Entretien avec un acteur atypique : James Robertson Justice

17 mai 1957
05m 56s
Réf. 00041

Transcription

François Chalais
Nous vous avions promis, il y a quelques jours, de vous faire faire plus ample connaissance avec James Robertson Justice, étonnant personnage, s'il en est. Nous tenons toujours nos promesses. Voici donc James Robertson Justice. James Robertson Justice... ce n'est pas facile à dire ! Vous êtes certainement un personnage très curieux mais je crois que vous paraîtrez encore plus curieux à notre public quand ils vous entendront parler. Ne parlez pas tout de suite parce qu'on va leur faire la surprise. J'ai dit que vous êtes un personnage très curieux parce que j'ai, dans ma poche, une biographie de vous très bien faite, où on m'explique ce que vous êtes. Est-ce que vous savez ce que vous êtes, exactement ?
Justice James Robertson
Non.
François Chalais
Je vais vous le dire. C'est très très bien fait. Vous avez été... Vous êtes d'abord polyglotte distingué. " Distingué ", c'est marqué là-dedans. Votre instruction est nourrie et elle vous a incliné vers l'enseignement. Vous êtes donc professeur. A part ça, vous avez été correspondant à l'étranger, vous avez été bûcheron, vous avez été marinier, vous avez été coureur automobile, vous avez été directeur de patinoire, vous avez été photographe, vous avez été assureur, vous avez été arboriculteur, policeman, chauffeur de camion. Là, ça s'arrête, c'est le bas de la page. C'est vrai, tout ça ?
Justice James Robertson
Oui.
François Chalais
Vous avez fait tout ça ?
Justice James Robertson
Oui.
François Chalais
Dans quelles conditions ? Pas en même temps, quand même ?
Justice James Robertson
Non, évidemment. Ca ne peut pas se faire en même temps, quoi. Mais un peu partout dans le monde, vous savez.
François Chalais
Mais comment est-ce que vous êtes passé, par exemple, de coureur automobile à... chauffeur de camion, ça va, on comprend. Mais photographe, assureur, arboriculteur et policeman ? Ca s'est passé comment ? Vous n'avez pas vécu tellement longtemps ?
Justice James Robertson
Non. Vous vous souvenez, enfin. Après 1929, quand tout est tombé, on faisait ce qu'on pouvait.
François Chalais
Vous pouviez faire beaucoup de choses, on dirait ?
Justice James Robertson
Il ne faut pas beaucoup, disons, de génie pour conduire un camion, ni, disons-le, pour être un flic, quoi.
François Chalais
Vous savez, ce n'est pas eux qui le disent, en tout cas. Ils disent le contraire. C'est autre chose. Mais c'est du bon travail d'amateur, j'imagine. Mais qu'est-ce qui vous a incliné à faire ça, à part la crise ? Vous êtes de quelle origine ? Vous êtes écossais, ça, je le sais.
Justice James Robertson
Je suis écossais, oui.
François Chalais
Les Ecossais peuvent tout faire, alors ?
Justice James Robertson
Enfin, on se vante, un peu.
François Chalais
Mais alors, vous étiez destiné à quoi, au départ ?
Justice James Robertson
Je suis scientiste. Mon père était géologue. J'ai fait mon doctorat en Allemagne, justement, en Sciences naturelles.
François Chalais
A Bonn. C'est également marqué dans le papier. C'est bien fait, ces papiers, quand même. Il faut le dire.
Justice James Robertson
Je ne l'ai pas vu.
François Chalais
Je vais vous le donner. Tenez, il est à vous. Vous le lirez chez vous, ce soir, ça vous intéressera. Vous êtes né en 1905 ?
Justice James Robertson
1905, oui.
François Chalais
1905, c'est ça. Votre père était donc géologue et vous avez fait de la science ?
Justice James Robertson
Oui.
François Chalais
Et comment est-ce que vous êtes devenu acteur ? Parce que là, il n'y a aucune raison, à ce moment-là ?
Justice James Robertson
