vidĂ©o -  Apostrophes

La Place d'Annie Ernaux

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 06 avr. 1984

Entretien avec Annie Ernaux après la parution de La Place sur le plateau d'Apostrophes en 1984. La langue d'Ernaux.

Niveaux et disciplines

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Apostrophes
Date de diffusion du mĂ©dia :
06 avr. 1984
Production :
INA
Page publiĂ©e le :
18 févr. 2014
ModifiĂ©e le :
29 juin 2023
RĂ©fĂ©rence :
00000001595

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Annie Ernaux est une Ă©crivain contemporaine, connue pour ses Ă©crits autobiographiques.

NĂ©e en 1940 en Seine-Maritime, Ă  Lillebonne, elle passe son enfance et sa jeunesse Ă  Yvetot, dans un milieu modeste. Dès avant sa naissance, ses parents se sont affranchis de leur condition d'ouvrier en achetant un cafĂ©-Ă©picerie Ă  Lillebonne. Ils rĂŞvent d'ascension sociale, pour eux et leur fille. Alors que celle-ci a cinq ans, ils acquièrent un cafĂ©-alimentation Ă  Yvetot. Annie, qui grandit dans ce cafĂ©, au milieu de la clientèle, obtient de bons rĂ©sultats Ă  l'Ă©cole. Après des Ă©tudes universitaires Ă  Rouen, elle devient institutrice puis professeur certifiĂ©e en 1967. Elle est reçue Ă  l'agrĂ©gation de lettres modernes en 1971. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, elle enseigne dans un collège d'Annecy, puis Ă  Pontoise, avant d'intĂ©grer le CNDP. En 1974, son premier roman autobiographique, Les Armoires vides, signe son entrĂ©e en littĂ©rature. En 1983, elle rencontre le succès avec La Place. De nombreux rĂ©cits autobiographiques vont suivre, dont Passion simple, en 1991, qui relate une liaison Ă  l'âge adulte ou La Honte en 1997, davantage centrĂ© sur le couple parental et la quĂŞte d'un traumatisme originel, social et sexuel. Dans Les AnnĂ©es qu'elle publie en 2008, l'auteur commente des photographies d'elle-mĂŞme qu'elle intercale, dans son rĂ©cit Ă  la troisième personne, avec des souvenirs choisis pour leur portĂ©e historique ou sociologique. « Les images rĂ©elles ou imaginaires Â» construisent une vaste fresque qui court de l'après-guerre Ă  nos jours. Dans L'Autre fille, Annie Ernaux adresse en 2011 une lettre Ă  sa sĹ“ur qu'elle n'a pas connue, morte de la diphtĂ©rie Ă  l'âge de six ans. La mĂŞme annĂ©e paraĂ®t son anthologie, Ecrire la vie, qui rĂ©unit la plupart de ses Ă©crits autobiographiques, prĂ©cĂ©dĂ©s de cent pages de photos et d'extraits de son journal intime et inĂ©dit.

L'autobiographie au sens strict, telle que la dĂ©finit Philippe Lejeune, est un « rĂ©cit rĂ©trospectif en prose qu'une personne rĂ©elle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalitĂ©. Â» Elle requiert une homonymie explicite entre auteur, narrateur et personnage. En scellant un « pacte autobiographique Â», l'autobiographe s'engage Ă  ĂŞtre sincère sur son identitĂ©, et le lecteur Ă  le croire. L'autobiographie passe par des Ă©tapes-clĂ©s, comme le portrait physique, social et moral de la personne, le rĂ©cit des origines et de l'enfance, les Ă©preuves affrontĂ©es... Les Confessions de Rousseau, qu'on considère comme le modèle fondateur du genre, pose dĂ©jĂ  un des problèmes de l'autobiographie : celui de la vĂ©racitĂ© et de la bonne foi de l'auteur. Deux cents ans plus tard, Sartre, avec Les Mots et le recours Ă  l'intertextualitĂ© et la parodie, mine dĂ©finitivement les principes du rĂ©cit autobiographique. Ă€ la dĂ©finition de Philippe Lejeune, on pourrait donc prĂ©fĂ©rer une notion plus large, qui inclurait l'autofiction, mais aussi les correspondances et les interviews, les albums de photos... Ă€ partir des annĂ©es 60, le rĂ©cit autobiographique se diversifie et se gĂ©nĂ©ralise dans les bibliographies des Ă©crivains. Il prend plus rĂ©cemment une nouvelle orientation : pour se dire, l'auteur se dĂ©centre. Le rĂ©cit autobiographique initie alors un va-et-vient entre soi et autrui, identitĂ© et altĂ©ritĂ©, comme en atteste La Place d'Annie Ernaux.

