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Les Alsaciens ayant combattu dans l'armée allemande en 1914-1918

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 11 nov. 1995 | Date d'évènement : 1914

Joseph Mathias, alsacien ayant combattu dans l'armée allemande, témoigne à travers sa trajectoire d'un phénomène peu connu : celui des « malgré-nous » alsaciens du premier conflit mondial, qui durent se battre sur le front de l'Est contre les Russes entre 1914 et 1917 puis furent transférés à l'Ouest pour combattre sur le front français lors des dernières grandes batailles de l'année 1918.

Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de l'évènement :
1914
Date de diffusion du média :
11 nov. 1995
Production :
INA
Page publiée le :
05 nov. 2014
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001696

Contexte historique

Par Fabrice Grenard

Si le drame des « malgré-nous » lors de la Seconde Guerre mondiale est bien connu, celui des Alsaciens ayant combattu dans l'armée allemande entre 1914 et 1918 l'est beaucoup moins. Cette différence tient certainement du fait que l'Alsace avait été annexée de force par le Reich en 1940, plaçant ainsi les jeunes alsaciens dans une position quasi intenable dès lors que Berlin décida de les mobiliser de force. En 1914, la mobilisation des Alsaciens dans les troupes allemandes apparaissait comme plus logique dès lors que l'Alsace (et une partie de la Lorraine) constituait un Land allemand depuis 1871. Au fil des décennies s'était d'ailleurs développée une conscience nationale alsacienne, mêlant l'attachement à la « petite patrie » (Heimat) au sentiment d'appartenance à une communauté plus large (Vaterland), cimentée par la langue et la représentation parlementaire au Reichstag. Si pour les anciennes générations qui avaient vécu l'annexion de 1871 une certaine nostalgie de la France continuait de se maintenir, pour les nouvelles générations en revanche, qui n'avaient connu que le rattachement au sein de l'Empire allemand, Paris, la République et la langue française constituaient des références de plus en plus éloignées.

Entre 1914 et 1918, ils furent ainsi 380 000 conscrits alsaciens et lorrains à être mobilisés et à revêtir l'uniforme feldgrau (contre 18 000 qui firent le choix de partir et de s'engager volontairement pour la France). Dès lors qu'il s'agissait de satisfaire leurs obligations militaires à l'égard de l'Etat auquel ils appartenaient, un refus assimilait les appelés à des déserteurs, avec les risques inhérents sur le plan de la justice militaire. L'état-major allemand, craignant des fraternisations, décida de les envoyer sur le front de l'Est pour éviter qu'ils n'aient à combattre contre les troupes françaises. Les Alsaciens combattirent ainsi les troupes russes sur les champs de bataille de la Prusse orientale, participant notamment aux batailles de Tannenberg et des lacs Mazures. Au début de l'année 1918, le retrait de la Russie de la guerre au lendemain de la révolution bolchevique, amena le transfert des divisions qui étaient stationnées à l'Est, au sein desquelles se trouvaient les Alsaciens, vers le front de l'Ouest. Les soldats alsaciens engagés dans l'armée du Reich eurent ainsi à combattre sur le sol français lors de la grande offensive allemande du printemps 1918 puis la contre-offensive alliée menée à partir de l'été.

Pour ces soldats alsaciens qui avaient combattus dans l'armée allemande, la démobilisation fut particulièrement difficile après l'armistice et le retour de l'Alsace à la France. Humiliés, ils furent victimes de nombreuses brimades de la part des autorités françaises (arrestations, contrôles), l'image de « traître » leur collant à la peau. Alors que les villages et villes d'Alsace accueillent les soldats français en « libérateurs », avec des bouquets de fleurs et des drapeaux bleu-blanc-rouge, les Alsaciens ayant combattu dans les rangs de l'armée allemande deviennent des réprouvés sur leur propre terre. Beaucoup en garderont un souvenir particulièrement amer et auront du mal à se réadapter à une vie normale. Ils deviendront aussi les grands oubliés de la mémoire collective, notamment lors des commémorations du 11 novembre.

Éclairage média

Par Fabrice Grenard

Le fait que l'ancien soldat Joseph Mathias, évoquant sa trajectoire au cours du premier conflit mondial, parle alsacien et non français n'est pas anodin. Cela symbolise cette génération d'Alsaciens nés à la fin du XIXe siècle (Joseph Mathias a 17 ans en 1914) et qui n'avaient donc pas connu l'attachement à la France. Joseph Mathias explique d'ailleurs lors de son témoignage qu'il ne connaissait pas La Marseillaise. Ce témoignage permet ainsi d'illustrer le drame vécu par ces jeunes alsaciens ayant combattu dans l'armée allemande entre 1914 et 1918 et qui ne pourront trouver leur place après l'armistice dans une Alsace redevenue française et célébrant avec force la victoire des armées alliées face aux Allemands.

Tout est fait de la part de Joseph Mathias pour montrer qu'il n'avait pas eu le choix et avait dû se battre à contrecœur contre ses « frères » français. L'ancien fantassin insiste ainsi sur la façon dont les Allemands détestaient les Alsaciens, qu'ils considéraient comme des Français. Il fait part également d'anecdotes démontrant que le cœur des soldats alsaciens était bien français et non allemand (comme lorsqu'une partie des soldats alsaciens avec lesquels il se trouve sur le front de l'Ouest se met à chanter La Marseillaise, risquant d'être fusillés). En ce sens, les Alsaciens combattants dans l'armée allemande entre 1914 et 1918 se sont présentés comme des « malgré-nous » bien que l'expression soit surtout utilisée après la Seconde Guerre mondiale. Mais dès les années 1920, des associations d'anciens combattants alsaciens et lorrains de la Grande Guerre employèrent cette formule pour mettre en avant qu'ils n'avaient pas eu le choix et avaient été contraints de servir l'armée allemande contre la France. Il s'agissait de répondre aux nombreuses suspicions pesant sur ces anciens combattants assimilés à des traîtres et qui ne parvenaient pas à trouver leur place dans les commémorations de l'après-guerre malgré le sacrifice personnel qu'ils avaient eux aussi subi au cours de la guerre.

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