Sankai Juku : revivre l'origine du temps

01 février 2002
01m 38s
Réf. 00769

Notice

Résumé :

Présenté à la Maison de la Culture d'Amiens en février 2002, Hibiki signifie « lointaine résonance ». Pour le chorégraphe de Sankai Juku, cette « résonance » n'est pas tant celle des affres de Nagasaki et Hiroshima que l'origine même du vivant sur Terre.

Date de diffusion :
01 février 2002
Source :
Compagnie :

Éclairage

Après Hiroshima et Nagasaki, « comment survivre, le corps irradié, recouvert de cendres ? Ni hommes, ni femmes, condamnés à l'errance, les danseurs du Butô tentent de calmer les esprits du vieux Japon, les kami, esprits de l'air, de la terre, de l'eau, du sang ». Faut-il s'étonner de ce que, plus de vingt ans après la découverte du Butô en France, le commentaire d'un journaliste de télévision soit si approximatif ? En 2002, la compagnie Sankai Juku est pourtant invitée pour la troisième fois sur la scène de la Maison de la Culture d'Amiens. Mais visiblement, France 3 Picardie doit encore convaincre son public, interview d'une jeune spectatrice à la clé, qu'un tel spectacle, « rare et contemporain » n'en est pas moins « paradoxalement accessible ». C'est donc nimbé d'un certain exotisme diffus que la compagnie Sankai Juku part à la conquête de la Picardie !

Hibiki (Lointaine résonance), présenté cette année-là à Amiens, plonge le spectateur dans un environnement matriciel, créé par la fusion du geste, de la lumière et des sons, qui cherche à faire affleurer en lui la mémoire originelle. «J'ai travaillé sur l'eau et le sable, sur la relation entre ces deux éléments fondateurs de l'origine de l'univers », expliquait le chorégraphe, Ushio Amagatsu. « Je pense que le fœtus dans la matrice revit l'origine du temps. Le bruit de la circulation du sang dans le ventre de la mère ressemble au mouvement des vagues. C'est la première résonance qui nous parvienne. Nous en gardons la mémoire.»

Amagatsu a définitivement tourné le dos à la charge grotesque et radicale qui caractérisait les premières performances de la « danse des ténèbres » inventée au Japon par Tatsumi Hijikata dans la tourmente contestataire des années 60. Le journaliste de France 3 Picardie parle d' « apaisement » pour qualifier le suprême raffinement esthétique que cultive Hibiki. Pour autant, le chorégraphe de Sankai Juku n'a renoncé à tous les fondamentaux du Butô. Cette quête des origines (qu'y avait-il avant la naissance ?) est en effet constitutive de son rapport à la culture, et pas seulement à la danse.

Au Japon, le fameux Kojiki (Recueil des faits anciens) raconte ainsi « qu'au début du monde, avant même que le Japon ne fût né, les kami ont surgi d'une pousse de roseau.... La matière originelle s'était durcie, mais ni l'énergie ni la forme n'étaient encore apparues. Il n'y avait pas de noms, pas d'actions [...] Ensuite, quand le pays, jeune, flottait, ressemblant à de l'huile, et qu'il dérivait comme une méduse, le nom du dieu qui s'est formé de toutes les choses qui se gonflaient comme le bourgeon du roseau, c'est Usami-ashi-kabi-kikoji-no-kami. Ce kami incarne la vitalité du roseau. C'est de lui que sont issues toutes choses ». Le Butô n'aurait-il pas pour pacte secret de retrouver l'essence subtile de ce roseau ? Pour autant, la démarche d'Amagatsu n'est ni refermée sur sa propre culture, ni passéiste : de la culture primitive, il retient surtout « le dialogue entre soi et l'objet ». « Dans le cas des peintures rupestres, par exemple, je veux sonder cet élan spontané de la création, de la mémoire (pas question d'amener l'animal au fond de la grotte pour le représenter d'après nature !). Après cet acte de peindre, le geste se transforme, se colore d'animisme ou de rituel, mais l'acte lui-même existait avant cela : l'appel poétique préexiste, le symbolisme s'ensuit, ainsi que la société constituée et l'apparition des premiers professionnels de l'animisme et du culte religieux. Plus que d'imiter platement certains éléments primitifs, c'est ce passage de l'avant à l'après qui m'intéresse. Mais bien sûr, quand je suis sur scène, je ne pense pas ; je danse, et le symbolisme qui m'apparaît alors ne peut être que contemporain ».

Jean-Marc Adolphe

Transcription

Journaliste
Nagasaki, Hiroshima, le feu nucléaire a plongé le Japon dans la nuit. Comment survivre, le corps irradié recouvert de cendres, mi-hommes mi-femmes condamnés à l’errance, les danseurs du buto tentent de calmer les esprits du vieux Japon. Les Kamis, esprits de l’air de la terre, de l’eau, du sang.
Gilles Laprévotte
Ça parle de choses totalement élémentaires, la vie, la mort, la métamorphose du corps, la renaissance donc même si on ne sait pas exactement d’où vient cette danse, elle est née dans les années 60, au début des années 60 au Japon, je pense que même sans cette connaissance on est profondément bouleversé et touché par cette danse.
Journaliste
La compagnie Sankai Juku, tout en respectant les codes et les règles du buto traditionnel offre ici une danse plus apaisée. Hibiki, la lointaine résonance, un spectacle rare, actuel, universel et paradoxalement accessible.
(Musique)
Intervenante
Un univers vide et qui se remplit peu à peu, qui passe du blanc à une grande tache rouge qui est absolument superbe, c’est magnifique.
Journaliste
Et lorsque enfin les dieux et les hommes sont apaisés, ils dansent.
(Musique)