Danser malgré la religion

26 avril 2002
01m 57s
Réf. 00735

Notice

Résumé :

Avec Rien de rien, en 2000, Sidi Larbi Cherkaoui signe sa première pièce, produite par les Ballets C. de la B. La place de la religion au cœur des constructions identitaires et culturelles y est au centre d'un propos encore confus, mais généreux.

Date de diffusion :
26 avril 2002
Source :
Artistes et personnalités :

Éclairage

La présence de Sidi Larbi Cherkaoui, d'une stupéfiante aisance, irradiait dans le remugle du Iets op Bach d'Alain Platel (1998). Filant le parfait unisson dans un duo avec Gabriella Carrizo, ondulant avec une sensualité désarmante sur une musique de Prince, ou encore apprivoisant le feu dans les paumes de ses mains, il rejoignait en un seul spectacle l'élite des danseurs «classieux» ; chez qui l'évident plaisir de la scène ne se traduit pas en épate démonstrative. Le concours du Meilleur Solo de Danse belge (malicieusement créé par Alain Platel), aura récompensé, en 1995, la ténacité de Sidi Larbi Cherkaoui, autodidacte du mouvement. Aux quelques années d'école coranique imposées par un père marocain plutôt sévère sur les principes de l'Islam, il aura bien vite préféré l'école de la télé et des vidéo-clips, avec le show-biz en ligne de mire. Il participe d'ailleurs à quelques émissions de variétés, tout en prenant ses premiers cours de classique, de hip-hop et de danse jazz. Admis en 1996 à P.A.R.T.S., l'école d'Anne Teresa de Keersmaeker, il en sortira avant la ligne d'arrivée pour rejoindre Alain Platel, maestro des beautés rebelles. Pour celui qui se présenta, d'emblée, comme « Belgo/Marocain homosexuel », tout cela dit un parcours, une sève, le trajet singulier d'une formation de soi où l'origine et sa nécessaire transformation produisent le sens chaque fois nouveau d'une venue au monde.

Rien de rien, créé en 2000, est la première chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui. Ce spectacle bénéficia pourtant de moyens de production et d'une très large tournée, inhabituels pour un premier spectacle. Les Ballets C. de la B., à Gand, ont produit Rien de rien. Le succès international de leur chorégraphe phare, Alain Platel, avait ouvert les portes des plus grandes scènes européennes. Or, en 1998, après la création de Iets op Bach, Alain Platel annonce qu'il met en terme à son activité chorégraphique (décision sur laquelle il reviendra en 2003, avec la création de Wolf). D'autres chorégraphes œuvraient alors au sein du collectif des « Ballets C. de la B. », tels Hans Van den Broeck ou Koen Augustijnen, mais aucun d'entre eux ne paraissait susceptible de réunir un tel engouement. Le « lancement » de Sidi Larbi Cherkaoui fut alors orchestré selon des règles qui n'avaient rien à envier au marketing publicitaire !

A l'arrivée, Rien de rien n'avait rien du chef d'œuvre tant annoncé, et les maladresses d'une première pièce étaient patentes. Mais son propos, quoiqu'un peu confus, interrogeait néanmoins, pour la première fois, la place de la religion dans les constructions identitaires et culturelles. Dans un décor pouvant être celui d'une mosquée, l'intention de Sidi Larbi Cherkaoui était de comparer les différences culturelles dans le langage du mouvement. Il sera encore plus explicite dans Foi, en 2003, en posait cette question : « en quoi croyez-vous ? ». Un an après la création de Rien de rien, les attentats du 11 septembre 2001, l'apparition sur la scène publique d'Al Qaida, et simultanément, la montée en Europe des sentiments islamophobes, sont venus donner, a posteriori, une certaine légitimité à cette pièce de jeunesse. Et voir aujourd'hui les images tournées en 2002 par une équipe de France 3 à Décines, en banlieue lyonnaise, restent d'une rare éloquence. Il en va ainsi de cette inscription en arabe qui ouvre le reportage : « les interdits attisent les désirs ».

Jean-Marc Adolphe

Transcription

Présentateur
On referme ce journal avec de la danse au Toboggan à Décines près de Lyon. Rien de rien , proposé par une troupe belge, dont les danseurs viennent du monde entier, c’est l’esprit même de ce spectacle qui a pour décor une mosquée. Franck Giroud, Yves Aulanier.
Journaliste
Sur le fond du décor une inscription en arabe.
Sidi-Larbi Cherkaoui
[Incompris], et ça veut dire les interdits attisent les envies.
Journaliste
La façon de Sidi Larbi Cherkaoui de franchir ces interdits est tout simplement de mettre ensemble des artistes d’horizon très différents. Jeunes danseuse funky, interprètes classiques plus âgées ou conteuse jamaïcaine, tous se retrouvent dans un décor inattendu de mosquée.
Sidi-Larbi Cherkaoui
Pour moi la mosquée c’est pas un endroit exotique, c’est juste un endroit comme beaucoup d’autres, comme une église.
(Musique)
Journaliste
Il y a des la religion ou plutôt des religions dans le travail de ce danseur chorégraphe belge. Mais ne vous y trompez pas, ce qu’il recherche c’est avant tout de montrer que si chacun est différent, il n’est pas pour autant un étranger.
Comédiennes
Tu peux pas communiquer avec les gens, c’est tout à fait une autre culture, nous on est arrivé après trois jours en chameau dans ce village, et qui était déjà quelque chose. Je veux dire on était épuisé, crevé, on avait faim soif et mal aux fesses d’avoir fait ça sur les chameaux.
Journaliste
Vieux ou jeunes, d’ici ou d’ailleurs, Rien de rien oscille entre le grave et l’humour qui adoucit les moeurs de ces danseurs engagés dans la vie. Entre la passion violente d’un tango et la légèreté amusée d’une salsa.
(Bruit)