La Haute-Volta au tournant de l'indépendance

10 avril 1962
08m 17s
Réf. 00106

Notice

Résumé :

A l'occasion de la visite du président Maurice Yaméogo en France, monsieur Henri Guissou, ambassadeur, présente la Haute Volta, jeune République indépendante depuis le 5 août 1960.

Date de diffusion :
10 avril 1962
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )

Éclairage

Ce reportage diffusé en avril 1962 à la télévision française propose un état des lieux de la jeune république de Haute-Volta deux ans après son accession à l'indépendance, en août 1960. À la faveur de la visite officielle du président Maurice Yaméogo, le micro est tendu à Henri Guissou (1910-1979), ancien instituteur formé à l'École normale William-Ponty de Dakar – comme un très grand nombre d'hommes politiques ouest-africains de la première génération –, ancien député voltaïque au Palais-Bourbon sous la IVe République et désormais ambassadeur de Haute-Volta en France.

La Haute-Volta fait partie des alliés sûrs de la France, qui a fermé les yeux, depuis 1958, sur les agissements de Maurice Yaméogo. Celui-ci en effet a progressivement mis en place un pouvoir personnel, éliminé une bonne partie de ses opposants ou ses concurrents soit en leur proposant des postes prestigieux (c'est le cas par exemple pour Henri Guissou), soit en les emprisonnant. Il a depuis quelques mois instauré un régime de parti unique dans son pays. Sur tout cela, le reportage fait silence et choisit de se concentrer sur le bilan économique de la jeune république.

Forte d'environ 4, 5 millions d'habitants en 1960, la Haute-Volta est un pays essentiellement agricole. La politique coloniale y a, de fait, empêché tout développement industriel et a surtout consisté à organiser l'émigration de la main d'œuvre locale vers les plantations de la Côte d'Ivoire voisine – pour le plus grand intérêt des colons français propriétaires de grandes plantations. De 1932 à 1947, la colonie de Haute-Volta a même été démembrée pour faciliter encore davantage la circulation des flux de travailleurs agricoles. « Le Mossi s'expatrie volontiers », dit la voix off, et d'autant plus que les autorités coloniales l'y ont constamment poussé ! Il faut attendre 1955 pour identifier un début d'industrialisation de la filière du coton, par exemple : c'est une politique économique tardive, qui se fait dans le cadre des plans de développement de l'après-guerre. Il est d'ailleurs intéressant d'observer à quel point le commentaire évoque peu la période coloniale elle-même — on a affaire à une « Haute-Volta » éternelle, celle de la monarchie mossi – et ne s'attache en aucune façon à faire le bilan de sept décennies de présence française dans la région.

