Le monde libre et l'Egypte

02 janvier 1957
16m 54s
Réf. 01012

Éclairage

L'affaire de Suez, qui s'est déroulée entre octobre et décembre 1956, a vu la France coopérer militairement et politiquement avec la Grande-Bretagne et Israël pour tenter de s'opposer à la prise de contrôle unilatérale du canal de Suez par le président égyptien Nasser. Cette opération militaire, rapidement désavouée par les USA et dénoncée à la fois par l'URSS et par l'ONU, menace de créer un conflit mondial ; la France, Israël et la Grande-Bretagne doivent dès lors se retirer sans pouvoir faire valoir leurs droits. Une des causes centrales de l'intervention française, en plus de la dimension économique, est l'aide logistique et politique centrale de l'Egypte au FLN. La plupart des soldats français investis dans l' « opération 700 » sont des parachutistes de choc engagés en Algérie, et ce camouflet politico-militaire les conforte dans une position forte vis-à-vis de l'Algérie française. Mais cela n'empêche pas Nasser d'être une figure très populaire en Algérie et dans toute l'Afrique du Nord, à la fois pour son panarabisme et pour avoir osé s'en prendre aux occidentaux ; c'est cette figure qu'il faut briser auprès des populations par différents biais médiatiques, dont ce film qui est bien sorti en salles en Algérie.

Il s'agit clairement d'un film de propagande employant un ton particulièrement engagé pour Israël, la Grande-Bretagne et la France, et contre l'Egypte. Le film ne comporte d'ailleurs pas de générique précisant l'origine SCA du document. Il reprend pour commencer le parallèle, initié par le premier ministre anglais Anthony Eden, entre Nasser et Hitler ou Mussolini, dont il ne serait qu'une « mauvaise imitation » ; il faut rappeler que c'est la guerre froide, et que Eden, tout comme un certain nombre de politiciens et militaires français, voient la Russie derrière l'Egypte et le FLN. Le film fait ensuite la liste de tous les méfaits de Nasser, notamment pendant l'intervention franco-britannique ; le speaker évoque une armée montée « avec l'aide d'anciens criminels nazis ». Ainsi, « Fascisme et communisme se retrouvent encore, comme en 1939 ». Une musique dramatique permet au speaker de rappeler, sur les images du navire Athos, intercepté en Algérie, que Nasser « intervient contre la France en Algérie ; il envoit des armes aux rebelles ». Il s'emploie ensuite à démontrer la nullité supposée des soldats égyptiens en Israël et des techniciens nazis à la botte du régime, montrant des défilés de fellahs (paysans) « terrorisés, pressés de retirer l'uniforme que leur avait donné leur maître pour une guerre dont ils ne comprennent pas la siginification ». S'ensuit l'évocation de l'intervention franco-britannique sur une musique glorieuse, la supériorité et l'humanisme des occidentaux sur les Egyptiens étant mise en avant, et la dénonciation de la propagande égyptienne, qui fait passer après le cessez-le-feu un détachement de l'ONU pour une invasion : « Rien n'est trop invraisemblable pour cette propagande à la Goebbels ». Le speaker rappelle ensuite, sur une musique sombre, l'éviction des Juifs et la pauvreté des habitants. Il s'agit donc, a posteriori, de justifier l'opération de Suez, qui s'est pourtant soldée par un échec qui n'est jamais rappelé ; mais surtout, comme on le voit dans la conclusion, de ternir l'image de Nasser auprès des populations algériennes, sur fond d'images d'archives de la Seconde Guerre mondiale : « Quant aux musulmans d'Afrique du Nord, que pensent-ils de cette débandade ? [celle de Nasser, pas celle de la France] Marocains, Tunisiens, Algériens, héroïques soldats de l'armée française, de Cassino, des Vosges, ou de Rhin-et-Danube, pourront-ils accepter la domination de celui qui se désigne comme le leader de tous les pays musulmans ? » Le film se termine en donnant un rôle pacificateur à la France et à la Grande-Bretagne, qui ont « dégonflé la baudruche nommée Nasser, et cela le monde arabe le sait », « ménagé les vies humaines » et « ouvert la voie à l'ONU » contre les visées politiciennes de Nasser, qui « doit cesser de narguer le monde libre et de mettre en péril la paix ». C'est donc un film particulièrement intéressant en termes de propagande filmée.

