Le Katanga

11 janvier 1963
09m 03s
Réf. 00093

Notice

Résumé :

Le reportage des Actualités françaises présente la situation au Katanga, au lendemain de sa reconquête par les casques bleus de l'ONU. Il interroge un représentant de l'Union minière qui a soutenu la sécession sur sa vision de la réintégration du Katanga à la République du Congo.

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Date de diffusion :
11 janvier 1963
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Personnalité(s) :

Éclairage

La mort de l'ancien Premier ministre Lumumba au Katanga le 17 janvier 1961 a soulevé l'indignation de la communauté internationale. Le président du Katanga, Moïse Tshombe, soutenu par l'union minière qui lui assure son indépendance financière, par Bruxelles et officieusement par Paris, est accusé d'être responsable de cet assassinat. Mais les autorités de Léopoldville, depuis le colonel Mobutu qui a pris le pouvoir en septembre 1960 et bénéficie du soutien américain jusqu'au président Kasavubu qui rétablit un gouvernement en février 1961, sont également critiquées sur la scène internationale. Ce sont elles qui ont décidé du transfert de Lumumba vers le Katanga. Les pays du bloc communiste et certains membres du groupe afro-asiatique reconnaissent le gouvernement nationaliste de Gizenga, ancien Vice-premier ministre de Lumumba, comme le représentant légal du Congo contre le gouvernement de Léopoldville reconnu par l'Organisation des Nations-Unies (ONU) en la personne du président Kasavubu. Le Congo est devenu l'élément de fixation de la guerre froide en Afrique, où chaque bloc joue son pion. Il est dirigé par des autorités rivales, depuis celle de Kasavubu à Léopoldville à celle de Gizenga à Stanleyville, en passant par les deux États sécessionnistes : le Katanga de Tshombe et le Sud-Kasaï de Kalonji. Le pays est en proie à la guerre civile tandis que les casques bleus s'efforcent de maintenir des « zones neutres ». L'ONU fait évoluer sa position vers une intervention plus active. Le conseil de sécurité appelle à la restauration des institutions politiques conformément à la Loi Fondamentale et le projet de réconciliation nationale soutenu par Kasavubu est encouragé. Après l'écrasement des nationalistes au nord du Katanga au printemps 1961, l'Union soviétique n'apporte qu'un soutien limité à Stanleyville et elle accepte le compromis. Le président Kasavubu nomme un gouvernement d'union nationale, sous la direction de Cyrille Adoula, qui allie une partie des nationalistes de Stanleyville (dont Gizenga) aux politiques de Léopoldville. L'ONU soutient ce nouveau gouvernement d'union. Le 24 novembre 1961, le conseil de sécurité décide d'engager militairement les forces des Nations Unies pour forcer le Katanga à réintégrer la République unifiée du Congo et mettre fin aux activités sécessionnistes, ce qu'elle avait refusé à Lumumba.

Le reportage des Actualités françaises présente cette reconquête du Katanga par les forces onusiennes en janvier 1963, dans la capitale Elisabethville et dans le reste du territoire. Les casques bleus ont remplacé les gendarmes katangais qui étaient composés de troupes belgo-katangaises et de mercenaires. Les combats se sont concentrés dans les quartiers africains et de l'union minière, comme l'indique le directeur de la piscine, qui dénonce la violence des casques bleus éthiopiens. Le reportage souligne l'afflux des réfugiés, qui partent parfois vers la Rhodésie, et l'aspect désormais exsangue de l'armée katangaise. Le reporter se focalise sur l'enjeu de la sécession puis de la réintégration katangaise : la maîtrise de l'Union minière du Haut-Katanga (UMHK), qui joue un rôle primordial dans la production mondiale de cuivre et de cobalt et dans l'économie congolaise. La sécession du Katanga le 11 juillet 1960, quelques jours seulement après l'indépendance, a en effet permis à l'UMHK de maintenir son contrôle sur la production, en s'associant avec Moïse Tshombe, dont l'État bénéficie des recettes fiscales qui devraient revenir au Trésor. Cette alliance entre Tshombe, l'UMHK et les colons belges leur permet de décrire le Katanga comme une « oasis de paix » par rapport au désordre congolais. Mais cette sécurité qui importe à l'UMHK pour la réalisation de son activité est obtenue grâce à une centralisation et une militarisation du pouvoir, dont témoigne l'unanimisme autour de Tshombe. Le représentant de l'UMHK rappelle cet impératif de sécurité pour l'avenir.

