Dirk Bogarde talks about his career

19 mai 1978
11m 35s
Ref. 00187

Information

Summary :

In his property in the South of France, Dirk Bogarde reviews his long career, the type of troubled character he has often played, his aspirations and his collaboration with Rainer W. Fassbinder for "Despair".

Media type :
Broadcast date :
19 mai 1978
Source :
FR3 (Collection: )

Transcription

Maurice Leroux
L'inoubliable interprète de "Portier de nuit" et de "Providence", Dirk Bogarde. Dirk Bogarde, vous êtes très connu, en France, depuis "Accident", je crois. Et j'ai vu, dans votre filmographie, que vous aviez fait soixante-dix films, soixante-quinze films. Nous vous connaissons depuis "Accident", "Servant", Les Losey, "Les Damnés", etc. C'est très étrange que vous qui êtes un homme tout à fait charmant, aimable dans la vie, vous faites des rôles toujours extrêmement complexes, mystérieux, angoissants peut-être, même. Et ça nous trouble beaucoup, nous, le public français.
Dirk Bogarde
Ça trouble ?
Maurice Leroux
Ça nous trouble parce qu'on n'a pas l'habitude de voir un homme faire des rôles si semblables, mystérieux et doubles, compliqués.
Dirk Bogarde
Oui, mais ça, c'est le rôle d'un acteur, bien sûr. Pour moi, c'est une grande surprise moi-même. Parce que je suis comme une vache, je suis tellement ordinaire, domestique, je fais mes poubelles moi-même et je suis honnête, j'espère. C'est difficile mais je suis ... Et pour les rôles, alors, c'est des vacances, pour moi, d'être méchant, vilain, des choses comme ça. C'est des vacances extraordinaires.
Maurice Leroux
Vous vous fabriquez, alors ?
Dirk Bogarde
Absolument fabriqué, bien sûr, parce que c'est impossible d'être comme ça tout le temps. J'en connais deux, trois. Mais c'est difficile.
Maurice Leroux
Parce que comme vous êtes installé en Provence, en France, dans ce genre d'endroit superbe, vous n'avez pas envie de faire du cinéma tout le temps, maintenant ?
Dirk Bogarde
Non. Parce que maintenant, vraiment, je suis âgé, vous savez. J'ai un âge certain. Je suis presque troisième âge. Et pour moi, je suis un peu fatigué. Après six ans d'une longue guerre... Pour moi, c'est une longue guerre à faire. Je commence dans l'armée à dix-huit ans et je quitte l'armée à vingt-six ans. Ça, c'est un "vacuum", on dit ça en français ?
Anne Andreu
Un grand vide.
Dirk Bogarde
Un grand vide. C'est un grand vide. Et après ça, j'ai commencé à faire du cinéma. J'ai fait soixante-trois, soixante-cinq films. Maintenant, je crois que c'est le moment pour dire : " Reposez-vous ". Autour de moi, maintenant, c'est le cadre pour moi. C'est le rêve de ma vie. Et je suis dans le pays de ma vie, je suis dans ma peau, ici. Et je préfère être moi-même. Et de temps en temps... Parce que tout le monde a besoin de l'argent, de temps en temps, hélas, on tourne un film. Parce que je ne fais rien d'autre ! (On dit ça ?)
Maurice Leroux
Et du théâtre, non ?
Dirk Bogarde
I don't do anything very well.
Anne Andreu
Il ne fait rien très bien.
Dirk Bogarde
Et du théâtre, non. Non, jamais. C'est pénible, le théâtre. C'est trop long.
Maurice Leroux
On va parler du film qui est au festival, mais vous vous intéressez aussi aux jeunes réalisateurs, à la nouvelle génération ?
Dirk Bogarde
Seulement les jeunes parce qu'avec les jeunes, vous avez la vie, encore. Mais avec eux, par exemple, Fassbinder, c'était merveilleux parce qu'il y avait absolument la moitié de mon âge. Lui, trente ans, trente-deux. J'ai presque soixante ans. On commence et recommence, dans la vie, et au cinéma. C'est comme une piqûre de vitalité. C'est merveilleux.
Interwiewé
[Anglais]
Anne Andreu
Mais alors "Despair" aujourd'hui, de Fassbinder.
Dirk Bogarde
Je n'ai pas vu le film, je ne sais pas.
Maurice Leroux
Vous ne voyez pas les films ? Vous ne les voyez jamais, les autres ?
Dirk Bogarde
Jamais, non.
Maurice Leroux
Les rushs ?
Dirk Bogarde
Jamais. Moi, je déteste moi-même mon visage. C'est âgé.
Maurice Leroux
En tout cas, il faut que vous voyez le film de Fassbinder, parce que nous, nous l'avons vu, et c'est admirable.
