Allocution de Monsieur Mitterrand et interview du Caïd de M'Chounèche (1)

01 décembre 1954
03m 43s
Réf. 00211

Notice

Résumé :

Lors d'un voyage en Algérie, François Mitterrand se rend dans les Aurès. Il prononce un discours au centre d'un parterre de militaires, d'officiels, de journalistes et de dignitaires algériens.

Date de diffusion :
01 décembre 1954
Date d'événement :
29 novembre 1954
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

En Algérie, face à l'insurrection, le gouvernement Mendès France choisit d'emblée la politique de la répression. Lors d'un bref voyage d'inspection dans les Aurès (27-30 novembre 1954), François Mitterrand, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, s'en fait le porte-parole. Ce séjour a aussi pour objet de mener une mission d'évaluation et d'information pour la présidence du Conseil sur les résultats de l'action entreprise et la situation sur le terrain. Mais il permet surtout de marteler un principe : l'appartenance de l'Algérie à la France ne saurait être remise en cause.

Pour mieux affirmer ce principe qui exige "le retour à l'ordre" en vainquant les "hors-la-loi", François Mitterrand joue sur les symboles. Il discourt sur le terrain, à découvert. Non retranché derrière les murs protecteurs d'un bâtiment officiel, il réitère la détermination française de façon d'autant plus prononcée que sa présence dans la région, la plus touchée par l'insurrection, ne peut sonner que comme une provocation pour les maquisards du FLN. Plus encore, sur ce même terrain et à mots à peine voilés, s'il affirme la volonté gouvernementale d'épargner les civils, il menace également de punir la population si d'aventure elle oubliait d'être citoyenne, en l'occurrence délatrice, et ainsi d'aider la France dans la traque des "agents de caractère terroriste".

Cette rhétorique de la menace va se heurter à la réalité d'une Algérie qui aspire à l'indépendance, qui s'embrase et bascule rapidement dans une guerre totale.

Diffusée en tête du JT du 1er décembre 1954, l'allocution de François Mitterrand prononcée à Biskra, fait suite à un premier reportage, diffusé le 29 novembre, qui portait sur sa mission d'inspection dans les Aurès. Outre qu'il rend compte de la fermeté des propos du ministre (risque physique inclus, surtout dans une région rebelle), le cadre dans lequel François Mitterrand est filmé souligne l'idée d'une scène quasiment saisie sur le vif. Le sentiment non protocolaire qui s'en dégage colore la séquence d'une tonalité informelle, dépouillée. Ce sentiment est renforcé par l'amorce de la séquence (éternuements de François Mitterrand se portant vers les micros), par le discours prononcé sans notes et ponctué de quelques hésitations, enfin par les mouvements du parterre de militaires, d'officiels européens, algériens et de journalistes, que l'on peut suivre grâce à deux plans d'ensemble fixes.

Entre le caractère sobre de cette scène, le ton de François Mitterrand, posé, presque doux, et cependant le caractère très résolu de ses propos officiels s'établit alors une étrange dialectique que la télévision française participe à valoriser : la politique d'une main de fer qui veut faire croire à son gant de velours.

Philippe Tétart

Transcription

François Mitterrand
Nous sommes donc au milieu du troisième jour de ce trop bref voyage à travers la région qui a le plus souffert de la tentative insurrectionnelle manquée. Hier et avant hier, nous avons vu des régions fort différentes. Aussi bien par tempérament de population, par l'aspect du relief et, soit à Arris, soit à Foum Toub, soit à T'Kout, nous avons pu faire une sorte de pèlerinage là où l'on avait vu des... Les conclusions à tirer de ces deux jours et demi, il serait bien prétentieux de vouloir les appeler définitives. Cependant il semble bien qu'à travers toute l'Algérie et spécifiquement dans ces lieux, en direction de Biskra, Khenchela et de Batna, on ait voulu lever le peuple contre celui qu'on appelait l'étranger ou l'occupant, le Français. La population n'a pas compris ce langage car elle est française. Elle n'a donc pas suivi, elle n'a pas obéi aux mots d'ordre, de ci de là elle a hésité, mais dans peu d'endroits ; et si elle a hésité, c'était en raison de ce drame que nous connaissons bien depuis tant d'années : quand la force semble pencher d'un côté, souvent la masse ignorante ne sait plus où se trouve son devoir. Il est donc de notre devoir à nous de faire peser la force du côté de l'ordre, du côté de la France, du côté de la concorde entre les citoyens. Nous ne voulons pas atteindre la masse de la population, nous ne voulons pas la frapper, nous voulons même l'épargner au risque, le cas échéant, de perdre certains atouts dans la recherche des coupables. D'abord nous avons voulu, en toute circonstance, que la population n'ait pas à souffrir de la présence parmi elle, de la présence d'agents de caractère terroriste, cela est indéniable. Mais cette précaution ne peut aller au-delà des autres nécessités qui nous incombent. Il faut que les populations comprennent qu'elles doivent nous aider, ou bien qu'elles s'exposent par la force des choses et malgré notre volonté à souffrir davantage de la situation présente. Sans le concours des populations rien n'est tout à fait possible, sans aucun doute, mais les premières victimes si elles n'agissent pas dans ce sens, ce sera (sic) elles. Et comme notre devoir est de les en prévenir, nous ne manquerons pas une occasion de le faire. Nous ne frapperons donc pas d'une manière collective, nous éviterons tout ce qui pourrait apparaître comme une sorte d'état de guerre, nous ne le voulons pas. Mais nous châtierons d'une manière implacable, sans autre souci que celui de la justice, et dans la circonstance, la justice exige de la rigueur, les responsables. Et tous ceux qui seront surpris agissant d'une façon évidente par le moyen des armes contre l'ordre doivent savoir que le risque pour eux est immense, dans leur vie, dans leurs biens et, si nous le regrettons puisque ce sont nos concitoyens, ils sont soumis, comme tout criminel, à la loi ; et la loi sera appliquée. Voilà ce que je vous dis, au nom du gouvernement.