Bénédicte Brunet-La Ruche

Transcription

Journaliste
On a coutume de dire à Élisabethville : « Lorsque la cheminée de l’Union Minière ne fumera plus, il n’y aura plus de Katanga ». Lorsque nous sommes arrivés, la grande cheminée de la mine ne fumait pas. Dans les rues presque désertes, les Casques bleus avaient remplacé les Gendarmes katangais. Avenue Reine Elisabeth, ce sont des soldats tunisiens qui occupent la résidence de Tshombe. Pas d’essence, peu d’eau, de l’électricité dans certains quartiers seulement. Élisabethville, avec les Casques bleus, est une ville qui perd, tous les jours, un peu de sa substance. Elle ne semble pas avoir tellement souffert des derniers combats, mais c’est la quatrième fois, en moins de deux ans, que l’on se bat pour sa possession. Vous savez, Monsieur, pour nous, cette piscine d’Élisabethville, c’est presque un baromètre et un symbole. La dernière fois que nous étions venus, il n’y avait personne, il n’y avait pas d’eau dans la piscine. Il y avait des traces laissées par les obus de mortiers un peu partout. Et aujourd’hui, nous avons eu la surprise de voir qu’il commençait à y avoir du monde, et qu’il y avait de l’eau en tout cas dans la piscine. Ça marche mieux, c’est repartie, votre affaire ?
Propriétaire Piscine
C’est repartie, maintenant. Nous avons ré-ouvert au mois de février, l’année dernière, le 3 février exactement. Depuis, nous n’avons pas cessé, sauf ces quelques jours-ci, depuis le 27 décembre.
Journaliste
Est-ce que vous avez eu des ennuis à ce moment-là, au moment où l’ONU est entrée à Élisabethville ces jours-ci ?
Propriétaire Piscine
L’ONU n’était pas à Élisabethville, c’est-à-dire que l’ONU occupait déjà la ville si vous voulez, mais elle avait installé cette position militaire [en dehors] du périmètre de la ville.
Journaliste
Si bien que pour vous, il n’y a pas eu de combats pratiquement ?
Propriétaire Piscine
Il n’y a pas eu de combats dans la commune d’Elisabeth à proprement parler.
Journaliste
Pourtant, j’ai l’impression que dans les quartiers africains au contraire, il y a eu des pertes assez sérieuses du côté des Africains.
Propriétaire Piscine
Assez sérieuses, surtout dans la population civile.
Journaliste
Surtout dans la population civile ? Il y a eu combien de morts à peu près ? Vous ne savez pas ?
Propriétaire Piscine
150 à 200 morts, à mon avis. Mais c’est surtout dans la commune Elisabeth… Heu, la commune Albert et la commune Kenya.
Journaliste
Qui sont des quartiers africains ?
Propriétaire Piscine
Qui sont des quartiers complètement africains.
Journaliste
On dit que les soldats éthiopiens, les soldats indiens se sont conduits de façon assez sanguinaire. Est-ce vrai ?
Propriétaire Piscine
Surtout les Éthiopiens. Les Indiens, je ne vais pas en parler. Je n’ai rien entendu dire contre eux. Mais les Éthiopiens surtout.
Journaliste
Est-ce qu’il y a eu des victimes européennes ?
Propriétaire Piscine
Européennes ? A Lubumbashi. Une dame européenne a été assassinée là-bas.
Journaliste
Par qui ? On le sait ?
Propriétaire Piscine
Par les Éthiopiens certainement.
Journaliste
Pourquoi ?
Propriétaire Piscine
Parce qu’il n’y avait qu’eux qui occupaient le quartier. Vous connaissez le quartier Lubumbashi ? C’est le quartier [inaudible] où il n’y a que des Européens qui y habitent. Peut-être avec quelques serviteurs, mais ça n’est certainement pas eux qui ont….
Journaliste
Elle a été tuée lors d’un combat ou bien assassinée ?
Propriétaire Piscine
Non, elle a été assassinée dans sa maison, devant sa mère… devant son mari et ses enfants.
Journaliste
Maintenant, à Élisabethville, on trouve assez peu de quoi manger. Comment vous arrangez-vous ?
Intervenante 1
Maintenant, nous avons une carte alimentaire.
Intervenant 1
C'est presque comme pendant la guerre, quoi.
Journaliste
Comme pendant la guerre en France.
Intervenante 1
Dans les magasins, c’est terrible pour trouver quelque chose.
Journaliste
On arrive quand même à se nourrir ?
Intervenant 1
Oui, on ne peut pas dire qu’on meurt de faim, enfin, ça non, on peut pas dire. Ça prend beaucoup de temps, il faut que quelqu’un se dévoue dans la famille pour aller faire les files à gauche, à droite.
Journaliste
L’eau et l’électricité commencent à revenir ?
Intervenant 1
C’est tout à fait normal.
Journaliste
Sauf dans les quartiers africains, je crois ?
Intervenant 1
