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La Bataille d'Alger, film de Gillo Pontecorvo, censuré en France

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 03 juin 1970

Des associations d'anciens combattants et des pieds-noirs demandent le retrait des écrans français du film La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo. Ils n'ont pas vu le film, mais estiment a priori qu'il salit la mémoire de l'action de la France pendant la guerre d'Algérie.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
03 juin 1970
Production :
INA
Page publiée le :
26 nov. 2013
Modifiée le :
09 janv. 2024
Référence :
00000001491

Contexte historique

Par Alexandre Boza

La bataille d'Alger est le film le plus célèbre de son réalisateur, Gillo Pontecorvo (1919-2006), et l'un des films les plus marquant de la période de la guerre d'Algérie.

Gillo Pontecorvo a un parcours de journaliste, avant de s'intéresser au cinéma. Il devient assistant réalisateur d'Yves Allégret ou de Mario Monicelli puis se lance en 1953 dans la réalisation. Après quelques courts métrages, il est remarqué pour Un dénommé Squarcio (1957), interprété par Yves Montand, et surtout Kapo (1960), dans lequel une jeune fille juive devient auxiliaire des nazis dans un camp de concentration. Le film est récompensée par un Oscar à Hollywood et Pontecorvo connaît un succès international.

Pourtant, il attend six ans avant de réaliser son film suivant, La Bataille d'Alger (1965), coproduction italo-algérienne. Pontecorvo y reconstitue cet épisode majeur de la guerre d'Algérie (1954-1962) dans un style documentaire : les acteurs ne sont pas des professionnels (sauf Jean Martin qui interprète le Colonel Mathieu), les décors sont naturels (la Casbah d'Alger et Bab el-Oued), l'ensemble est mis au service d'un propos anticolonial militant.

Le film est récompensé dans plusieurs festivals internationaux, dont un Lion d'or au festival de Venise en 1966 contre l'avis de la délégation française et du Centre National de la Cinématographie (CNC). Il reçoit également en 1968 l'Oscar du meilleur film étranger mais en France il est longtemps interdit. La suite de la courte filmographie de Pontecorvo confirme son goût pour le cinéma engagé : Queimada (1968) évoque les Antilles coloniales du XIXe siècle, Ogro (1979) se penche sur la fin de la dictature de Franco.

Dans La bataille d'Alger, Pontecorvo fait preuve d'un très grand souci de crédibilité. La reconstitution de la situation de guérilla urbaine qui oppose de janvier à octobre 1957 le Front Libération National (FLN) algérien à la Dixième Division Parachutiste (10e DP) de l'armée française dans la ville d'Alger est d'une telle vraisemblance qu'il demeure un exemple de guérilla révolutionnaire. Son réalisme fait que le film est utilisé par le renseignement américain et projeté le 27 août 2003 dans le cadre de la préparation des officiers à l'intervention en Irak.

Par ailleurs le film ne traite pas les protagonistes avec angélisme : le personnage principal, Ali la Pointe, est un voleur qui rejoint le FLN. Il accepte l'utilisation du terrorisme et se sacrifie pour sa cause. Le récit s'appuie sur l'expérience combattante de Yacef Saadi, ancien membre de l'Armée de Libération Nationale (ALN), la branche armée du FLN. D'anciens combattants algériens sont engagés comme conseillers techniques et participent comme acteurs, à l'image de Saadi lui-même. Le film y gagne une grande notoriété en Algérie.

La torture pratiquée par l'armée française n'est pas non plus éludée. La conduite de cette guerre d'indépendance par la France est alors fortement critiquée. L'utilisation de la torture est révélée en 1957 par le livre La question de Henri Aleg. Plus largement, "l'entreprise de pacification" aurait donné lieu à des crimes de guerre, au refus de reconnaître le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » ainsi qu'à toute médiation internationale pour régler le conflit. Il existe alors peu de témoignages émanant des Algériens sur ce que le gouvernement français continue d'appeler les « événements d'Algérie », ne voulant pas reconnaître qu'il s'agit d'une guerre.