Sophie Dulucq

Transcription

Journaliste
La Haute-Volta. Encore un de ces noms évocateurs de voyage et d’aventure qui enchantaient, sur les bancs de l’école, les aspirants explorateurs que nous étions tous. Mais l’école, c’est loin, et la Haute-Volta aussi. Alors, une carte, voulez-vous ? Une carte pour situer la Haute-Volta par rapport à ses voisins africains de langue anglaise et ses amis du Conseil de l’entente. Et puis, laissons Son Excellence, monsieur Henri Guissou, ambassadeur de Haute-Volta à Paris, nous présenter son pays. A la veille de la visite officielle du Président Yaméogo en France, nul n’était plus qualifié que vous, Monsieur l’Ambassadeur, pour parler de la Haute-Volta aux téléspectateurs français. Comment se situe géographiquement votre pays ?
Henri Guissou
Eh bien, la Haute-Volta est un pays qui est très difficile à situer pour les moins initiés, parce qu’elle se trouve au centre de l’Afrique. Ses limites ne sont pas naturelles, c’est pour cela que je suis obligé de vous la situer par rapport aux autres républiques qui lui servent de cadre. La Haute-Volta est située, par rapport au Mali, qui lui fait une frontière de près de 800 kilomètres au nord et nord-est. Et à l’est, par la république du Niger. Au sud, par le Togo, le Ghana et le Dahomey. Au sud-ouest, par la Côte d’Ivoire. Et le Mali, qui est un des Etats les plus vastes, et qui nous enveloppe presque au tiers, est la limite également un peu à l’ouest.
Journaliste
La Haute-Volta, malgré un sol ingrat et un climat difficile, est l’un des pays africains dont la population est la plus dense au kilomètre carré. Population dont la race Mossi constitue le bloc le plus important et le plus soudé sous l’autorité de son chef, le Moro Naba de Ouagadougou, issu d’une famille qui règne depuis neuf cents ans.
(Musique)
Journaliste
Rude à l’image de son ciel, courageux, travailleur, le Mossi s’expatrie volontiers pour gagner ailleurs ce que son sol lui refuse. La Haute-Volta représente ainsi une inépuisable réserve de main-d’œuvre pour ses voisins plus riches, la Côte d’Ivoire en particulier. Proches cousins des Mossis dont ils parlent la langue, les Guruji, les Bobos et les Lobis donnent à la Haute-Volta une relative unité ethnique, assez peu fréquente dans les jeunes Etats africains, pour être soulignée. Peut-être, cela explique-t-il que l’Islam n’ait pas rencontré, ici, les succès auxquels il était habitué en pays de sable. Le Voltaïque, quand il n’est pas resté animiste, se tourne plus volontiers vers le christianisme. Et le dimanche, la cathédrale de Ouagadougou est trop petite pour accueillir la foule des fidèles venus se faire bénir par l’un des siens, Monseigneur Zoungrana.
(Musique)
Journaliste
Le sol est pauvre, je vous l’ai dit. Mais au prix d’un travail opiniâtre, le cultivateur voltaïque arrache, chaque jour un peu plus, la savane aux épineux, la transformant en champs de sorgho, de mil, de maïs, d’ignames et de maniocs, qui constituent l’essentiel de la production vivrière. Un gros effort est fait également en faveur de la culture du riz et de l’arachide. Mais pour l’instant, pas question d’exporter. L’accroissement de la population ne permet guère d’envisager des excédents. Autre ressource locale : la pêche. La pêche qui se développe grâce à la présence de rivières poissonneuses dans l’Ouest du pays et la construction de multiples barrages destinés à retenir l’eau pour la saison sèche. Mais comme dans tous les pays de savane, c’est l’élevage qui, incontestablement, occupe la première place dans l’économie de la Haute-Volta, tant par l’importance de son propre cheptel, que par l’activité procurée par les passages en transit de bétails provenant du Niger et du Soudan à destination de la Côte d’Ivoire et du Ghana.
(Musique)
Journaliste
La Haute-Volta exporte, chaque année, plus de 70 000 bœufs et plus de 200 000 chèvres ou moutons. Des fermes modèles ont été créées, qui sélectionnent, par croisement, des races de volailles résistantes, résistantes et productives puisqu’il y en a, maintenant, 5 millions dans le pays.
(Musique)
Journaliste
Quant aux chevaux, ils sont plus de 100 000, utilisés parfois comme bête de trait, mais surtout comme monture dans un pays où les moyens de transport sont relativement rares. Il est vrai que, même dans le bled, la bicyclette, voire le scooter, commencent à faire, aux chameaux comme aux chevaux, une sérieuse concurrence.
(Musique)
Journaliste
Comme beaucoup de pays africains, la Haute-Volta cultive du coton depuis longtemps. Mais en fait, il a fallu attendre 1955 pour que sa culture soit industrialisée. Depuis, la production du coton a connu un accroissement lent mais régulier, passant de 1 300 tonnes en 1955 à 6 000 tonnes en 1960. Et l’on prévoit que dans trois ans, la récolte donnera 10 000 tonnes de coton [inaudible].
(Musique)
Journaliste
Deux usines d’égrenage sont installées sur place. De plus, on a créé des centres d’encadrement cotonnier dans la région de Bobo-Dioulasso, véritables centres de vulgarisation, où 6 000 cultivateurs s’initient à la culture du coton.
(Musique)
Journaliste
Voilà donc cette jeune république, la Haute-Volta, dont le Président, Monsieur Maurice Yaméogo, sera l’hôte de la France à partir de demain. Jeune république parce qu’elle est indépendante depuis le 5 août 1960, mais aussi parce que partagée en 1932 entre ses trois voisins limitrophes, elle n’a retrouvé ses frontières actuelles qu’en 1947. Héritière d’un empire qui remonte au Xe siècle, la Haute-Volta veut concilier ses traditions séculaires avec les impératifs d’une démocratie moderne, dont elle attend un développement harmonieux et une nécessaire évolution. Pour cela, elle a fait confiance, une première fois à monsieur Maurice Yaméogo, lorsqu’il fut désigné en 1959 comme Président du conseil, et une deuxième fois lorsqu’il fut élu président de la République. Et il a été élu président de la République à quelle époque ?
Henri Guissou
Il a été élu président de la République le 9 décembre 1959 après avoir assuré l’intérim du président Ouezzin Coulibaly depuis septembre 1958. Et il était, à l’époque, ministre de l’Intérieur de la Haute-Volta, du gouvernement de la Haute-Volta.
Journaliste
Tel est donc l’homme qui va rencontrer, demain, le général de Gaulle, à Paris. Y a-t-il un dossier, un contentieux franco-voltaïque ?
Henri Guissou
A proprement parler, il y a pas un contentieux franco-voltaïque.
Journaliste
C’est donc une visite d’amitié ?
Intervenant 1
C’est une visite d’amitié. Et je dois vous dire que je laisserai, à notre Président Yaméogo, de définir, au gouvernement français et au peuple français, le sens de sa visite officielle. Parce que s’il accepte de venir à Paris, ce n’est pas tellement pour des négociations qui auraient pu être effectuées par des délégués ou par ses représentants. Mais il vient à Paris avec un grand plaisir. C’est pour dire au peuple de France et au président de Gaulle toute son amitié pour toute l’histoire qui, depuis 1958 a favorisé l’évolution de l’Afrique. Et je pense que le Président Yaméogo, avec son talent habituel, saura le dire et au gouvernement français et au peuple de France.
(Musique)