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Kateb Yacine écrivain public

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 21 nov. 1971

Entretien de Kateb Yacine dans l'émission Un certain regard en 1971. Il évoque le rôle ambigu de la langue française.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
21 nov. 1971
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001583

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Poète, romancier et dramaturge algérien, Kateb Yacine a toujours fait figurer son nom avant son prénom. L'intention symbolique est forte : elle rappelle le rituel de l'appel à l'école française et, « kateb » signifiant « écrivain » en arabe, elle souligne sa vocation.

Né dans l'Est de l'Algérie en 1929, Kateb Yacine est issu d'une famille de lettrés. Il fréquente l'école coranique, puis l'école française de Sétif. Sa participation, le 8 mai 1945, à la manifestation de protestation des musulmans contre leur statut illégal, lui vaut d'être incarcéré deux mois, puis renvoyé du lycée. S'ensuit l'internement psychiatrique de sa mère, qui l'a cru fusillé par la répression. Cette expérience, qui va être la matrice de ses écrits, aboutit à une prise de conscience radicale : Kateb rencontre les « deux choses qui [lui] sont les plus chères : la poésie », qu'il a découverte en prison, auprès des gens du peuple, « et la révolution ». Réinscrit au lycée de Bône, il commence alors à écrire et publie en 1946 Soliloques, un premier recueil de poèmes. Il fréquente les milieux nationalistes et se rapproche du parti communiste algérien. Il voyage également en tant que journaliste pour Alger républicain. En 1947, il donne à Paris une conférence sur Abdelkader et l'Indépendance algérienne où l'émir est célébré comme une figure de la résistance à la colonisation. À partir de 1951, Kateb partage sa vie d'errance entre son pays et la France. Il y trouve un refuge pendant la guerre d'Algérie et y mène une existence de travailleur prolétaire. Il publie en 1953 sa pièce Le Cadavre encerclé, qui s'inspire du massacre de Sétif, mais dont la représentation sera interdite en France. En 1956, son grand roman Nedjma (« étoile » en arabe), qui fait une nouvelle fois écho à la répression de Sétif, le révèle comme un des écrivains majeurs de la modernité littéraire. Cette « autobiographie au pluriel », composée en cercles concentriques, évoque le destin symbolique de quatre jeunes gens fascinés par Nedjma. Inspiré par la passion adolescente de Kateb pour une cousine plus âgée, le personnage du roman devient une représentation mythique de l'Algérie. Dix ans plus tard, Kateb rassemble dans Le Polygone étoilé des fragments de textes publiés et d'autres inédits de Nedjma.

Mais le théâtre devient le vecteur privilégié de son engagement. Il part au Viêtnam et écrit L'Homme aux sandales de caoutchouc, dédié au combat indépendantiste d'Ho Chi Minh et traduit en arabe en 1970. Refusant désormais la langue du colonisateur, il écrit en arabe dialectal et fait le choix d'un théâtre populaire et épique. Avec sa troupe de l'Action culturelle des travailleurs, il monte ses pièces et sillonne l'Algérie. Il accompagne la tournée en France et en RDA de La Guerre de deux mille ans et de Mohammed, prends ta valise, qui dénonce en 1971 les pièges de l'immigration. Mais les audaces de ce théâtre populaire ne plaisent guère aux autorités algériennes, qui délocalisent sa troupe à Bab-el-Oued, puis interdisent à Kateb de passer à l'antenne. À la fin de sa vie, le poète vagabond passe le plus clair de son temps en France. Il accède à la reconnaissance en 1987 avec le Grand Prix national des lettres, qui lui est décerné pour l'ensemble de son œuvre. Il meurt à Grenoble en 1989 et est enterré à Alger.

Si elle reste trop méconnue en France, l'œuvre poétique et engagée de Kateb Yacine exprime la quête identitaire d'une nation, dont le langage et l'écriture n'existent pas encore. En Algérie, son combat contre tous les abus et les formes d'oppression – de l'égalité des femmes au respect de la langue et de la culture berbères – ont fait de lui le symbole même de la contestation libertaire.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Le magazine mensuel Un certain regard porte l'empreinte du Service de la recherche de l'ORTF, connu pour ses créations audiovisuelles originales de grande qualité. En passant par des thèmes aussi variés que la peinture, le cinéma, la comédie ou l'improvisation musicale, il cherche avant tout à faire réfléchir le spectateur sur un programme. L'émission consacrée à Kateb Yacine en novembre 1971 ne déroge pas à la règle. Elle suit l'écrivain algérien dans Paris, sur les lieux où il a travaillé et vécu lors de ses premières années d'exil. Kateb Yacine livre plus particulièrement ses réflexions sur l'emploi de la langue française, dans laquelle il a été instruit, mais qu'il considère comme « un butin de guerre » : pour lui, la langue du colonisateur est à la fois un facteur aliénant et une position de force.

Filmée dans l'intimité de son appartement, l'interview crée une certaine familiarité avec l'écrivain. Assis dans un simple fauteuil, il s'adresse de face à la caméra avec décontraction, devant l'ouverture symbolique d'une fenêtre. Ce dispositif dépouillé renvoie l'image d'un homme simple et abordable. Les gros plans sur son visage donnent un air de confidence à ses propos, tandis que ceux sur ses mains en mouvement saisissent toute l'énergie du dramaturge engagé.

Kateb Yacine souligne l'aliénation d'une culture algérienne de tradition orale et le rôle à double tranchant de la langue française, dans laquelle il a écrit jusqu'ici ses pièces. En effet, la langue du colonisateur ne lui permet de ne toucher au Maghreb qu'un cercle restreint de lecteurs. Néanmoins, ce facteur initialement aliénant comporte un immense avantage : il lui permet, grâce au soutien de son éditeur française, de diffuser ses idées dans la presse et de contourner la censure. Kateb Yacine conclut sur une analyse marxiste : au lieu d'aliéner les colonisés, la francisation finalement les ramène à eux-mêmes. Elle leur fait prendre conscience de leur identité et, de ce fait, les libère.

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