Roméo et Juliette revu par Jean-Claude Gallotta

09 janvier 1992
02m 25s
Réf. 00880

Éclairage

Quelle liberté foutraque dans cette version de Roméo et Juliette chorégraphiée en 1991 par Jean-Claude Gallotta. Serpentin d'hommes et de femmes nus, match de foot mené haut la jambe par des papys en chaussettes, animateur allumé qui veut couper le monde en deux... Ce court reportage au Théâtre de la Ville réussit à donner la saveur étonnante de cette pièce qui ne plut pas à tout le monde. En 1991, il faut dire que Gallotta sème une joyeuse pagaille dans le milieu de la danse contemporaine. Défiant Shakespeare, il ose une relecture dansée et parlée de Roméo et Juliette sur une musique rock d'Henry Torgue et Serge Houppin. Il lance l'affaire sous une bannière originale : le D.M.T. Autrement dit : Danse-Texte-Musique, la nouvelle trinité sous laquelle il se réfère pour un cycle de création annoncé en rupture avec son style. Son scénario, imaginé avec son dramaturge Claude-Henri Buffard, situe d'emblée l'action dans un tombeau pour y retrouver enlacés Roméo (Pascal Gravat, en rocker) et sa Juliette (Deborah Salmirs). Entre gags (danse du ventre par Kiki en travelo lamé) et boutades (à l'ère du sida, "les précautions à prendre sont dans les distributeurs"), sensualité (dans un grand lit carré comme le veut la chanson populaire) et mort (Roméo tue Juliette d'un coup de revolver), la version de Gallotta, qui fait de Roméo le fils de Don Juan, envoie valser les clichés de l'histoire d'amour connue de tous. En flirtant avec la comédie musicale, Gallotta, qui allait dans la foulée mettre en scène un Don Juan pour l'Exposition universelle de Séville en 1992, osait se risquer sur un nouveau terrain de jeu très show.

Ce coup de volant vers une danse théâtrale et divertissante, fort peu suivi par les programmateurs en dépit du succès public des spectacles, souligne le penchant de Gallotta pour les personnages hauts en couleurs. C'est avec Ulysse en 1981 que le chorégraphe mit sa carrière sur orbite. Presque Don Quichotte ( 1999) soufflait sur les moulins de la folie de l'Ingénieux Hildalgo. Quant au spectacle Les Larmes de Marco Polo (2000), dans lequel Gallotta interprétait le père de Marco Polo, il naviguait entre vivacité et lourdeur sur les traces de l'aventurier vénitien.

Goût romanesque, souffle littéraire, appétit de fiction, se retrouvent aussi dans les héros imaginaires comme Ivan Vaffan qui font le sel de l'oeuvre de Gallotta à ses débuts. Comme certains de ses collègues, le Grenoblois aime raconter des histoires tout en se glissant dans les mailles de l'histoire de la danse. Un an avant lui, Angelin Preljocaj proposait son Roméo et Juliette chorégraphié pour le Ballet de l'Opéra de Lyon. Le premier spectacle sur ce motif fit son apparition en 1940 dans la chorégraphie de Léonide Lavroski sur la partition composée par Prokofiev six ans auparavant. Frederick Ashton, premier occidental à s'y attaquer pour le Ballet royal du Danemark, propose sa version en 1955, puis John Cranko trois ans plus tard. En 1965, Kenneth MacMillan met en scène Rudolf Noureev et Margot Fonteyn dans les rôles-titres : sa version est toujours au répertoire du Royal Ballet de Londres. Bascule de vie, Rudolf Noureev, passé chorégraphe, ramasse la donne en 1984 dans les décors d'Ezio Frigerio, à l'Opéra de Paris. Sur le versant contemporain, Jean-Christophe Maillot, avec la complicité du plasticien Ernest Pignon-Ernest, décline le scénario en noir et blanc en 1996. A Prokofiev, Sasha Waltz préfère en 2007 la partition d'Hector Berlioz, tout comme Thierry Malandain trois ans plus tard.

Rosita Boisseau

Transcription

(Silence)
(Musique)
Journaliste
Roméo et Juliette au tombeau, gisant parmi les gisants et chacun sait que dans cet enfer-là, on s’ennuie à mourir. Alors pour tuer le temps, il y a Monsieur M et ses inventions.
Comédien
Ce soir, j’ai décidé de séparer les hommes des femmes. J’ai autant de corps que je veux, ils n’ont pas lésiné, des dizaines de corps, des grands, des petits, des légers, des masculins, des féminins et ils m’ont dit, hahaha, tu nous organises ça comme tu sens, hihihi !
(Musique)
Journaliste
Monsieur M, diable sympathique n’admet, pas la confusion.
(Musique)
Comédien
Silence, les femmes de ce coté, et les hommes de l’autre. Allez, et vous en faites pareil.
Journaliste
Roméo et Juliette résistent pourtant à ce nouvel ordre des choses, ils donnent même le mauvais exemple.
(Musique)
Journaliste
Histoire tumultueuse et fantasque avec des contre-pieds pour mieux nous perdre.
Jean-Claude Gallotta
Au lieu de prendre une histoire connue et puis se cacher derrière, prendre une belle musique, c’est plein de petits bouts d’accroches, de mises en abîme. Des fois, on ne sait pas où on va. Mais comme aujourd’hui, c’est-à-dire que moi je lis, j’écoute de la musique, je vois du tragique à la télé ; et puis tout d’un coup un truc comique, et c’est sans arrêt balloté d’un truc à l’autre. Et j’ai voulu raconter cette société.
(Musique)
Journaliste
Et puis il y a aussi ces moments de grâce où les familles réunies dansent la vie.
(Musique)
Journaliste
Jean-Claude Gallotta ou comment nourrir la légende de Roméo et Juliette par toutes les surprises, toutes les cultures.
(Musique)