Reggane à l'heure H

19 février 1960
17m 49s
Réf. 01004

Notice

Résumé :

Ce film retrace la mise au point de la première bombe nucléaire française, depuis sa fabrication jusqu'à son explosion dans le Sahara, le 13 février 1960.

Type de média :
Date de diffusion :
19 février 1960

Éclairage

L'ambition et les moyens alloués à ce film du Service cinématographique des armées (avec par exemple la musique concrète du compositeur Pierre Schaeffer) souligne bien l'enjeu stratégique que représente la bombe nucléaire aussi bien pour sa conception en toute autonomie que pour son expérimentation.

Le contexte de la mise au point de la bombe A française s'inscrit dans celui de la guerre froide. À cette date, comme le rappelle le commentaire, l'arme nucléaire est détenue par trois grandes puissances : les Etats-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne. La conception puis l'expérimentation dans le Sahara marque le tournant de la politique nucléaire de la France en toute indépendance, souhaitée par le général De Gaulle.

La première partie du film retrace donc en détails les étapes de la fabrication sous la direction du Commissariat à l'énergie atomique, de l'extraction du minerai d'uranium jusqu'à l'explosion. Pour cette expérimentation, deux bases sont spécifiquement construites au sud de Reggane dans le Sahara algérien. Les autorités françaises affirment, comme dans ce film, qu'il s'agit d'une zone géographique inhabitée. En réalité, au moins 20 000 personnes vivent à l'époque dans la zone des retombées radioactives.

L'opération « Gerboise bleue » (son nom n'est pas mentionnée dans le commentaire) a lieu le 13 février 1960 et atteint pleinement ses objectifs. Treize autres essais nucléaires suivront entre 1961 et 1966. Un document - déclassifié il y a peu dans le cadre de l'enquête pénale déclenchée par la plainte d'anciens militaires français dans le Sahara et en Polynésie - révèle que le nuage radioactif provoqué par ce premier essai à Reggane a recouvert la moitié nord du continent africain avec des retombées jusqu'en Espagne et en Sicile. Les populations civiles algériennes ont ainsi été victimes des conséquences de ces essais.

Le contexte de la guerre d'indépendance en Algérie n'est jamais évoqué dans le sujet, au profit de la mise en avant de l'indépendance de la France et de ses prouesses scientifiques, rendues par la modernité des installations, le compte à rebours spectaculaire avant l'explosion et le lyrisme du commentaire qui conclut : « La France, par son seul effort national, se trouve en mesure de renforcer dans le domaine de l'armement nucléaire le potentiel défensif de la Communauté et de l'Occident ».

La question du Sahara est un enjeu fondamental aussi bien pour la France que pour les nationalistes algériens, non seulement pour les essais nucléaires mais aussi suite à la découverte de gisements d'hydrocarbures. C'est sur ce sujet qu'achoppent les pourparlers ouverts entre le GPRA et les autorités françaises à Évian en mai 1961 puis de nouveau les discussions au château de Lugrin en juillet 1961. Finalement les accords d'Évian du 19 mars 1962 prévoient que les intérêts de la France au Sahara soient maintenus pour une durée de cinq ans. Cinq installations militaires françaises restent donc actives après l'indépendance. Quatre - Colomb Béchar, Hammaguir, Reggane et In Ekker - sont évacuées comme prévu en 1967, la dernière base, celle de B2 – Namous est abandonnée par l'armée française en 1978.

