pierrot, Pierrot-la-grande-gueule, Pierrot-la-tendresse qui trimbale son fils Titi, un diable de deux ans qui fait les quatre cents coups. Et Zaza, le clown qui me fait toujours rire quand il n'est pas maquillé et pleurer quand il l'est. Et Monica la blonde et blanche. »

Alors que les luttes, faute de perspectives politiques, victimes d'une inversion des rapports de force, désertaient progressivement les rues, la démarche aurait pu passer pour un repli vers un passé idéalisé. Cependant, il s'agissait malgré tout d'un engagement artistique – certes anachronique, voire nihiliste – mais contestataire. Ce petit cirque traditionnel (en fait un simple palc), auxquels s'adjoignent, au fil des rencontres, de nouveaux comparses, revendique un ici et maintenant en rupture.

En 1980, parce que les désirs poussent à chercher l'aventure ailleurs et différemment, le groupe éclate. Les deux figures emblématiques de cette aventure, Pierric Pillot et François Rauline, se construisent des trajectoires artistiques divergentes.

Pour l'un, devenu Pierrot Bidon (après avoir pris comme patronyme, le nom de son cirque), la formule basée sur une communauté de création, tout comme le retour à la terre de certains, finit par révéler ses limites. Le réalisme l'emporte et la métamorphose est spectaculaire. Il abandonne sa tenue noire au plastron tacheté qu'il portait dans le duo composé avec son coq Las Vegas et qui lui donnait l'apparence d'un fauve qui aurait accédé, par une quelconque métamorphose ou modification génétique à la bipédie. Pierrot, qui a sans doute beaucoup appris de cette vie communautaire, sans chef, héritée des années utopiques, où tout était à construire au jour le jour, abandonne le Cirque Bidon, et initie, en 1984, une nouvelle aventure, radicalement différente, tant du point de vue de la structuration de la compagnie que du point de vue esthétique, celle d'Archaos, qui comme il le proclame lui-même, est « archaïquement sorti du chaos ».

Pour l'autre, François Rauline, devenu François Bidon, le rêve initial se poursuit sur les routes d'Italie avec Il circo Bidone. Il sollicite, Bernard Lesaing pour réaliser un second recueil photographique [3], dans lequel celui-ci compare François à un héros de Victor Hugo, habité par la dualité ville / campagne, puisque « homme de la ville par sa tradition ouvrière libertaire et homme de la campagne par son attachement à la nature et aux chevaux ». En 2003, Il Circo Bidone redevient le Cirque Bidon en s'installant en France, à Vigoulant (36). Assumant son désir de révolte et de liberté, il propose Attention, rire fragile !.

[1] D'après Bernard Lesaing, le premier convoi se compose d'un cheval, d'une roulotte, d'un triporteur, d'une mobylette, de vélos et d'une dizaine d'artistes, dans Le Cirque Bidon, Photographies de Bernard Lesaing, sans lieu, Pandora, 1981, n. p.

[2] Le Cirque Bidon, Op. cit.

[3] Il Circo Bidone, Photographies noir et blanc de Bernard Lesaing, Rimini, Editions Pazzini, 1997

Martine Maleval

Transcription

(Musique)
Bernard Lesaing
Je les ai rencontrés à Vauvenargues, dans un petit café, Chez Jo et Nanette un soir de Noël, un 24 décembre, j’étais là venu avec un copain et je vois cette veillée, cette soirée de Noël animée, avec plein de musiciens, des gens qui dansent, etc. J’avais toujours mon petit Leica avec moi et j’ai fait quelques bobines et j’ai discuté avec ces gars. Et après, la fête terminée, ils m’ont emmené dans leur campement, et c’est là que j’ai découvert qu’ils vivaient dans des roulottes avec des chevaux, etc. , dans un petit cercle itinérant.
(Musique)
Bernard Lesaing
J’étais un peu émerveillé par leur mode de vie, etc. Pour un photographe, c’est sûr, le cirque est un bon thème, je veux dire. Alors, je les ai suivis mais petit à petit. J’ai d’abord essayé de gagner leur confiance, avoir une sorte de complicité avec eux, parce qu’on ne peut pas rentrer dans leur vie intime avec un appareil photo. Parce qu’on s’est dit qu’un des moments assez intenses ou assez personnels, intimes, il y a eu une période d’approche, d’un peu de découvertes humaines avec eux.
(Musique)
Bernard Lesaing
Leur mode de vie est différent des autres cirques traditionnels dans le sens que c’est une communauté itinérante, ils mangent ensemble, ils vivent ensemble, je veux dire. Avoir vécu comme ça cinq ans, sans aide officielle, sans rien, ils récusaient quand même tous ces côtés aide, subventions, etc. , je trouvais ça assez important. Ça s’inscrit quand même dans un courant, c’est un peu post-68 quand même. Ce sont des jeunes qui ont voulu, comment dirais-je, trouver un autre style de vie. En tant que document, si vous voulez, des années 70-75, ça me semble aussi intéressant.
(Musique)