Non. J'ai rencontré un type dans un bar, un jour. Il m'a dit : " Vous savez, je crois que vous devez vraiment tourner dans le film ". Et je lui dis : " Si ça rapporte, et bien, volontiers ". Et enfin, il m'a trouvé une partie dans un film de Ranke, justement. Et dès ce moment, je ne cesse pas de travailler dans le film.
François Chalais
Nous vous avions vu, en France, essentiellement dans "Whisky à Gogo", dans "Robin des bois", dans "Capitaine Hornblower". Nous savons tous que vous monsieur Churchill n'a lu que ça, d'ailleurs.
Justice James Robertson
Ca s'est tourné ici, vous savez, à Villefranche. On a beaucoup tourné à Villefranche. Et j'en suis tellement fier, je peux vous dire, je m'en vante un peu. Il y avait pas mal de marseillais, là-bas, qui tournaient comme figurants. Et comme écossais, je leur ai raconté trois histoires de Marius et d'Olive, qu'ils ne connaissaient pas.
François Chalais
Dites-moi, vous n'êtes pas venu ici pour tourner un film, quand même ?
Justice James Robertson
Non, non. Je suis venu pour le festival.
François Chalais
Juste pour le festival.
Justice James Robertson
Je suis venu avec mon chef, puisque je me mets à sa disposition pour essayer de parler un peu le français pour tout le monde.
François Chalais
Extraordinairement bien. Mais on ne sait pas quel accent vous avez, justement. Vous n'avez pas du tout un accent britannique, vous n'avez pas un accent allemand. Vous avez un peu l'accent de Curd Jurgen, c'est-à-dire, mais vous parlez beaucoup mieux que lui, beaucoup beaucoup mieux. Comment ça se fait que vous parliez si bien le français ?
Justice James Robertson
Une gouvernante française en Ecosse.
François Chalais
Une gouvernante française, c'est bon, ça.
Justice James Robertson
Vous savez, c'est la vieille alliance, la France et l'Ecosse. Nous sommes tous les deux des gens civilisés. Nous sommes séparés seulement par les Anglais.
François Chalais
Vous n'êtes pas possible. Dites-moi, qu'est-ce qui vous a frappé au festival, particulièrement ?
Justice James Robertson
Je vous dis tout franchement qu'hier, puisque vous m'avez présenté, j'ai rencontré pour la première fois Jean Cocteau. C'est une expérience.
François Chalais
C'est un personnage merveilleux.
Justice James Robertson
C'est un grand homme, c'est une autre génération. Pour moi, c'était...
François Chalais
C'est un des plus grands hommes de toutes nos générations, d'ailleurs, (au pluriel), parce qu'il est au moins de cinq, six générations. On a l'impression que c'est lui qui fabrique les époques et pas les gens qui vivent dans la sienne. N'est-ce pas ? Qu'est-ce que vous allez faire, en partant d'ici ?
Justice James Robertson
En partant d'ici, j'ai encore une journée à travailler au studio, à Palmwood.
François Chalais
Une seule journée ?
Justice James Robertson
Une seule journée. Et puis, j'ai un congrès scientifique à Londres, jeudi. Et vendredi, je rentre chez moi, en Ecosse, pour six mois.
François Chalais
Pour six mois ?
Justice James Robertson
J'espère.
François Chalais
Et vous vivez en Ecosse ? Vous avez un château ?
Justice James Robertson
Comment, un château ! Un tout petit...
François Chalais
Il y a du vent ? Comment ça se passe ? Vous buvez beaucoup, là-dedans ?
Justice James Robertson
Non, non.
François Chalais
Vous ne voulez pas prendre une prise, là ? Je sais que vous aimez bien priser.
Justice James Robertson
Vous ne voulez pas me...
François Chalais
Non, moi, j'ai vu ce que ça faisait sur les autres. Cocteau a failli y passer hier. Ce n'est pas possible. Est-ce que c'est un mélange spécial qu'on fait pour vous ?
Justice James Robertson
C'est un mélange spécial, oui, justement.
François Chalais
Et on met ça sur sa main ?
Justice James Robertson
C'est plus facile de le faire comme ça. Ou on peut le faire comme ça mais...
François Chalais
Ca veut dire qu'il faut bien viser, à cause de... tous ces poils...
Justice James Robertson
Et voilà, ça y est.