Angel Wagenstein

24 novembre 2004
05m 08s
Réf. 00330

Notice

Résumé :

L'écrivain, scénariste et cinéaste bulgare Angel Wagenstein s'entretient avec Philippe Lefait à propos de son livre Adieu Shangai

Type de média :
Date de diffusion :
24 novembre 2004
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Éclairage

Né en 1922 dans une famille juive de Plovdiv, Angel Wagenstein passe son enfance à Paris, où son père a fui la répression contre les mouvements socialistes. Rentré en Bulgarie à la faveur d'une amnistie, il s'engage à son tour dans la militance antifasciste, est condamné pour sabotage, interné dans des camps de travail. Il s'en évade, rejoint les Partisans, est dénoncé, torturé et condamné à mort en 1944, peu de temps avant l'entrée de l'Armée Rouge à Sofia.

Après des études cinématographiques à Moscou - où il côtoie notamment Eisenstein - il se lance dans une carrière de scénariste - il reçoit le Prix spécial du Jury à Cannes en 1959 - avant de se tourner vers l'écriture romanesque dans les années 1990. Le Pentateuque, ou les cinq livres d'Isaac, Abraham le poivrot (loin de Tolède) ou Adieu Shanghai, consacrés au destin des juifs d'Europe, reçoivent immédiatement un accueil favorable en Allemagne et en France, bien que Wagenstein reste peu lu dans son pays.

Aurélia Caton

Transcription

Philippe Lefait
Angel Wagenstein, vous êtes bulgare...
Angel Wagenstein
Oui. Vous avez 82 ans. Oui ça, il faut pas le dire toujours.
Philippe Lefait
On peut peut-être le dire aujourd'hui parce que, ça explique votre distance, et d'une certaine manière, une forme de sagesse. Ce qui marque dans votre oeuvre, vous êtes scénariste, cinéaste, romancier, c'est justement cette distance, et pas seulement celle que donne l'âge. J'ai l'impression que c'est une distance qui vous est venue très, très tôt, parce que pendant la Deuxième Guerre mondiale vous avez été condamné à mort, et que cette expérience vous fait écrire, en tout cas, vous fait mettre dans la bouche de l'un de vos personnages de Adieu Shangai, Hilde qui est l'un des personnages principaux de votre roman... Vous lui faites dire : « A 23 ans, on sait tout ce qui vaut la peine d'être su, ce que l'on apprend par la suite n'est que détails du paysage.»
Angel Wagenstein
Je suis sûr que c'est comme ça.
Philippe Lefait
Et je suis sûr que c'est vous qui dites ça, et pas seulement Hilde.
Angel Wagenstein
Oui, c'est moi qui le dis, c'est vrai.
Philippe Lefait
Un mot de repère biographique, j'ai dit que vous étiez bulgare, que donc vous étiez né en 1922, dans une ville qui se situe au sud de Sofia, qui s'appelle Plovdiv. S'il fallait retenir 3 ou 4 éléments biographiques de cette époque, comment est-ce que vous parleriez de votre carte d'identité, qu'est-ce vous mettez aujourd'hui après 8 décennies, sur votre carte d'identité ?
Angel Wagenstein
Bulgare, juif bulgare, c'est plus correct. Qui a passé son enfance, petite enfance en France, en exil avec son père, c'est un exilé politique. Et j'aime la Bulgarie, je ne bouge pas de la Bulgarie. Ça, ça veut dire que je voyage beaucoup mais je reviens toujours comme les éléphants, je reviens là où je suis né. Voilà ! Là est ma femme, elle est bulgare, ma femme. Je peux rien dire de plus. J'ai toujours été très engagé, dans la lutte pour l'humanitaire, pour une paix contre le fascisme. Toujours... Et c'est pour ça que toujours, je demande de ne pas présenter ces livres comme des livres juifs, ce sont des livres sur le destin des Juifs. Mais je pourrais aussi écrire des livres sur le destin des Gitans par exemple, avec tout mon coeur.
Philippe Lefait
Une chose qui est remarquable dans vos livres publiés chez Esprit des péninsules, c'est toujours cette distance que vous mettez par rapport à une histoire qui vous a abîmé, toujours, systématiquement. Cette distance qui se traduit par un humour constant.
Angel Wagenstein
Oui, je ne dirais pas que c'est une distance. A mon avis, c'est une façon de raconter des histoires, pas toujours avec humour. Par exemple, Le Pentateuque ou les cinq livres d'Isaac, si vous l'avez lu, c'est plein de blagues juives, mais ce troisième livre, il est vraiment tragique. Il n'y a pas une blague ici, sauf une blague que Hitler raconte aux journalistes étrangers, c'est l'unique blague ici. Alors, je ne suis pas toujours le même, je change un peu le style. Il y a des coins de la vie dont on ne peut pas rire quand même. Voilà, c'est divers. Si vous aimez les blagues, lisez Le Pentateuque.
Philippe Lefait
Je ne parle pas des blagues, je parle d'humour.
Angel Wagenstein
Humour, ah oui, c'est ça aussi qui, si vous voulez...
Philippe Lefait
Qui est plus de la distance, parce que...
Angel Wagenstein
Dans Abraham le poivrot, oui.
Philippe Lefait
Parce qu'on a été abîmé ?
Angel Wagenstein
L'humour, le rire est aussi une arme de survie, une arme de lutte aussi, une arme de résistance. Moi, je me rappelle que dans notre cellule de condamné à mort, on était 8, on a rigolé beaucoup. Il faut rigoler, chez nous, sinon il faut se pendre. J'étais dans les camps juifs de travail, en Bulgarie, on a rigolé beaucoup. A mon avis, c'est aussi une arme de la résistance, le rire.