Milan Kundera

31 octobre 1968
09m 21s
Réf. 00056

Notice

Résumé :

Milan Kundera, tout en se balançant dans un fauteuil gonflable, présente son roman La Plaisanterie, dont le récit s'inscrit dans vingt ans d'histoire tchèque.

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31 octobre 1968
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Éclairage

Né en 1929 dans une famille d'intellectuels et d'artistes (son père était musicologue et pianiste), Milan Kundera étudie la littérature, l'esthétique puis le cinéma à la faculté de Prague. Il est reconnu très tôt pour sa poésie novatrice (Monologues, 1957). Mais ses relations erratiques avec le Parti Communiste auquel il s'affilie en 1948 avant d'être radié en 1950, réintégré en 1956 et définitivement exclu en 1970 à cause de son rôle durant le Printemps de Prague, lui valent la censure de son oeuvre durant la répression soviétique.

En 1975, année de publication de La Plaisanterie, un roman qui est immédiatement lu comme une critique du totalitarisme, il s'exile en France et est déchu de sa nationalité en 1979. Ecrivant dès lors en tchèque et en français (La Lenteur, 1995), enseignant à l'EHESS de Paris, il est naturalisé en 1981. La publication de L'Insoutenable légèreté de l'être en 1984 et son adaptation par Philip Kaufman, en 1988 lui valent une reconnaissance mondiale, que confirme la publication en 1990 de L'Immortalité.

A travers ses romans mais aussi des essais (L'Art du roman, 1987), son oeuvre met en place une subtile méditation sur les origines culturelles et la modernité de la civilisation européenne. L'Ignorance (2000), écrit en français mais publié d'abord en espagnol, est son dernier roman.

