Frédéric Mitterrand
Vladimir Karassev, comment se passait le travail de cinéaste pour vous en Estonie ?
Vladimir Karassev
On peut dire que malgré toutes les difficultés faisant ce film, j'ai fait ce que j'ai voulu.
C'est-à-dire une fois le thème accepté, on te donne vraiment la possibilité de faire ce que tu veux, s'il y a la confiance du studio vis-à-vis de toi.
Je fais ça, mais voilà, le résultat n'était pas bon pour les autorités.
Et ce n'est pas seulement le film qui était condamné.
Tous les gens qui ont soutenu ce travail, tous étaient ou destitués, ou blâmés ou renvoyés à un autre poste moins important.
Et après, une grande tracasserie qui a duré des années et voilà, le film était interdit avant de passer une seule fois.
Frédéric Mitterrand
Est-ce que vous avez su pourquoi ?
Est-ce que... qui est-ce a été motivé ?
Vladimir Karassev
Ah naturellement. La problématique, mais le triangle fatal, c'est le Triangle de Bermudes de ce film, c'est le pessimisme, c'est l'idéologie, c'est le formalisme, la recherche formelle et le naturalisme.
Voilà, ces trois péchés mortels.
Frédéric Mitterrand
C'était donc, on n'a pas dit que vous étiez un cinéaste estonien gênant politiquement, on vous a accusé sur le plan esthétique.
Vladimir Karassev
Bon disons oui, on peut dire comme ça.
Mais en même temps, il y avait une lutte de deux ans autour de ce film.
Il y avait des forces d'Intelligentsia estonienne même des Intelligentsia du parti national qui ont soutenu le film.
Mais tout ça était écrasé par Moscou qui n'a pas voulu voir ce film et même l'accepter.
Ils sont arrivés jusqu'au point, ils ont voulu brûler ce film en mon absence, j'étais exactement à Moscou pour lutter, pour faire quelque chose pour le sauver.
Ils ont brûlé mille... parce que ce film est long, c'est un film de quatre heures.
Il y avait beaucoup de bobines doubles etc. etc.
Ils ont brûlé mille boîtes.
Tout ce qu'ils ont trouvé dans ma salle de montage, ils ont brûlé tout ça, pensant que le matériel et les copies sont dedans.
Mais mon caméraman a pu... disons voler, pas voler parce que le film était resté dans la même maison, mais il montait à un étage et cet autodafé a évité deux copies et le négatif du film.
Comme ça, le film existe.
Revenant de Moscou, j'ai pu le transférer en archives de table à l'Estonie, comme un simple matériel audiovisuel, pas un film.
Ce n'était pas enregistré comme un film, c'est un matériel audiovisuel et transféré par moi en archives.
Et comme ça, ils ont pu le garder jusqu'ici.
Frédéric Mitterrand
Ce qui est terrible...
Vladimir Karassev
Sinon il serait détruit.