Dirk Bogarde
J'espère voir le film très prochainement.
Anne Andreu
Et est-ce que vous pensez que le film de Fassbinder est un film allemand ?
Dirk Bogarde
C'est un film international, je crois.
Anne Andreu
Oui, moi, je pense que c'est un film qui est très lié à un certain héritage littéraire, comme ça, le personnage de la folie, le dédoublement, et qu'au fond, c'est un film qui appartient aussi bien à toutes les nations. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Dirk Bogarde
C'est à toutes les nations. Et hélas, au moment, c'est presque pour tous les gens. C'est un problème d'identité, de tranquillité, ... comment dit-on peace ? Paix. Et satisfaction. Qu'est-ce que c'est happiness ?
Anne Andreu
Bonheur.
Dirk Bogarde
Le bonheur, c'est ça. C'est perdu pour tout le monde, le vrai bonheur.
Anne Andreu
Est-ce que vous vous êtes glissé facilement dans ce personnage de Despair ? Est-ce que c'est un personnage que vous avez vite senti ou il a fallu que vous travailliez beaucoup sur le rôle ?
Dirk Bogarde
Oh ! Je travaille beaucoup beaucoup. Parce que comme toujours, on commence par le dernier shot, vous savez. Alors, ça, c'est la fin du film. C'est le moment suprême de ruine, de désolation. On commence avec ça. Pas le commencement qui est charmant. C'était très difficile, c'est dur. Mais avec Fassbinder, il a... comment dit-on, en français ? Génie ?
Anne Andreu
Génial ?
Dirk Bogarde
Génial. En anglais, c'est quelque chose d'autre. C'est charmant. Ah, génial et charmant, ça ne veut pas dire exactement la même chose. Genius.
Anne Andreu
Génie.
Dirk Bogarde
J'ai dit génie. Mais il y a du génie, vraiment, sans doute. C'est bizarre parce que ce n'est pas souvent qu'on trouve du génie dans un jeune homme de vingt-neuf ans, de trente ans. Mais vraiment, il l'a. Quand on est arrivé, le premier jour, dans cette maison, ici, chez moi, sur cette terrasse, c'est la première fois. Tous les gens autour de moi ont dit : " Faites attention parce qu'il arrive, aujourd'hui, dans son costume ". C'est la première fois. Alors, il arrive avec un costume, avec une cravate énorme. Très timide, énormément. Il est dans le cuir noir, avec la barbe, les lunettes... Il arrive. Après dix minutes, j'ai dit : " Dites-moi qui est Herman en deux mots ". Il me l'a dit en deux mots : " Il est fou, il est double ". J'ai dit, parce qu'il y a un double dans le film, moi et un autre. J'ai dit : " C'est moi qui joue le rôle du double, non ? C'est le même acteur ou non ? ". Il m'a dit : " Non, c'est un autre acteur. Parce que vous ne ressemblez du tout au double". C'était parfait. J'ai dit : " Rainer, je crois c'est une bonne idée. Il y a des gens, là. Je vais aux cuisines voir le déjeuner. Il n'y a rien pour nous, à dire. There is nothing to say.
Anne Andreu
Il n'y avait rien à dire.
Dirk Bogarde
Parce que nous sommes absolument d'accord, c'était le mariage. Absolument, c'était bizarre. Mais vraiment, c'était le mariage. Et vraiment, ce n'est pas très poli, mais après soixante deux films, c'est le seul film après longtemps, que j'adore absolument. Et que je suis très très... comment dit-on proud ?
Anne Andreu
Fier. Fier d'avoir fait.
Dirk Bogarde
Et c'est une chose bizarre à dire parce que ce n'est pas normal. C'est extraordinaire. C'est un coup de téléphone, soudainement. " Voulez-vous jouer un rôle dans un film de moi ? ". " Vous connaissez mon nom ". Et c'était merveilleux. C'est dur. C'était dur, dur dur. Mais je pense que c'est une chose merveilleuse. Et nous n'avons pas, pendant tout le tournage, cinq mois, un mot entre les deux. Jamais. Seulement sur le plateau : " Comment ça va ? ", " Très bien, et vous-même ? ". C'est tout. C'est tout.
Anne Andreu
Alors, vous voyez que ce n'est pas si simple quand vous dites que vous ne voulez plus faire de cinéma. La vie n'arrête pas de vous apporter des surprises, et des bonnes surprises. Fassbinder peut être...
Dirk Bogarde
Oui, c'est une surprise.
Anne Andreu
Donc, en fait, vous restez disponible pour d'autres Fassbinder ?
Dirk Bogarde
Ah ah ! Si vous voulez...
Interwiewé
[Anglais]