Aurélia Caton

Transcription

Interviewer
La plaisanterie, Milan Kundera, c'est un livre tellement complexe qu'on ne sait pas très bien par quel côté commencer. Il faut dire que c'est d'abord une chronique, l'histoire d'un personnage et même de plusieurs personnages, qui résume à peu près vingt ans d'histoire de votre pays. Et vingt ans surtout de vies d'individus. Parce que c'est plutôt l'histoire d'individus que l'histoire d'un pays ou d'un régime.
(Silence)
Interviewer
Ce qui est extraordinaire, c'est l'évolution en vingt ans de tous ces personnages. Est-ce que vous pouvez dire à peu près ce qui est arrivé à celui qui dit « je » la plupart du temps dans votre livre ?
(Silence)
Milan Kundera
Quand le roman commence, il est étudiant. Et qu'est-ce qui lui arrive à ce moment-là ?
(Silence)
Milan Kundera
Le roman commence en l'année 1948, mais les jours, quand... cette histoire, c'est l'histoire de trois jours. Ces trois jours, ce sont les souvenirs qui sont envahis dans ces,...
Interviewer
Oui c'est un retour en arrière mais en fait on a vraiment l'impression de vivre ces vingt années avec cet étudiant qui pour une plaisanterie, d'où le titre du livre, va voir toute sa vie changée de façon peu plaisante. Qu'est-ce que c'était cette plaisanterie ?
(Silence)
Milan Kundera
Le titre de ce livre, La plaisanterie, a beaucoup de sens, c'est premièrement une plaisanterie concrète. C'était une petite lettre qu'a envoyée un étudiant à sa fiancée ou à sa fille oui, qui était censurée. Alors c'était une plaisanterie qui était écrite dans cette lettre. Par cette plaisanterie commence le développement de l'histoire de ce roman. Alors c'est la plaisanterie dans le sens concret. Et puis, la plaisanterie ça signifie pour moi, pour ce roman, une certaine catégorie de la vie en général. Parce que le caractère de notre histoire était assez drôle, et d'après mon avis, elle a un caractère tragique grotesque. Nous avons vécu vraiment une grande plaisanterie de l'histoire. Alors, c'est l'autre sens de cette notion « La plaisanterie », peut-être peut-on dire aussi « La blague ». J'ai réfléchi beaucoup aussi si c'était mieux de dire « La plaisanterie » ou « La blague ».
Interviewer
Puisque le titre du livre est La plaisanterie, gardons La plaisanterie.
Milan Kundera
Gardons La plaisanterie.
Interviewer
Ce qui est assez significatif je trouve, c'est que cette « plaisanterie » alors au sens où la carte postale qui est envoyée avec des ricanements sur les optimistes, ce qui est très mal vu évidemment à l'époque, est envoyée à une femme, parce que celui qui l'envoie trouve que cette femme qui est son amie, est un peu bête et un peu optimiste justement et fait un peu trop de zèle. Ce n'est pas par hasard dans le sens que c'est une chose qui est envoyée à une femme, parce que les femmes vont jouer un grand rôle dans le livre ensuite. Le héros, je résume un peu parce que c'est quand même plus facile, pour ceux qui nous écoutent comme ça de voir de quoi il est question, Le héros à la suite de cette plaisanterie va être chassé du parti, chassé de l'université, et envoyé dans un bataillon disciplinaire où il sera mineur, mineur de charbon, mineur de fond. Et à ce moment-là, il va encore rencontrer une femme, et ça va être une aventure très curieuse, très insolite, je ne saurais à quoi la comparer. Le roman entre ce soldat, ancien étudiant, et cette fille qui s'appelle Lucie.
(Silence)
Milan Kundera
Qu'avez-vous voulu dire par cette histoire de Lucie ? C'est très difficile de faire une interprétation de son roman, c'est très difficile à faire parce que on simplifie toujours les choses et je suis le pire interprétateur de mon roman. C'est une femme qui a signifié pour ce héros un certain mythe.
(Silence)
Milan Kundera
Cette femme était pour lui un être en dehors de l'histoire. Parce que ce héros, comme nous tous, nous étions choqués, bouleversés, terrorisés, par les expériences historiques, par l'histoire. Nous vivions malheureusement trop dans l'histoire. Cette femme tout à fait simple était un être qui a vécu en dehors de l'histoire. Alors, elle a signifié pour ce héros un certain soulagement, un certain...
Interviewer
Une évasion oui, en dehors de ça. Et ce qui est très curieux aussi, c'est que lorsque le héros va être sorti de ces premières épreuves, il va vouloir tirer une vengeance de cette société qui l'a accablé, qui l'a brisé. Et c'est un peu à travers une femme qu'il va vouloir tirer une vengeance.
Milan Kundera
Oui, c'est aussi à travers une femme. J'ai pensé toujours que j'ai écrit un roman d'amour. Malheureusement, et surtout à l'étranger, ce livre est considéré comme un roman politique. C'est d'après mon avis tout à fait faux. Naturellement, ce roman d'amour est tout à fait déterminé par les conditions historiques, qui sont d'après mon avis tout à fait uniques et sans précédent. Alors ces conditions historiques posent des questions tout à fait nouvelles.
(Silence)
Interviewer
Et ce qui est très curieux justement, c'est de voir comme le temps passe, comme ce livre est complexe et comme il ne se laisse pas réduire justement à un roman politique. C'est plutôt un roman pirandellien où les bons ne sont pas toujours tellement bons, la preuve c'est le comportement du narrateur avec cette femme Hélène dont il va tirer quelque vengeance, Où les mauvais finissent par ne plus être mauvais à la fin parce que tout le monde évolue, Où il y a des personnages secondaires dont on ne sait pas, finalement, s'ils sont opportunistes, s'ils sont simplement un peu bébêtes, ou s'ils sont au contraire touchants et attendrissants. Le temps unifie tout finalement et les rescapés de cette grande aventure qu'il aient été bourreaux, qu'ils aient été victimes, C'est très curieux, aux yeux des jeunes et vous le montrez à la fin, c'est un des passages peut-être les plus émouvants de ce livre, qui émeut très souvent, Et bien pour les jeunes ça ne signifie plus rien d'avoir été envoyé dans les mines de charbon, ou d'avoir été celui qui a envoyé son copain dans les mines de charbon. Et bien, c'est pareil. Ça leur paraît démodé, dépassé, c'est de vieilles histoires. C'est vraiment un sentiment que vous avez éprouvé ?
Milan Kundera
Oui.
(Silence)
Interviewer
Je ne sais encore ce qu'on pourrait dire sur ce livre. Je crois que notre esprit évidemment est un peu détourné par l'attention que nous portons à tout ce qui vient de Tchécoslovaquie aujourd'hui et au drame tchèque. Mais il faut penser que c'est une oeuvre d'art, enfin c'est par çela que je voudrais terminer. Il faut penser que ce livre, en d'autres circonstances, aurait mérité également de durer, de trouver des admirateurs fanatiques. Je crois que j'en suis un mais il y en aura beaucoup d'autres. C'est un choc un peu comme la première fois où j'ai lu Pavez, et ceux qui me connaissent sauront qu'il ne peut pas y avoir de plus grands compliments de ma part. Je remercie en tout cas Milan Kundera d'être venu, d'avoir fait cet effort de parler un peu en français avec nous. Et je rappelle le titre de cet ouvrage : La plaisanterie.
(Musique)