Sébastien Denis

Transcription

(Musique)
Journaliste
Ne vous-y trompez pas, ce n’est pas une réincarnation, ce n’est qu’une mauvaise imitation.
(Musique)
Journaliste
Gamal Abdel Nasser, dictateur des Égyptiens, menace, vocifère, déchire les traités, se moque du droit international, il défie le monde libre. Il avait solennellement garanti la libre circulation pour tous les pays sur le Canal de Suez, mais il cachait ses intentions véritables, interdire le canal aux Occidentaux. Sans aucun motif militaire lors de l’intervention franco-britannique, il donnait l’ordre de l’obstruer en y coulant navires et dragues ; sabotant ce qui était l’œuvre et la propriété des nations civilisées. Autre violation des règles internationales, les raids fédayin en Israël. Malgré les conventions de l’armistice imposées par l’ONU, Nasser organise et lance à partir du Sinaï des commandos d’assassins qui exécutent des sabotages, pillent et tuent aveuglément. Il félicite officiellement les auteurs de ces crimes, ainsi que l’atteste ce document.
(Musique)
Journaliste
Dans le même temps, ambitionnant de prendre la tête du monde arabe, le dictateur forge une armée égyptienne puissante, du moins en théorie ; avec l’aide d’anciens militaires nazis et avec du matériel étranger, principalement soviétique, fascisme et communisme se retrouvent encore comme en 1939.
(Musique)
Journaliste
Nasser, sur les tréteaux du Caire, parade et manifeste aux yeux du monde ses intentions agressives.
(Musique)
Journaliste
Il intervient contre la France en Algérie, il envoie des armes aux rebelles. Le navire pirate Athos transportait 70 tonnes de matériels représentant plus de 2 milliards de francs ; matériels chargés à Alexandrie par des militaires égyptiens.
(Musique)
Journaliste
Et la radio du Caire, chaque jour, lance ses appels à la guerre sainte.
(Musique)
Journaliste
Mépris du droit, recours à la force, quelle va être la réponse du monde libre ?
(Musique)
Journaliste
Les Nations Unies discutent, elles sont indécises. Israël, petite nation de 1 700 000 habitants, créée par l’ONU, est pendant ce temps soumis chaque jour aux raids des Fédayins. À la veille d’être attaqué en force, Israël lance ses troupes dans la péninsule du Sinaï, base des commandos ennemis. Israël défend son droit à la vie.
(Musique)
Journaliste
Campagne éclaire, incroyable, qui dure seulement cinq jours, le temps de ramasser les armes et de capturer des milliers de prisonniers.
(Musique)
Journaliste
Fait unique dans les annales de la marine de guerre, le destroyer égyptien Ibrahim est capturé après quelques heures de combat. Le commandant X raconte cette étrange bataille navale qui s’est déroulé dans la nuit du 30 au 31 octobre aux larges de Haïfa. Ibrahim qui avait lâché une bordée sur la ville était attaqué par deux destroyers israéliens. Après plusieurs échanges de coups, le commandant du navire égyptien fait hisser le drapeau blanc, tandis que l’équipage affolé évacuait le navire. Ramené dans le port de Haïfa, ce destroyer remis en état en quelques semaines va prendre place parmi les unités de la marine de guerre israélienne.
(Musique)
Journaliste
Quant au bataillon de fer qu’avait forgé le Bimbashi, que sont-ils devenus ? Voici l’extraordinaire butin abandonné ou capturé, souvent même sans avoir été utilisé.
(Musique)
Journaliste
Une cinquantaine de chars russes T-34, canons automoteurs russes S800, une centaine de véhicules blindés, des camions Monotoba.
(Musique)
Journaliste
Plus de 2 000 véhicules de toutes marques, des centaines de canons et des dizaines de milliers de tonnes de munitions.
(Musique)
Journaliste