Peggy Derder

Transcription

(Musique)
Journaliste
1945, la Seconde Guerre mondiale se prolongeait en assauts répétés contre les derniers bastions de l’Axe.
(Bruit)
Journaliste
Brutalement, l’apparition de l’arme nucléaire met fin au conflit. Cependant, la paix revenue, et devant l’échec des plans de désarmement, les USA, l’URSS et la Grande Bretagne se dotaient successivement d’un armement nucléaire de plus en plus puissant. Ainsi, à la fin de l’année 1952, trois grandes puissances possédaient l’arme atomique. À son tour, le gouvernement français prit la décision de doter la France de l’arme nucléaire. La France, devant l’impossibilité d’obtenir une aide des autres puissances, se prépare à mener à bien cette entreprise en toute indépendance et par ses propres moyens ; grâce à ses ressources en matière première, à son infrastructure nucléaire et au travail de ses chercheurs et expérimentateurs.
(Musique)
Journaliste
C’est à la direction des applications militaires du commissariat à l’énergie atomique que furent confiées l’étude et la réalisation de l’engin.
(Musique)
Journaliste
Mais il fallait d’abord élaborer les quantités nécessaires de matières fissiles, à savoir plusieurs kilos de plutonium. La création du centre de Marcoule avec ses grandes piles plutonigènes a répondu à cette préoccupation. Ces piles ne sont elles-mêmes qu’un maillon d’une chaîne industrielle complexe qui part du minerai d’uranium pour aboutir à l’usine de plutonium.
(Musique)
Journaliste
La France dispose d’importants gisements d’uranium. Quatre divisions minières existent actuellement sur le territoire français dans le Forez, en Saône-et-Loire, en Limousin et en Vendée. Dans l’exploitation de Bessines en Limousin, le minerai est extrait à ciel ouvert.
(Musique)
Journaliste
Le minerai, après traitement, est transformé à l’usine du Bouchet en uranium métal qui servira de combustible nucléaire dans les piles de Marcoule.
(Musique)
Journaliste
Voici G1, la première de ces piles.
(Musique)
Journaliste
La tranche suivante comportait la construction de deux grandes piles G2 et G3, chacune d’une puissance de 200 000 kilowatts de chaleur ; et pouvant fournir en même temps 40 000 kilowatts de courant électrique. C’est dans ces trois piles qu’est élaboré le plutonium pour des fins pacifiques et militaires. Le plutonium est séparé chimiquement, et puis transformé en métal dans cette usine entièrement télécommandée.
(Musique)
Journaliste
Le plutonium est ensuite livré à la direction des applications militaires qui, à partir de 1956, a créé des laboratoires ultramodernes dotés des équipements les plus perfectionnés.
(Musique)
Journaliste
Pour manipuler des quantités importantes de plutonium, corps particulièrement dangereux, il a fallu construire un laboratoire spécial, entièrement enterré dans ses parties essentielles.
(Musique)
Journaliste
Certaines opérations exigent le port d’un équipement spécial de protection. D’une manière générale, l’ensemble des installations est maintenu en atmosphère conditionnée.
(Musique)
Journaliste
Voici l’une des cellules chaudes, où sont réalisés des travaux sur substance radioactive.
(Musique)
Journaliste
Une telle cellule comporte un ensemble d’enceintes spéciales étanches qu’on appelle boîtes à gant ; à l’intérieur desquelles peuvent être effectuées des manipulations à l’atmosphère neutre en l’espèce sous argon.
(Musique)
Journaliste
De leur côté, les physiciens nucléaires ont eu à effectuer de nombreuses études à l’aide d’accélérateurs de particules du type les plus variés.
(Musique)
Journaliste
Ces études étaient rendues nécessaires du fait que la plupart des constantes nucléaires intervenant dans le calcul des engins ont été tenues secrètes par les puissances étrangères.
(Musique)
Journaliste
L’un des problèmes les plus délicats à résoudre était le calcul de la masse de plutonium devant entrer dans la constitution d’un engin. Un tel calcul nécessite l’emploi d’importantes machines électroniques, véritables cerveaux artificiels capables d’emmagasiner des millions de données ; et d’effectuer rapidement les opérations les plus compliquées. Enfin, pour l’étude du dispositif de concentration de la masse fissile, on disposait d’appareillage optique perfectionné ; tel que cette installation de radiophotographie éclair à trois postes avec leurs générateurs de choc.
(Musique)
Journaliste
Cette caméra ultrarapide a été également utilisée.
(Musique)
Journaliste
Certains essais ont été réalisés sur le terrain, notamment lorsqu’il s’agissait d’explosions expérimentales évidemment non nucléaires. Cette remorque laboratoire permettait d’effectuer toutes les mesures nécessaires. En même temps que les études nucléaires aboutissaient, un polygone d’expérimentations était aménagé. Il a fallu trouver pour son implantation une zone très étendue où la vie était absente sur plusieurs milliers de kilomètres carrés.
(Musique)
Journaliste
