Portrait de Giorgio Strehler, président du Jury du Festival 1982

05 mai 1982
08m 38s
Réf. 00221

Notice

Résumé :

Portrait du président du jury du 35ème Festival : Giorgio Strehler, fondateur du Piccolo Teatro et metteur en scène à la Scala de Milan. Homme de théâtre, il explique les raisons qui l'ont poussé à accepter cette tâche de président d'un jury de cinéma.

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Date de diffusion :
05 mai 1982
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Transcription

Giorgio Strehler
[Italien] Alors, un film, disons, si vous voulez être très clair, s'il y a un contenu très intéressant qui me passionne mais dont la forme esthétique n'est pas résolue, il ne m'intéresse pas. [Italien] Au fond, le vrai engagement politique dans l'art, c'est de faire l'art de la meilleure façon possible. Alors ça, c'est seulement le message. Alors, le message arrive. Sinon, c'est simplement des déclarations. [Italien]
Journaliste
Cette année, à Cannes, c'est Giorgio Streler, fondateur du Piccolo Theatro et metteur en scène à la Scala de Milan, qui présidera le jury du festival. Un homme de théâtre pour juger le cinéma. Il s'agit d'une émission de cinéma. Ca, vous l'avez bien compris. Et alors, au lieu de toujours s'adresser aux spécialistes et aux cinéphiles, on préfère rencontrer des artistes qui ne sont pas directement liés avec le cinéma. Des écrivains, des peintres, des hommes de théâtre. C'est un peu pour casser le discours cinéphile officiel orthodoxe. Je crois qu'on a beaucoup plus à apprendre de gens comme vous que de spécialistes du cinéma.
Giorgio Strehler
Qu'est-ce que... Quand vous commencez... Vous posez... Dites-moi la première question.
Journaliste
Si vous voulez, on peut commencer.
Giorgio Strehler
On organise la première, et on y va.
Journaliste
Vous avez bien pesé le pour et le contre d'être président du jury du festival de Cannes. C'est une lourde responsabilité.
Giorgio Strehler
Je crois que nous tous, hommes de culture, de lettres, de cinéma, de théâtre, nous pouvons... nous devons faire tout ce que nous pouvons pour resserrer, pour renfermer mieux les liens d'amitié et de compréhension entre les différents pays. Et alors, ça, c'est une... Oui, le festival, vous savez, c'est un grand cirque, où tout le monde se met... C'est la kermesse, un petit peu. Il y a un marché. Oui, on peut parler du marché aussi, si vous voulez. Il y a tout cela mais c'est une grande fête. Au fond, c'est une grande fête dans laquelle les gens se rencontrent. Alors, peut-être voilà que, c'est l'occasion de jeter pas seulement un mot, mais des gestes pour faire quelque chose de concret, pas simplement dire "Ah ! On s'aime bien", "Ah ! La culture !", "Ah ! les Français !", "Ah ! L'Italie", "Ah ! Ensemble, le lien de...". Non, faire quelque chose. Vous comprenez ? Faire quelque chose. Ca, ce sont des liens vrais. Et je crois que ces problèmes... Il y en a tellement que c'est difficile de rétrécir dans la mémoire exactement quelque chose. Mais par exemple, une image. C'est un film qui me rappelle ça.
Interwiewé
Et je comprends très bien quand mon ami Rossellini me disait qu'il est sorti de ce film-là complètement changé.
(Silence)
Giorgio Strehler
C'était "La Foule" de King Vidor, dans lequel c'est déjà tout fait, le néoréalisme. C'est pour cela que Rossellini, je crois, il était tellement bouleversé de voir, lorsqu'il est sorti, devant la foule, il m'a dit : "Je suis sorti et j'étais un autre". Justement, c'est l'image finale de ce bon américain qui rit toujours, et qui finit à jouer avec trois balles, dans la foule d'une ville anonyme, habillé comme un clown, avec un homme sandwich. C'est une image incroyable qui se joint avec l'image, si vous voulez, du vieux professeur, avec les chiens, au moment où [Bertoli décide... ce moment déchirant] où le suicide ne vient pas parce que le chien s'enfuit, il ne veut pas. Il y a ce moment. Mais dans ces moments-là, on pourrait aller une heure. On peut aussi parler de Jean Gabin, dans... comment ça s'appelle ? "Le Jour se lève". Au moment où... il est là avec la pendule qui sonne, et allez, vas-y. Et puis, aussi, "L'Atalante" de Vigo, alors, le bateau, et puis, le chemin de fer de Renoir, et puis, allez-y. Pour nous qui étions une génération de gens qui, évidemment, ont été coupés du grand courant esthétique culturel européen, parce qu'il y avait le fascisme, et que nous avons vécu aussi, l'aventure, ici, à Milan, ce qu'il s'est passé, avec "La Grande Illusion". Avec "La Grande Illusion", le soir, en plein fascisme, on a projeté, dans un cinéma, qui existe encore, d'ailleurs, c'est le Théatre del Arte, ici, tout près d'ici, on a projeté, un soir, "La Grande Illusion" de Renoir, et en plein fascisme, au moment où les gens, les soldats commencent à chanter la Marseillaise. Le public à commencé à applaudir, et ils ont commencé à chanter la Marseillaise. Ca a été le scandale. Il y a eu des arrestations. Ils n'étaient pas organisés.
Journaliste
Et le film a été retiré de l'affiche ?
Giorgio Strehler
Evidemment. On n'a pas de problème là-dessus ! Mais enfin, vous comprenez, ça s'est passé... Peut-être une des premières manifestations, si vous voulez, politique, que j'ai vécue contre le fascisme. C'était une manifestation culturelle et spontanée. Sur un film français, de Jean Renoir. Ca, je ne sais pas parce que j'irai choisir quelque chose, peut-être, de plus complet, qui puisse remplir toutes les images du cinéma du monde, voilà. Mais si je dois dire quelle est l'image qui reste en moi ou qui revient toujours, parmi les autres, évidemment, c'est l'image d'une plaine vide avec un cercle, un petit cercle avec un homme, au milieu. C'était l'image, la fin du "Cirque" de Chaplin. Voilà, le cercle magique dans le vide. Peut-être c'est l'idée, aussi, du théâtre, si vous voulez, l'idée du spectacle, l'idée de la magie qui était là et qui n'est plus. C'est la trace qui est restée, le cercle avec un homme, dans le vide. [Italien]