Ces positions fortifiées égyptiennes, remarquablement organisées par des techniciens nazis, n’ont servi à rien. Collines d’Aly Montar, splendide position surplombant le territoire israélien tombé en quelques heures. Défense puissante du carrefour de route, d'Abou-Ageila, tombé après deux jours de combat. Position d'El-Arich, verrou de la route de Gaza, enlevé en 10 minutes par quatre half-tracks. Les soldats, les invincibles guerriers du soi-disant chef de tous les arabes, les voici. Ces fellahs terrorisés, pressés de se débarrasser de l’uniforme que leur avait donné leur maître pour une guerre dont ils ne comprennent pas la signification.
(Musique)
Journaliste
6 000 soldats égyptiens sont passés dans des camps où les Israéliens les traitent avec humanité, selon les règles strictes des conventions internationales. Tandis que le gouvernement égyptien lui-même s’efforce de les oublier.
(Musique)
Ali (Mahmoud) Moussa
Moi, Ali Mahmoud Moussa de l’Armée égyptienne, prisonnier de guerre en Israël, j’envoie mes salutations à mon frère Mohammed Ali Said au Caire à l’Université de Giza. J’envoie encore mes salutations à ma famille. Je veux leur dire que nous sommes en bonne santé moi et nous tous, ainsi que tous les prisonniers de guerre qui sont en Israël. Nous sommes tous très contents. Je voudrais que le Gouvernement égyptien s’intéresse au sort des prisonniers le plus rapidement possible. Mes salutations à mes camarades de l’Armée et au peuple égyptien.
(Musique)
Journaliste
Le Général [El Digoui], ex gouverneur militaire égyptien de Gaza, le général [El Ajroudi], ex-commandant de la 8ème division égyptienne sont aussi prisonniers de guerre avec 18 colonels et lieutenants colonels. Ils jouent au volley-ball et posent complaisamment devant l’objectif, semblant déjà avoir oublié leur écrasante défaite militaire. À leur tour, les franco-britanniques interviennent, ils veulent rétablir la paix dans cette partie du monde. Les pilotes français et les pilotes anglais prennent d’énormes risques, afin d’éviter les pertes humaines et les destructions inutiles.
(Musique)
Journaliste
Longtemps avant chaque raid, la population est prévenue par radio et par tract. Le commandement franco-britannique lui indique l’objectif du raid, et les zones dangereuses d’où elle doit s’écarter.
(Musique)
Journaliste
Puis, les parachutistes français et anglais sont largués sur la zone du canal, les Anglais sur Port-Saïd, les Français au sud de Port-Saïd et sur Port-Fouad. En quelques heures de combat, ils se rendent maîtres de leurs objectifs.
(Musique)
Journaliste
A 3 000 km de leur base, les flottes françaises et britanniques débarquent à Fort-Fouad et Port-Saïd sans rencontrer de réaction. Les plages étaient minées, mais les hommes chargés de télécommander l’explosion avaient fui avant même que le premier navire soit apparu à l’horizon.
(Musique)
Journaliste
Là, comme partout ailleurs, les soldats de Nasser se rendent.
(Musique)
Journaliste
Port-Saïd, nouveau Stalingrad, seul un misérable bidonville est ravagé par un incendie accidentel. Nasser se saisit de cet incident pour faire croire au monde que la ville est rasée.
(Musique)
Journaliste
Voici Port-Saïd, au lendemain du cessez-le-feu. La ville est pratiquement intacte.
(Musique)
Journaliste
Par contre, les seules destructions et les seuls sabotages ont été effectués sur ordre de Nasser sans aucune justification d’ordre militaire. Ce sont entre autres des organisations industrielles. Et naturellement, preuve de ces réelles intentions, le canal de Suez, obstrué sur presque toute sa longueur par des sabordages préparés de longue date ; et qui en interdise l’usage pour des mois. Non seulement, les franco-britanniques n’ont rien détruit, mais ce sont eux-mêmes qui restaurent les destructions causées par la rage du dictateur.
