vidéo - 

Samuel Beckett, Prix Nobel de Littérature

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 23 oct. 1969

Portrait de Samuel Beckett par son éditeur Jérôme Lindon à l'occasion de l'attribution du Prix Nobel de Littérature en 1969.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
23 oct. 1969
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001575

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Né en 1906 près de Dublin, Samuel Beckett est un romancier, poète et dramaturge irlandais, qui a écrit et traduit ses œuvres en anglais et en français.

Il manifeste assez tôt son goût pour les langues, qu'il étudie au Trinity College. À vingt ans, il fait son premier grand voyage, en Touraine et à Florence. Deux ans plus tard, après avoir enseigné à Belfast, il rejoint Paris, où il est lecteur d'anglais à l'Ecole Normale Supérieure. Il rencontre James Joyce, commence à publier en anglais, voyage en Europe. Il se détourne définitivement de l'enseignement et mène une vie misérable à Londres, où il traduit les surréalistes français et Le Bateau ivre de Rimbaud. En 1937, il devient le secrétaire de James Joyce et s'installe à Paris, où il vit difficilement de ses traductions. Il écrit des poèmes, des nouvelles ainsi que des essais sur les peintres de Montparnasse qu'il fréquente. Murphy paraît à Londres, et Beckett entreprend la traduction du roman en français. Il rejoint pendant la guerre un groupe de résistants et échappe à une arrestation en passant en zone libre. C'est là qu'il écrit Watt, son dernier roman en anglais, où apparaît le premier clochard métaphysique de son œuvre. Après la guerre, il poursuit son entreprise de dénuement en optant définitivement pour la langue française. Ce dépouillement est aussi esthétique que matériel : à Paris, Beckett écrit intensément, et survit surtout grâce aux travaux de couture de sa femme, qu'il a rencontrée à la fin des années 1930 à Montparnasse. La trilogie romanesque Molloy, Malone meurt et L'Innommable voit le jour. Après avoir essuyé nombre de refus des éditeurs, elle est acceptée par Jérôme Lindon, aux Editions de Minuit. En attendant Godot, écrite en 1948, est montée grâce à l'opiniâtreté du metteur en scène Roger Blin en 1952. La pièce fait scandale, puis connaît dans les années qui suivent un succès international. Beckett écrit également Fin de partie, qu'il traduit l'année suivante, Actes sans paroles I et Actes sans paroles II, ou encore Happy Days, qui voit dans la version française Oh les beaux jours de 1963 Madeleine Renaud s'illustrer dans le rôle de Winnie. Mais le dramaturge, insatisfait par certaines mises en scène, participe lui-même à la création de ses pièces à partir de 1967.

Couronné par le Nobel de Littérature en 1969, il accepte le prix mais refuse de se rendre à Stockholm – qualifiant au passage de « Foutu jour ! » celui de sa consécration, qui fait de son œuvre une nouvelle proie de la recherche universitaire. Il meurt vingt ans plus tard à Paris, dans la gloire et le dénuement.

Au fil des textes, l'esthétique de Beckett s'est faite de plus en plus minimaliste. Ses romans comme ses pièces refusent la mise en place d'une véritable intrigue. Les « personnages », en crise, n'ont pas d'existence sociale, pas d'identité : le plus souvent sans mémoire, ils sont réduits à leur regard et leur voix. S'ils parlent, c'est pour essayer de fixer par les mots le monde inquiétant, vacillant qui les entoure, et pour combler le vide qui les angoisse. Ainsi, dans En attendant Godot, deux clochards, Vladimir et Estragon, passent les deux actes de la pièce à meubler le silence en attendant un certain Godot – dont le nom commence comme « Dieu » en anglais – qui ne vient pas. L'absence de repères – spatiaux, sociaux et temporels – plonge le spectateur dans le vertige métaphysique des deux compères et fait de cette pièce l'une des plus réussies du « théâtre de l'absurde », qui figure avec humour et pessimisme la vanité de notre condition humaine. Cette impuissance de l'homme face à son destin est peut-être le mieux symbolisée dans Oh Les beaux jours, où Winnie poursuit son soliloque désespéré tandis qu'elle s'enlise toujours davantage dans un mamelon de sable. L'immobilité caractérise donc les personnages, qui, de Molloy à Winnie en passant par Hamm, sont les prisonniers tragiques de leur fatalité intérieure.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Après les événements de 1968, les journaux télévisés, jusque-là très encadrées par le pouvoir gaulliste, gagnent en indépendance. La priorité est donnée au reportage. Le JT de 20 heures du 29 octobre 1969 consacre ainsi une rubrique au nouveau lauréat du Nobel de Littérature, Samuel Beckett, qui ignore encore que le prix lui a été décerné. Il procède à une petite mise en scène : de l'annonce publique du Prix à l'interview de l'éditeur, on se rapproche d'un écrivain qui reste tapi dans l'ombre. Dans ce portrait paradoxal qui nous est livré, Beckett brille par son absence.

Le reportage s'ouvre par un gros plan sur l'orateur qui annonce l'attribution du Nobel à Beckett, « écrivain irlandais et parisien » et le raccord saisissant fait le lien entre le nom et l'image : la caméra zoome sur une photographie de Beckett, qui, perdue dans une bibliothèque aux couleurs des éditions de Minuit, finit par envahir tout l'écran, signalant l'immensité de l'écrivain.

Dans ce visage déterminé, c'est le regard perçant qui frappe, derrière les petites lunettes rondes. Le raccord avec le travelling sur les livres écrits par Beckett est significatif : c'est toute son œuvre que récompense l'attribution du Prix de Littérature, créé en 1901 à la demande d'Alfred Nobel et décerné à la fin de chaque année par l'académie de Stockholm.

Après un fondu au noir, l'entretien de Jérôme Lindon, qui, debout devant sa bibliothèque, semble un peu mal à l'aise, superpose au point de vue de l'éditeur celui plus intime de l'ami. Le directeur des éditions de Minuit refuse de parler de l'homme Beckett, que caractérisent sa discrétion et sa modestie. Il suggère la grande richesse intellectuelle et humaine d'un homme qu'on ne saurait, contrairement à la manie des journalistes, définir en quelques mots. Une grande admiration perce dans ses propos.

Jérôme Lindon, qui a découvert Beckett avec Molloy, déplore que ses romans en France restent moins connus que son œuvre théâtrale. Face à l'insistance de la journaliste, il rappelle que Beckett, qui n'accorde d'interviews ni ne se laisse photographier, établit une distinction très claire entre son œuvre et sa personne – que, dans son immense modestie, il juge sans intérêt.

Jérôme Lindon refuse donc de livrer celui qui reste volontairement dans l'ombre – seule trace qui demeure : sa photographie dans la bibliothèque. La journaliste comme le téléspectateur en sont donc pour leurs frais : c'est à travers ses textes qu'il faut percer l'énigme Beckett.

Lieux

Thèmes

Sur le même thème