Pierre Boulez dirige Pelléas et Mélisande au Covent Garden de Londres

05 décembre 1969
02m 48s
Réf. 01103

Notice

Résumé :

A l'occasion de la première d'une nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy au Royal Opera House de Covent Garden, à Londres, le compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez, qui dirige le spectacle, parle de sa conception du chef d'œuvre de Debussy, en insistant sur l'humanité des personnages.

Date de diffusion :
05 décembre 1969
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

Dès sa création en 1902 à l'Opéra-Comique de Paris, devant un public majoritairement hostile, l'opéra Pelléas et Mélisande de Debussy a donné lieu à de nombreux malentendus. Inspiré d'une pièce de l'écrivain symboliste Maurice Maeterlinck se déroulant dans un Moyen-Age onirique, l'opéra de Debussy délaisse tout brio vocal pour rapprocher les lignes vocales des chanteurs du débit et des inflexions de la voix parlée, l'orchestre accompagnant les voix de manière économe la plupart du temps. On a ainsi pu railler l'absence de « mélodies » d'un opéra tout entier au service du texte et l'apparente facilité du chant qu'il requiert.

De même, la naïveté de certaines formulation de Maeterlinck, à la fois quotidiennes et poétiques, ont donné lieu à de nombreuses interprétations : après plusieurs décennies de spectacles devant des toiles peintes qui reflétaient un Moyen-Âge réaliste à travers des images de châteaux et de forêts, et des costumes inspirés de la peinture médiévale ou pré-raphaélite, vint le temps d'une certaine abstraction poétique qui revêtait le drame d'un manteau pastel et mythique.

A la fin des années 60, lorsque Pierre Boulez aborde pour la première fois l'opéra de Debussy, le goût est en train d'évoluer. Le compositeur et chef d'orchestre français, avec son habituelle précision rhétorique, en parle très bien. Il explique comment Debussy a cherché à briser les conventions de l'opéra afin que l'action avance, sans sacrifier à la violence de ce « théâtre de la cruauté » qui constitue une part non-négligeable du théâtre maeterlinckien. Boulez parle de la nécessité de trouver un équilibre entre réalisme et abstraction poétique. Il souligne aussi l'exigence vocale de la partition. A l'occasion de cette production anglaise, Pierre Boulez enregistrera d'ailleurs l'ouvrage, et il y reviendra en 1992 avec la complicité du metteur en scène Peter Stein, pour une production donnée à Cardiff et à Paris (au Théâtre du Châtelet).

Alain Perroux

Transcription

Journaliste
Pierre Boulez, 44 ans, le fondateur de la nouvelle musique en France, qui est devenu, à l’étranger, l’un des premiers chefs d’orchestre du moment. Au Covent Garden de Londres, il dirige pour la première fois la nouvelle production de Pelléas et Mélisande , l’unique opéra de Claude Debussy, l’un des évènements de la saison européenne.
Pierre Boulez
Claude Debussy a été gêné certainement par la convention de l’opéra. Il a cherché à briser cette convention en se rapprochant, autant qu’il le pouvait, de ce qu’un acteur aurait fait probablement. La grande difficulté, c’est de promouvoir l’action et de faire que l’action se meuve constamment et que ses efflorescences lyriques n’y soient pas sacrifiées. Moi, j’ai tâché de retrouver en particulier la violence originelle de Debussy et la violence et les extrêmes de Debussy. Debussy n’est pas toujours quelqu’un de doux. C’est au contraire comme un chat, à mon avis, ou comme un félin si on trouve une comparaison plus noble, c’est-à-dire que les pattes sont douces en général mais il peut très bien se faire que les griffes sortent très vite et peuvent labourer la peau très facilement. Du point de vue de la présentation scénique, j’estime que justement, il faut une présentation scénique qui ne soit pas obsédée à représenter des faits réels, mais qui ne soit pas non plus, qui ne tombe pas dans une espèce de décoration de vitrine. C’est-à-dire qu’on ne peut pas faire finalement de Pelléas une espèce d’histoire symbolique qui pourrait se passer dans une vitrine du Faubourg Saint-Honoré. Il faut au contraire, à mon avis, pouvoir accuser les contrastes et enlever, non pas enlever parce qu’elle n’y est pas, mais du moins éviter de tomber dans la monotonie d’une histoire réduite à des composantes purement politiques et je dis bien politiques entre guillemets. Les personnages de Pelléas sont le contraire de personnages mythiques. Ce sont des personnages tout à fait humains. C’est une espèce de drame bourgeois pratiquement, seulement avec une autre dimension et je pense qu’il faut prendre Pelléas, non pas comme un espèce de conte symbolique, mais au contraire comme un drame de fait et comme un drame bourgeois 1900. Le drame lui-même de Pelléas doit être placé dans un espèce de cadre intemporel, donc les décors ici ne précisent absolument pas ni la date, ni les rapports avec l’histoire générale. C’est un conflit qui se produit dans la plus pure généralité. On croit que Pelléas est un opéra sans ressource vocale, où il ne faut pas beaucoup de ressources vocales. Au contraire, je crois que pour avoir une interprétation juste, il faut avoir des chanteurs qui aient une grande réserve vocale. Et si vous avez une voiture qui a une grande réserve de puissance, même si vous roulez à 60 à l’heure, vous le sentez parce que vous pouvez aller tout d’un coup plus vite et très rapidement. Je ne veux pas choquer les Français en leur disant cela, mais ils n’ont pas de chanteurs d’une classe internationale, qui puissent le faire, tout simplement. Moi, je ne demanderais pas mieux que d’employer des chanteurs français s’il y en avait qui étaient à la hauteur de leur tâche.