Ah ça, c’est possible. Je n’ai pas eu l’occasion de visiter les quartiers africains depuis les événements. Mais moi, je travaille pour une usine de cigarettes, usine de fabrication de cigarettes. Et nous pensons reprendre le travail demain, donc la fabrication demain, si l’effectif est suffisant.
Journaliste
L’enjeu de la lutte pour l’annexion du Katanga porte un nom : l’Union Minière. Premier producteur de cobalt du monde, troisième producteur de cuivre. Les taxes et droits divers, versés par elle au Trésor katangais, ont permis jusqu’ici à Tshombe d’éviter l’annexion de sa province au gouvernement central de Léopoldville. Les Nations unies se sont alors faits les champions du gouvernement congolais. L’Union Minière est un fromage que beaucoup voudraient s’attribuer. Pendant longtemps, l’Union Minière a soutenu à bout de bras le Katanga et le gouvernement Tshombe. Quelle est l’attitude de l’Union Minière maintenant vis-à-vis de Tshombe ?
Intervenant 2
Mais très exactement, nous avons, en juillet 1960, profondément admiré la manière dont les autorités provinciales étaient parvenues à maintenir l’ordre au Katanga, alors que tout le reste du Congo sombrait dans le chaos. Et en réalité, le soutien que nous avons donné au gouvernement Tshombe n’a jamais été que celui de continuer à exercer nos activités pratiquement dans les mêmes conditions de paix et de tranquillité qu’avant l’indépendance. Ce qui a permis au gouvernement de continuer à bénéficier des ressources en recettes, impôts et devises étrangères de l’Union Minière.
Journaliste
Si le gouvernement de Léopoldville, comme le prévoient les Nations unies, s’installe ici et annexe la province du Katanga, quelle sera votre attitude à ce moment-là ?
Intervenant 2
Mais comme je vous le disais tout à l’heure, l’Union Minière est une société privée qui ne fait pas de politique, qui n’en a jamais fait, et qui espère pouvoir continuer à travailler et à faire vivre les nombreux Africains et Européens qui dépendent de ses activités. Mais la condition primordiale de son travail, c’est la paix et la sécurité. Et je ne vous cacherai pas que nous avons, actuellement, devant le déroulement des événements, encore beaucoup d’appréhensions à cet égard.
Journaliste
Sur le plan militaire, les troupes de l’ONU, dont la vocation était de faire la paix, sont venues faire la guerre au Katanga. Puissamment soutenus par d’énormes moyens matériels venus d’outre-Atlantique, ils écrasent facilement, et quand ils le veulent, les soldats de la Gendarmerie katangaise. C’est ce qui s’est produit à Élisabethville et à Jadotville, au cours de combats qui ont fait trop de victimes, comme en témoignent les dégâts subis par les habitations, et ces cercueils qui sont entassés à l’aéroport d’Élisabethville. Le Fouga Magister, qui constituait toute son aviation, détruit au sol, il ne reste plus à Tshombe que la ville de Kolwezi et toute la brousse. Passant entre les lignes des deux camps, nous avons réussi à rejoindre, à 100 kilomètres d’Élisabethville, ce qui reste de l’armée katangaise. Nous avons vu d’abord des réfugiés, beaucoup de réfugiés. Images tragiquement classiques de toutes les guerres. Ils ont fait, à pied, des dizaines de kilomètres, en traînant avec eux quelques pauvres bagages. Hommes, femmes, enfants, ils sont démunis de tout. Un semblant d’organisation leur distribue, de temps à autre, quelques maigres vivres. Pour eux, le problème est d’abord d’essayer de subsister. Quant à l’armée katangaise, la voilà. Plus bandits de grand chemin que soldats, ils montent le plus souvent des embuscades pour leur propre compte, contre les quelques civils qui empruntent la route de Rhodésie. A Mocambo, en pleine brousse, ils essaient de se regrouper. Cette armée, qui a le sens du folklore, joue volontiers à la guerre devant un objectif. Mais aujourd’hui à Élisabethville, un fait nouveau très important pour la suite de l’affaire est intervenu. Le président Tshombe est revenu, acclamé par la population africaine aussi bien qu’européenne, embrassé, porté par la foule jusqu’à sa résidence. Il s’est contenté de dire seulement quelques mots.
(Bruit)
Président Tshombe
Je suis venu voir la population d’Élisabethville, parce que moi, je n’ai pas peur. Le devoir d’un chef, c’est d’être auprès de son peuple. Qu’il croit que c'est un danger pour moi, mais je dois être parmi mon p… parmi la population. Comme je l’ai été partout à [Polski], à Kolwezi, à Jadotville. C’est moi qui suis le premier témoin à connaître ce qui se passe exactement.