(Musique)
Journaliste
Ce sont eux encore qui ravitaillent la population et maintiennent l’ordre avec – il faut encore le souligner – l’aide spontanée et assez efficace de la police égyptienne.
(Musique)
Journaliste
Et la vie courante, sous le contrôle franco-britannique, est très rapidement redevenue normale à Port-Saïd.
(Musique)
Journaliste
Quant à Nasser lui-même, on le voit moins. Sa radio, un instant muselée, reprend ses mensonges et annonce des énormités. Le Jean Bart a été coulé et 6 000 hommes ont péri. Voici le Jean Bart à Toulon, des officiers égyptiens prisonniers ont été invités à visiter le navire qu’ils avaient coulé.
(Musique)
Journaliste
Aux Nations-Unies, après le cessez-le-feu, le représentant de l’Égypte s’indigne d’un renforcement du dispositif français par un débarquement de blindés. Puérile erreur ou habituelle mauvaise foi, il s’agissait en réalité du débarquement du détachement yougoslave de la force de l’ONU. Rien n’est trop invraisemblable pour cette propagande à la Goebbels. Mieux encore, nouveau viol de la déclaration des droits de l’homme, Nasser expulse les juifs égyptiens. Les voici accueillis à leur arrivée, alors qu’ils ont dû abandonner tous leurs biens en Égypte.
(Musique)
Journaliste
Des Français, des Anglais qui avaient travaillé pour la mise en valeur de ce pays ont été également jetés dehors.
(Musique)
Journaliste
L’amitié traditionnelle de la France et du peuple égyptien, pour qui elle a tant fait avec le Canal de Suez, avec ces écoles, avec ces hôpitaux ; doit survivre à la domination d’un régime qui n’a rien fait pour le malheureux fellah, continuant à mener sa vie difficile et misérable sur les bords du Nil.
(Musique)
Journaliste
… qui n’a rien fait non plus pour les réfugiés arabes de Palestine, qui depuis huit ans, dans des camps de la région de Gaza et d’ailleurs, vivent de la charité internationale.
(Musique)
Journaliste
Réfugiés arabes, qui eux-mêmes dans excès de colère ; au lendemain de l’entrée des troupes israéliennes, ont saccagé la somptueuse et orgueilleuse villa que s’était fait bâtir le Général [Digoui], gouverneur militaire égyptien.
(Musique)
Journaliste
Quant aux musulmans d’Afrique du Nord, que pensent-ils de cette débandade ? Marocains, Tunisiens, Algériens, héroïques soldats de l’armée française de Cassino, des Vosges ou de Rhin et Danube ; pourront-ils accepter la domination de celui qui se désigne comme le leader de tous les pays musulmans ?
(Musique)
Journaliste
Les Franco-britanniques ont évité l’extension du conflit israélo-égyptien. Ils ont dégonflé la baudruche nommée Nasser, et cela, le monde arabe le sait. Ils ont ménagé les vies humaines et les pertes matérielles d’une manière qui n’a pas de précédent dans l’histoire.
(Musique)
Journaliste
Ils ont déjoué les vrais dessins de Nasser, faire du Canal un instrument politique à son profit.
(Musique)
Journaliste
Ils contribuent à réparer les dégâts causés par les sabordages de Nasser.
(Musique)
Journaliste
Ils ont ouvert la voie à l’ONU, comme le prévoyaient avant le début des opérations les gouvernements de Paris et de Londres. Ils se sont volontairement relevés de leur mission. C’est à l’ONU maintenant qu’il appartient de faire déblayer le Canal et d’y assurer la libre circulation pour tous.
(Musique)
Journaliste
Les débris de l’armée égyptienne sont éparpillés dans le désert.
(Musique)
Journaliste
Nasser doit cesser de narguer le monde libre et de mettre en péril la paix.