La lutte contre les bidonvilles au Maroc

30 avril 1953
01m 55s
Réf. 00160

Notice

Résumé :

Dans différentes villes du Maroc, des logements ouvriers en dur sont construits pour remplacer les huttes traditionnelles et les bidonvilles insalubres.

Date de diffusion :
30 avril 1953
Source :

Éclairage

L'exode rural s'accélère encore après la Deuxième Guerre mondiale, dans un contexte de croissance démographique et de paupérisation des populations musulmanes. Les grandes villes drainent de petits paysans clochardisés qui viennent gonfler le rang des journaliers et des chômeurs. La crise du logement, apparue dès la fin des années 1930, s'amplifie, comme en atteste le développement des bidonvilles. Reprenant les lieux communs du discours colonial, le commentateur met en regard le Casablanca d'avant 1912 et cette ville, la plus peuplée d'Afrique française du Nord, devenue la capitale économique du Maroc. Casablanca illustre les deux tendances de la révolution urbaine qui touche le Maghreb : elle est la cité moderne par excellence et symbolise à travers ses cinémas, ses automobiles, ses industries, la rupture avec un monde rural traditionnel. Mais ce nouveau mode de vie reste largement inaccessible à la population des bidonvilles : Casablanca est aussi le lieu de toutes les tensions politiques et sociales.

Le film est projeté quelques mois seulement après les violentes émeutes qui ont soulevé la ville, à la suite du meurtre du leader syndicaliste tunisien Farhat Hached (décembre 1952). Les habitants du bidonville des Carrières centrales ont joué un rôle majeur dans les événements, ce qui n'est pas sans conséquence dans l'intérêt soudain des Actualités françaises pour la question de l'habitat populaire. Implicitement, le journaliste réduit la crise à ses aspects économiques et sociaux, passant sous silence les revendications politiques. La caméra s'attarde sur ces classes laborieuses et dangereuses qui « grouille[nt] » à la périphérie de la ville. Le reportage s'intéresse aux solutions proposées par les pouvoirs publics – Michel Écochard, directeur du service de l'urbanisme depuis 1946, est remercié le 31 décembre 1952, mais son travail continue d'avoir un impact certain.

De fait, l'après-guerre a vu se multiplier les plans d'urbanisme, visant au premier chef la population marocaine. En 1946, à Fédala, l'architecte Jacques Couëlle fait surgir en un temps record un ensemble de logements en fusées céramiques [1]. Les Actualités françaises mettent en avant une architecture qui paraît respectueuse des « habitudes séculaires » (M. Écochard) : murs aveugles, patios, arcades, etc. Le service de l'urbanisme se montre particulièrement soucieux de s'adapter aux usages d'une population rurale déracinée. Le reportage donne à voir la cité ouvrière de la Cosuma (Compagnie sucrière marocaine), construite par Edmond Brion dans le quartier des Roches-Noires durant les années 1930 et agrandie en 1951. Si le projet est cette fois privé, il s'inscrit dans une même logique de distinction de l'habitat marocain et de l'habitat européen. Si Écochard refuse le principe d'une séparation des communautés, il continue de raisonner en terme de quartiers de type européen et de type marocain (où les populations peuvent, en théorie, se mélanger).

L'investissement conséquent de la résidence générale dans cette politique d'urbanisation entre dans un discours de propagande que reprend le commentateur, adressant un message d'espoir aux Marocains, en affichant sa foi dans la résorption des bidonvilles.

[1] Jacques Couëlle invente le principe de la fusée céramique au sein du Centre de recherches des structures naturelles dans les années 1940. La fusée céramique est un élément en terre cuite. Les fusées s'emboitent les unes dans les autres à la manière des tiges de bambou. Ce principe est utilisé pour construire des voûtes.

Morgan Corriou

Transcription

(Musique)
Journaliste
Il y a 40 ans, Casablanca n’était qu’un nom sur la carte marocaine. Elle compte aujourd’hui 650 000 habitants, et son importance ne cesse de grandir. Mais ce rythme de création a accéléré l’afflux de la population, le phénomène d’attraction qui déterminait le problème de l’habitat. Le Maroc connut lui aussi ses zones semées de huttes, de branchages et de roseaux. Les nwalasses, type d’habitation traditionnel du Fellah dans son bled. Ailleurs, ceux furent des cités entières de bois et de tôles, les fameux bidonvilles où grouille une population qui pose au pouvoir public de graves problèmes sociaux. Problèmes chaque jour plus lourds que l’Europe et l’Amérique ont dû affronter au XIXème siècle, et qui ne se résoudra pas en un jour. Aux efforts individuels, honorables, mais insuffisants, on substituera désormais une politique d’ensemble étudiée depuis plusieurs années par les services d’urbanisme. Ce n’est pas seulement le bidonville des carrières centrales à Casablanca qui devra disparaître, mais progressivement, ceux de toutes les cités marocaines. Ainsi, à Fedala, a-t-on vu récemment s’élever un quartier entier d’habitations ouvrières, nécessitées par l’extension de ce centre de pêcherie et d’usine de conserve. A Rabah, même progression, à Yacoub El Mansour, comme au douar Doum, nwalasse et bidonvilles s’effacent devant les nouvelles constructions. Casablanca enfin possède déjà les plus importants de ces quartiers modernes. La cité de la compagnie sucrière est un exemple type de la transformation entreprise. Sans doute, le programme est immense. Il suppose un effort financier gigantesque. Cependant, l’élan est donné, souhaitons qu’il soit suivi par tous les Marocains.
(Musique)