Le désert de la soif dans le Sahara au sud de Reggan réalise les conditions de sécurité d’une explosion atomique ; très supérieures à celles qui sont appliquées par les Américains au Nevada, les Soviétiques en Asie centrale, et les Britanniques en Australie.
(Musique)
Journaliste
Faire exploser un engin nucléaire au cœur du Sahara nécessite la mise en œuvre de moyens énormes, notamment la construction de plusieurs bases très importantes. La base vie et la base champ de tir. Ces bases ont été construites en un temps record, moins de deux ans, par des formations désormais aidées par des entreprises civiles. Rien n’a été négligé pour assurer en plein désert le confort indispensable aux expérimentateurs. Ces expérimentateurs devaient vivre, travailler, être soignés, se détendre. Il fallait donc rechercher l’eau et la distribuer, construire des logements et des laboratoires, équiper électriquement tous les locaux. Cet ensemble de travaux a exigé des terrassements considérables et des masses énormes de bétons.
(Musique)
Journaliste
Français de la métropole et autochtones ont uni leurs efforts pour réaliser les travaux dans le minimum de temps.
(Musique)
Journaliste
L’effort logistique accompli a été immense. Le transport des matériels lourds a rendu nécessaire la construction de dizaines de kilomètres de route qui ont été réalisées avec des moyens puissants et modernes.
(Musique)
Journaliste
Un grand aérodrome avec aide à la navigation et aérogare a été construit pour la mise en place d’un pont aérien permettant d’amener hommes, matériels et ravitaillements.
(Musique)
Journaliste
Les expérimentateurs ont pu disposer d’un ensemble de laboratoires pour la mise en condition ultime de l’engin et pour effectuer certaines mesures expérimentales. Pour des raisons techniques, une partie de ces laboratoires est installée en souterrain entièrement conditionné.
(Musique)
Journaliste
Ainsi est née une ville, au cœur même du Sahara, au pays de la soif.
(Musique)
Journaliste
Ville interdite, son accès est sévèrement contrôlé, il est réservé aux seuls expérimentateurs.
(Musique)
Journaliste
À plusieurs dizaines de kilomètres vers le sud a été construite la base avancée. En effet, il ne suffit pas de faire exploser un engin. Il faut tirer de cette première explosion tous les renseignements possibles à l’aide d’un nombre considérable de mesures. Ceci implique la construction d’importants ouvrages autour du point zéro pour abriter les appareils qui enregistreront le déroulement du phénomène.
(Musique)
Journaliste
Des mesures délicates sont à effectuer en une infime fraction de seconde. Un véritable laboratoire entoure la bombe. Des câbles, profondément enterrés la relient à des appareils de mesures placés dans des blocs houses de grande résistance, et disposés autour du point d’explosion.
(Musique)
Journaliste
Une surveillance attentive est exercée dans le périmètre sensible.
(Musique)
Journaliste
L’engin est monté au sommet d’une tour desservie par un ascenseur.
(Musique)
Journaliste
Il est très important d’enregistrer optiquement et avec précision le développement du phénomène. Ces caméras ultrarapides fixeront les images qui seront ensuite exploitées par les spécialistes.
(Musique)
Journaliste
En plus des renseignements des réseaux météorologiques mondiaux ; plusieurs stations météo comme celles-ci ont été installées dans le Sahara pour donner des compléments d’informations ; qui permettent de prévoir la direction et la force des vents jusqu’à une grande altitude.
(Musique)
Journaliste
Dans les quelques jours qui précèdent le tir, des briefings réunissent les responsables sous la direction du général commandant de groupement opérationnel.
(Musique)
Journaliste
Chacun expose le point de ses travaux et de ses prévisions.
(Musique)
Journaliste
La météo est favorable, l’engin est prêt.
(Musique)
Journaliste
La décision de tir pour le jour J à l’heure H est maintenue. Il ne s’agit pas seulement de fabriquer une arme, il faut aussi que l’expérience donne des enseignements sur les effets de la bombe sur les différents matériels et sur les moyens de s’en protéger. Dans ce but ont été exposés les matériels de l’armée de terre, de l’aviation et de la marine.
(Musique)
Journaliste
Les équipes de décontamination sont en place.
(Musique)
Journaliste
On s’entraîne à effectuer certains relèvements.
(Musique)
Journaliste
L’heure H est proche.
(Musique)
Journaliste
Tous les responsables sont à leur poste.
(Musique)
Journaliste
Ce n’est plus qu’une question de minute.
(Musique)
Journaliste
Puis, de seconde.
(Musique)
Journaliste
5, 4, 3, 2, 1, feu !
(Bruit)
Journaliste
La première bombe nucléaire française vient d’exploser.
(Bruit)
Journaliste
Le vent en altitude entraîne le champignon vers des espaces désertiques. Grâce aux efforts de tous, hommes d’État et savants, officiers et ingénieurs, industriels et techniciens, hommes de troupe et ouvriers ; la France, par son seul effort national, se trouve en mesure de renforcer dans le domaine de l’armement nucléaire, le potentiel défensif de la communauté et de l’Occident.
(Musique)