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La Double Inconstance, de Marivaux [extrait]

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 20 avr. 1968

Adaptation de la pièce La Double Inconstance, de Marivaux, par Marcel Bluwal en 1968. L'extrait présenté, qui correspond à la scène 12 de l'acte II, montre le pouvoir du langage et l'inconstance des cœurs. Le Prince, qui a enlevé Silvia, commence à la séduire. 

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Date de diffusion du média :
20 avr. 1968
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001574

Contexte historique

Par Alexandra Von Bomhard

Amoureux du théâtre et de la vérité, spectateur lucide d'un monde changeant et fin connaisseur de la psychologie humaine, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux a renouvelé le genre de la comédie du XVIIIe, en inventant un nouveau langage.

Pierre Carlet naît en 1688, dans une famille de petite noblesse. Il fait d'abord des études de droit, mais sa rencontre avec Fontenelle l'engage dans une carrière littéraire. En 1712, il publie sa première comédie, en vers : Le Père prudent et équitable. C'est en fréquentant le salon de Madame de Lambert, où brille l'esprit des Modernes, qu'il forge sa sensibilité et l'acuité de son regard critique. Il s'engage dans la bataille contre les Classiques, s'essaye à différents genres (chronique journalistique, roman parodique, poème burlesque...), et commence à signer ses oeuvres «Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux». Si son mariage en 1717 avec Colombe Bologne, en lui apportant une dot substantielle, consolide sa position sociale, sa fortune est de courte durée. En 1720, il est ruiné par la banqueroute du financier Law, et perd sa femme trois ans plus tard. Il doit alors écrire pour vivre et élever sa fille.

C'est dans le théâtre qu'il trouve sa raison d'être. Arlequin poli par l'amour, représenté en 1720 par les Comédiens-Italiens, est son premier succès à la scène. Il devient rapidement l'auteur attitré de la troupe. Pendant plus de 20 ans, il se consacre à la comédie qu'il renouvelle en profondeur. Ses oeuvres lui permettent de sonder les arcanes et les secrets du coeur humain, la tension entre l'être et le paraître. Les Surprises de l'amour (1722 et 1727), La Double Inconstance (1723), Le Jeu de l'amour et du hasard (1730) et Les Fausses Confidences (1737) en sont les exemples les plus fameux. Mais d'autres pièces ont une visée plus politique : par les utopies qu'elles mettent en scène, L'Ile des Esclaves (1725) ou La Colonie (1729), en décortiquant les dysfonctionnements de la société, interrogent l'ordre existant.

Enfin, Marivaux s'engage dans l'écriture de journaux (Le Spectateur français, puis Le Cabinet du philosophe), où il parfait son sens de l'observation. Peintre lucide de toutes les vanités, il précise aussi, dans ces publications, ses conceptions esthétiques. La difficile appréhension de l'univers qui nous entoure et de nos propres sentiments sont des thèmes que l'on retrouve dans son oeuvre romanesque, qu'il s'agisse de La Vie de Marianne, ou du Paysan parvenu. En 1742, Marivaux est élu à l'Académie française. Il meurt en 1763.

La Double Inconstance, écrite en 1723, est une des pièces les plus célèbres de l'auteur. Elle met en scène un couple de jeunes paysans, Arlequin et Silvia, qui s'aiment. Seulement, le prince, qui s'est épris de la jeune fille, l'enlève. Il entend mettre fin aux réticences de Silvia en provoquant l'infidélité d'Arlequin. L'amour-propre et les plaisirs de la mondanité aidant, la comédie s'achève par un double mariage : le Prince épouse Silvia, tandis qu'Arlequin épouse Flaminia, une dame de la Cour.

Éclairage média

Par Alexandra Von Bomhard

Marcel Bluwal a adapté de nombreuses oeuvres classiques de notre littérature à la télévision (Dom Juan, Les Misérables, de Victor Hugo). Il propose de ces textes majeurs une lecture innovante, qui va souvent à l'encontre de celle que l'école avait pu lui imposer. En réalisant La Double Inconstance, il s'élève contre une vision trop édulcorée du marivaudage, héritée de la célèbre formule de Voltaire qui disait de Marivaux qu'il «pesait des oeufs de mouche dans des balances d'araignées». Pour le réalisateur, l'enseignement, bourgeois, essayait d'étouffer la violence des textes du patrimoine : «c'était une vision qui reposait sur une perception paramarxiste de la société de l'époque, [...] je me disais que l'école avait voulu dissimuler ce point de vue» (M. Bluwal, «Théâtre et télévision», Les dossiers de l'audiovisuel, n°49, INA, 1993). Selon lui, la noirceur de Marivaux est bien plus dure que celle de Sade. «C'était pire que Sade, parce que pour Sade, au moins, il faut que l'innocence existe théoriquement pour la polluer, tandis que pour Marivaux, il n'y a pas d'innocence du tout. Tout est déjà inscrit dans les gênes» (M. Bluwal, «Les Grands Entretiens», Télé notre histoire, INA [1]). Pour rendre cette dureté, le réalisateur assigne au film une couleur violente, méchante. Il assimile La Double Inconstance aux Chasses du Comte Zaroff : «On donne au couple une longueur d'avance et puis on les chasse à l'arc [...] ; ce qui m'intéressait, c'était les rapports du prince et du peuple, symbolisés par les rapports du prince et de Sylvia. C'est exactement la position gaulliste ou mitterrandienne. Je vous viole, mais encore faut-il que vous soyez consentants» (M. Bluwal, «Théâtre et télévision», Les dossiers de l'audiovisuel, op. cit).

L'extrait choisi, qui correspond à la scène 12 de l'acte II, montre le pouvoir du langage et l'inconstance des coeurs. Le Prince (interprété par Jean-Pierre Cassel) a enlevé Silvia (Danièle Lebrun). Il se fait passer pour un officier et commence à la séduire. L'amour de Silvia pour Arlequin paraissait inébranlable, il commence ici à se fissurer. Le face à face du Prince et de Silvia est rythmé par un champ/contre-champ assez large, pour rappeler au téléspectateur le décor dans lequel s'inscrit l'action. L'espace est loin d'être neutre. L'intérieur, richement orné, est celui du château, métonymique de la puissance du prince. Il nous rappelle subrepticement que la jeune fille a été enlevée. Le jeu subtil des comédiens, souligné par leurs déplacements circulaires, disent les atermoiements amoureux. La caméra prend rarement de front les visages. Le cadrage est généralement oblique, comme pour souligner les tours et détours du langage, les circonvolutions d'un amour naissant qui refuse de se dire. A plusieurs reprises, la caméra, en légère contre-plongée, réunit le prince, debout, et Sylvia, assise, tête baissée. Avec discrétion, l'image et la posture des corps ne cessent de rappeler le rapport de forces qui existe entre les personnages. La perversité est là, d'autant plus cruelle qu'elle se donne des airs de douceur.

Pour en savoir plus :

[1] Entretien avec Marcel Bluwal dans la collection Grands Entretiens de l'Ina.

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