vidéo -  Apostrophes

Belle du Seigneur d'Albert Cohen

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 23 déc. 1977

Entretien d'Albert Cohen et Bernard Pivot dans Apostrophes en 1977. Belle du Seigneur et l'amour-passion.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Apostrophes
Date de diffusion du média :
23 déc. 1977
Production :
INA
Page publiée le :
18 févr. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001590

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Né à Corfou en 1895, Albert Cohen appartient à la communauté juive séfarade de l'île, que son grand père préside. Des tensions religieuses et financières poussent sa famille à émigrer à Marseille, où il fait, à l'âge de dix ans, l'expérience traumatisante de l'antisémitisme. La conscience de ses origines détermine alors sa vocation : celle de parler et agir au nom du peuple juif. En 1914, Cohen, qui est d'une santé extrêmement fragile, rencontre en cure une Genevoise qu'il suit sur les bords du lac Léman. Il y étudie le droit puis la littérature et commence une carrière d'avocat. En 1921, il publie Paroles juives, un recueil de poèmes destiné à expliquer son judaïsme à sa belle-famille, de confession protestante. Il dirige ensuite La Revue juive à Paris, à laquelle sont associés Einstein, Freud ou encore Max Jacob. Puis il inaugure sa carrière de haut fonctionnaire à Genève, au Bureau International du Travail, expérience qui va nourrir Belle du Seigneur, son roman le plus célèbre. En 1935, l'accueil antisémite de sa pièce Ezéchiel lui fait définitivement abandonner l'écriture théâtrale. Mais dès 1930, Solal, le héros éponyme de Cohen, fait sa première apparition dans le monde de la littérature. Passionné et solitaire, ce personnage haut en couleur connaît un destin tragique, tiraillé entre ses racines juives et son désir violent d'ascension sociale. Ce premier roman est prolongé par le Mangeclous de 1938, dédié aux « Valeureux » exubérants du peuple élu. Avec la guerre, Cohen retourne à sa carrière politique et œuvre en faveur du sionisme. En 1944, il travaille au Comité intergouvernemental pour les réfugiés. De retour à Genève à la fin du conflit, Albert Cohen se retrouve de nouveau haut fonctionnaire, mais il quitte définitivement ses fonctions internationales en 1952 pour se consacrer pleinement à l'écriture. Son récit autobiographique Le Livre de ma mère, qui paraît en 1954, n'est pas moins un hommage à la défunte aimée que l'expression du remords posthume de ne pas avoir été à ses côtés de son vivant. Il faut attendre ensuite 1968 pour lire le dernier volet de la saga des Solal : Belle du Seigneur, qui obtient le Grand prix du roman de l'Académie française – le quatrième volume de la tétralogie, Les Valeureux, publié l'année suivante, résultant de l'amputation du manuscrit de Belle du Seigneur, jugé trop imposant par l'éditeur. En 1972 paraît Ô vous, frères humains, un récit humaniste commencé pendant la guerre, et qui, à défaut d'amour, appelle à la pitié entre les hommes. Les années 70 sont particulièrement éprouvantes pour l'auteur genevois, qui souffre d'une dépression nerveuse aggravée d'anorexie. Néanmoins, à 80 ans passés, il décide de se consacrer à la promotion de son œuvre : il relate sa maladie dans Carnets 1978 et multiplie les interviews. Il meurt en 1981.

Marqué par le décès précoce de trois de ses compagnes, l'écrivain juif a puisé dans le judaïsme, l'amour et la mort ses principales sources d'inspiration, qui trouvent leur aboutissement dans son roman pharaonique Belle du Seigneur. En prenant pour arrière-fond les milieux diplomatiques dont il fait la satire, Cohen décrit, dans son style fastueux et baroque, la passion destructrice de la belle Ariane et de Solal, un haut fonctionnaire de la Société des Nations. Pour avoir défendu la cause des juifs allemands, Solal est exclu de la SDN et perd sa nationalité française. Le lyrisme des débuts est gangrené par l'ironie pour offrir de l'amour-passion une vision très pessimiste : les deux amants, exclus de la société genevoise, enfermés dans la solitude et l'ennui, finissent par se suicider au Ritz.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Créée par Bernard Pivot en 1975, Apostrophes s'impose rapidement comme l'émission littéraire de référence à la télévision. Ce salon littéraire moderne remplit parfaitement sa fonction de démocratisation culturelle. Diffusée tous les vendredi soirs pendant quinze ans, l'émission accueille en direct plusieurs invités venus débattre autour d'ouvrages dont Pivot lit de nombreux extraits. Instigatrice de certains succès, révélatrice de phénomènes littéraires, mais aussi lieu d'affrontement des idéologies, Apostrophes connaît une forte audience (plus de 2 millions de téléspectateurs). De l'ivresse scandaleuse d'un Bukowski à l'interview exclusive d'un Soljenitsyne, l'émission a marqué fortement la mémoire télévisuelle (voir Florilège de l'émission Apostrophes).

Les entretiens à domicile, où des écrivains comme Marguerite Yourcenar ou Marguerite Duras reçoivent Pivot dans leur intimité, sont des moments particulièrement riches et émouvants. En 1977, Albert Cohen accueille le journaliste dans son appartement genevois. Les téléspectateurs découvrent le visage d'un vieux monsieur aux yeux vifs, drapé dans son éternelle robe de chambre rouge. À plus de 80 ans, il apparaît comme un homme extrêmement éloquent et jeune d'esprit, qui discourt lucidement de la passion une cigarette à la main. L'émission connaît un record d'audience.

Au cours de ce long entretien, l'écrivain présente son Belle du Seigneur comme « un anti Anna Karénine ». Il évoque les différentes étapes de la passion de Solal et Ariane, de la séduction et des extases sublimes des débuts, à la déréliction finale.

L'aller-retour entre le livre et le vécu amoureux des deux hommes donne de la littérature une vision très charnelle et vivante. Les plans rapprochés filment tour à tour l'écrivain et le journaliste, dont on perçoit le regard admiratif et bienveillant. Pivot, très documenté, veut lire de nombreux passages – notamment ceux des baisers, dont la beauté est détruite par l'ironie finale. Passionné et emporté, il se rebelle contre le cynisme de Cohen. Dans un souci peut-être pédagogique, il réagit avec naïveté pour faire rebondir son interlocuteur.

Cohen se présente sous un jour particulièrement savoureux. On découvre avec bonheur la fraîcheur et la vivacité du personnage, qui prend audacieusement à parti l'homme Pivot, passe au tutoiement pour nous inclure dans son raisonnement ou, comme un enfant, réclame de lire lui-même son texte. Il nous fait réfléchir aux conséquences d'une relation amoureuse repliée sur elle-même et explique l'aporie de cet « amour chimiquement pur » auquel Solal remédie en jouant le jaloux ou le méchant, pour susciter chez Ariane de nouveaux « toboggans de passion. » Pour Cohen, l'amour en vase clos entraîne nécessairement l'asphyxie.

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