Krysztof Kieslowski à propos du film Blanc

30 janvier 1994
03m 18s
Réf. 00212

Notice

Résumé :

Krzysztof Kieslowski répond aux questions de Michel Field sur son film Blanc. Il évoque les thèmes de son film, l'amour, le besoin d'aimer, la cruauté, et surtout l'absence d'égalité.

Type de média :
Date de diffusion :
30 janvier 1994
Thèmes :

Éclairage

Si le cinéaste polonais Krzysztof Kieslowski (1941-1996) a situé en France sa trilogie Trois couleurs, c'est, a-t-il souvent répété, parce que l'argent nécessaire à produire le film était français (le producteur en est Marin Karmitz, PDG de la société MK2).

Après le succès critique international du Décalogue, son film en dix parties de 1998, il réalise trois films aux couleurs du drapeau français. Bleu, avec Juliette Binoche évoque peu ou prou la question de la liberté, Blanc, avec Julie Delpy, de l'égalité, et Rouge, avec Irène Jacob, de la fraternité. Blanc (1994) raconte l'histoire d'un coiffeur polonais dont l'épouse française obtient le divorce pour mariage non consommé. Il revient en Pologne et y fait fortune mais il se languit toujours d'amour.

Kieslowksi aborde la question de l'égalité avec ironie : qui veut vraiment être l'égal des autres ? "Chacun veut être plus égal que l'autre", écrit Kieslowski dans son ouvrage Le Cinéma et moi (éditions Noir et Blanc, 2006). Interrompue par le décès du cinéaste, une autre trilogie devait suivre Trois Couleurs. La première partie, la seule écrite, Heaven, a été adaptée à l'écran par Tom Twyker en 2002.

Charlotte Garson

Transcription

Krzysztof Kieslowski
Je raconte une histoire simple d'un coiffeur, qui en l'occurrence est polonais, et qui est lié à une jeune française, qui en l'occurrence est française. C'est le hasard, elle aurait pu être américaine ou polonaise, japonaise ou indienne, ça n'a pas d'importance. Je pense que c'est un film qui parle de nos faiblesses, des faiblesses humaines. L'amour, la volonté d'aimer, le besoin d'aimer. Bien sûr, la vengeance aussi, la cruauté aussi et l'absence d'égalité, on parle de cette devise républicaine quand-même, absence d'égalité.
Michel Field
Mais cette histoire d'amour, bon c'est une sorte de conte moral, c'est une histoire d'amour qui est en fait une longue passion, un long chemin de croix, un long calvaire.
Krzysztof Kieslowski
Bien sûr oui, mais la vie est comme ça, n'est-ce pas ?
Michel Field
Pas toujours.
Krzysztof Kieslowski
Non, non, je pense que c'est toujours comme ça la vie.
Michel Field
Alors où est l'égalité dans ce rapport amoureux extrêmement conflictuel, extrêmement violent ? C'est dans la réciprocité de la vengeance, c'est dans le moment où ils vont finalement se retrouver, après les épreuves presque initiatiques qu'ils ont subies ou qu'ils se sont faits subir l'un à l'autre ?
Krzysztof Kieslowski
Non, non, mais il n'y a pas égalité, c'est ça le sens du film. L'absence d'égalité, et l'égalité, c'est un mot qui représente en fait un mensonge dans le film. Nous parlons toujours de l'égalité, et il serait peut-être plus exact de parler de l'égalité vis-à-vis de la loi, du droit, mais en ce qui concerne l'égalité en tant que telle, personne n'en veut, en fait. Récemment, j'étais à Nancy, il y a une semaine seulement. Il y avait un auditoire rempli de gens, et j'ai posé la question suivante : qui d'entre vous veut être égal ? Levez la main, s'il vous plaît. Et personne n'a levé la main.
Michel Field
C'était une forme d'égalité si personne n'a levé la main.
Krzysztof Kieslowski
Bien sûr, une forme d'égalité dans l'inégalité. Et j'ai demandé si, est-ce que vous avez quelqu'un ; est-ce que vous connaissez quelqu'un qui veut être égal ? Personne n'a levé la main, personne ne veut être égal. Tout le monde, tous les gens veulent être meilleurs. Vous, vous voulez être meilleur que les autres, et moi aussi, je ne veux pas être égal aux autres.