Éclairage média

Par Alexandre Boza

Le film La Bataille d'Alger sort en 1965, trois ans après la fin de la guerre d'Algérie. La critique en France est négative, notamment après le prix obtenu à Venise. Le Figaro estime que le film mérite « tout au plus une médaille de chocolat », Le Nouvel Observateur voit dans le Lion d'or « une espèce d'affront public » et en Pontecorvo un « cinéaste de série Z ». L'Humanité prend la défense du film sur un double registre esthétique et politique (Pontecorvo revendique son marxisme).

La diffusion de La bataille d'Alger est une longue histoire. Le film est difficilement programmé en salle sur le territoire français le 3 juin 1970 dans trois cinémas parisiens. Le distributeur Universal craignant la censure, il est très rapidement retiré de l'affiche en raison de manifestations et de menaces en provenance d'associations d'anciens combattants et de rapatriés ainsi que de groupements d'extrême droite. Finalement autorisé en 1971, le film est diffusé dans une grande indifférence, mais reste censuré à la télévision jusqu'en novembre 2004 car jugé trop partisan et propagandiste.

Dans les années 1960, ce sont les anciens partisans de l'Algérie française qui font entendre leur point de vue et proposent un premier récit des évènements. Les pieds noirs rapatriés en métropole entre 1960 et 1962 sont plus d'un million. Ils ont mal vécu la perte de l'Algérie française, une partie d'entre eux s'est engagée en 1962 avec l'Organisation de l'Armée Secrète (OAS) dans la lutte armée contre le gouvernement français qu'ils accusent de capituler. Certains sont allés en prison, d'autres ont trouvé refuge dans l'Espagne franquiste.

Dans ce contexte, M. Ottaviani, Secrétaire Général d'une association de rapatriés, demande l'interdiction du film. Il estime qu'il est « encore prématuré de le passer dans les salles de spectacles étant donné que treize ans ça peut paraître long à certains, pour nous c'est encore très court. Beaucoup de rapatriés ont encore à vif les blessures qu'ils ont ressenties à l'époque et cela nous a semblé une provocation de passer ce film en ce moment. [...] d'après ce que nous savons du film, d'après ce que nous en avons lu, il est très nettement orienté et il fait l'apologie de certains fellaghas qui sont eux-mêmes les vedettes de ce film ». Il reconnaît ne pas avoir vu le film, bafouille involontairement au terme « vedette ». Il fonde son point de vue sur des « échos » du film et légitime les menaces contre les salles qui projettent le film par le fait que les rapatriés sont « chatouilleux », souriant à l'évocation de ces menaces.

Les militaires défendent l'action dans la Casbah du colonel Bigeard, qui a inspiré Pontecorvo pour le personnage du colonel Mathieu, et du colonel Massu. Le Général Gracieux, Président de l'Association des Anciens Combattants de l'Union Française, demande aux membres de l'association de boycotter le film car sa projection « fait partie d'un ensemble de la chaîne de subversion contre laquelle nous luttons depuis trente ans », soit depuis la défaite de la France en 1940. L'histoire militaire de la France contemporaine se trouve ainsi brutalement mise en perspective. Les défaites successives (lors de la bataille de France, puis celles d'Indochine et d'Algérie) deviennent une entreprise de déstabilisation de la France et de son armée. Mais lui non plus n'a pas vu le film dont il a « beaucoup d'échos ».

A Paris et à Lons-le-Saulnier dans le Jura, des salles sont la cible d'attentats. Face à l'intense querelle de mémoire, les directeurs de salle de cinéma font savoir qu'ils ne diffuseront pas La bataille d'Alger, en raison du nombre de réclamations des associations de rapatriés, des anciens combattants d'Afrique du Nord. « C'est une question de sécurité pour le public qui fréquente nos salles, [...] pour le personnel de la maison ». Le représentant des directeurs de salle craint les manifestations, et lorsqu'il lui est demandé s'il a reçu des menaces, a un sourire énigmatique.

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