Cette autobiographie de cent pages, rĂ©digĂ©e entre novembre 1982 et juin 1983, relate l'ascension sociale des parents d'Annie, leurs conditions de travail et leurs espoirs. L'Ă©crivain rend hommage Ă  son père. Il dĂ©cède deux mois après qu'elle-mĂŞme a « trahi Â» son milieu d'origine en devenant professeur de lettres. Le rĂ©cit, fait de paragraphes qui s'interrompent brutalement, rend compte de la difficultĂ© de dire. Sa sĂ©cheresse rĂ©vèle la douleur latente et la difficultĂ© de parler, entre membres d'une mĂŞme famille.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Créée par Bernard Pivot en 1975, Apostrophes s'impose rapidement comme l'émission littéraire de référence à la télévision. Ce salon littéraire moderne remplit parfaitement sa fonction de démocratisation culturelle. Diffusée tous les vendredi soirs pendant quinze ans, l'émission accueille en direct plusieurs invités venus débattre autour d'ouvrages dont Pivot lit de nombreux extraits. Instigatrice de certains succès, révélatrice de phénomènes littéraires, mais aussi lieu d'affrontement des idéologies, Apostrophes connaît une forte audience (plus de 2 millions de téléspectateurs). De l'ivresse scandaleuse d'un Bukowski à l'interview exclusive d'un Soljenitsyne en passant par les entretiens à domicile de Yourcenar ou Duras, l'émission a fortement marqué la mémoire télévisuelle (voir Florilège de l'émission Apostrophes). Pour les professionnels de l'édition, le passage par Apostrophes est devenu crucial en vertu de sa capacité à lancer le succès d'un livre – à l'instar de La Place, prix Renaudot 1984.

La lecture initiale de Bernard Pivot oriente la discussion sur le style d'Annie Ernaux et son refus du roman. Les plans rapprochĂ©s rĂ©vèlent le visage Ă  peine fardĂ© de l'auteur, qui, l'attitude humble, le regard un peu fuyant, rĂ©sume la vie très modeste de son père et sa « toute petite ascension sociale Â», de paysan Ă  petit commerçant.

En refusant dĂ©libĂ©rĂ©ment la fiction mensongère du roman, Annie Ernaux respecte l'ambition originelle de toute autobiographie : dire la vĂ©ritĂ©, sur soi et son entourage. La crĂ©ation d'un personnage aurait nĂ©cessairement embelli son père. Au contraire, le choix d'une « Ă©criture plate Â», sans commentaire, lui permet de raconter objectivement l'histoire paternelle. Le style dĂ©pouillĂ© se veut Ă  l'image d'une vie marquĂ©e par la nĂ©cessitĂ©.

Les Ă©crivains et critiques Alain Bosquet et Georges-Emmanuel Clancier soulignent l'un après l'autre le paradoxe de cette Ă©criture : la pudeur, la simplicitĂ© des phrases laissent affleurer les Ă©motions. L'ascĂ©tisme du style rend le rĂ©cit d'autant plus touchant.

Le dĂ©bat s'achève sur l'articulation tragique entre parole et Ă©criture. « On ne parlait plus le mĂŞme langage Â» dĂ©clare Annie Ernaux. C'est parce que le père ne maĂ®trise pas « le beau langage Â» de la culture dominante, et que la communication devient impossible, que la fille se tourne vers l'Ă©criture et consomme la rupture avec son milieu d'origine.

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