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Benjamin Stora, historien de la mémoire de la guerre d'Algérie

Institut national de l’audiovisuel

Proposé par Institut national de l’audiovisuel

Date de diffusion : 22 nov. 1991

L’historien Benjamin Stora, auteur de La Gangrène et l’oubli, est invité de l’émission Caractères. Il évoque les groupes porteurs de la mémoire de la guerre d’Algérie. Il explique aussi les raisons du refoulement de la mémoire de cette guerre. Il propose un découpage chronologique de ce refoulement.

Niveaux et disciplines

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Informations et crédits

Type de ressource :
Forme :
Collection :
Date de diffusion du média :
22 nov. 1991
Production :
INA
Page publiée le :
29 mai 2018
Modifiée le :
29 juin 2023
Référence :
00000001895

Contexte historique

Par Christophe Gracieux

Benjamin Stora a vu le jour le 2 décembre 1950 en Algérie, dans le vieux quartier juif de Constantine. Il y passe son enfance, comme il le raconte dans Les Clés retrouvées (Stock, 2015). Cette enfance se passe en grande partie à l’ombre de la guerre d’Algérie. Benjamin Stora explique notamment avoir passé une grande partie des deux dernières années de la guerre dans la maison familiale, ne sortant plus que très peu. Il raconte aussi avoir été souvent réveillé la nuit par les plasticages de l’OAS en 1961 et 1962. Il a onze ans lorsqu’il quitte l’Algérie avec sa famille en juin 1962. Après avoir participé à Mai 68 (voir 68, et après, Stock, 2018), il entre à l’Organisation communiste internationaliste. Il milite dans ce mouvement trotskyste jusqu’en 1985.

En 1978, il soutient une thèse de troisième cycle en histoire sous la direction de Charles-Robert Ageron : elle porte sur Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien, fondateur du Mouvement national algérien, rival du Front de libération nationale (FLN). Puis Benjamin Stora travaille sur les biographies des militants nationalistes algériens. Il leur consacre ainsi une thèse d’État en sociologie en 1984 puis un dictionnaire en 1985 (Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, 1926-1954, L’Harmattan). Pour élaborer ces 600 biographies, il a reçu l’aide de Mohammed Harbi, ancien dirigeant du FLN devenu historien.

En 1991, il publie La Gangrène et l’oubli, première étude consacrée à la mémoire de la guerre d’Algérie. Estimant que « la guerre d’Algérie apparaît […] sans cesse, à la fois comme objet étranger et partie du corps propre » des sociétés française et algérienne, il s’efforce dans cet ouvrage « d’éclairer les mécanismes de fabrication de l’oubli » de ce conflit. Il étudie donc la manière dont « la mémoire de la guerre d’Algérie travaille en profondeur la société française » à travers quatre groupes : les pieds-noirs, les harkis, les immigrés et les soldats. Il met ainsi en évidence la mise en place de « mécanismes de fabrication de l’oubli » dès la guerre elle-même : « Du côté français, la négation de l’existence même de la guerre ; le refus obstiné de reconnaître la réalité de la torture ; du côté algérien, la violence de la guerre civile secrète entre le FLN et le MNA ou le massacre des harkis ». Il analyse ensuite la manière dont de 1962 à 1991 « les mensonges de la période 1954-1962 » ont ensuite été « enfouis dans les mémoires par les amnisties ou les non-dits d’une histoire éclatée ».

La Gangrène et l’oubli apporte à Benjamin Stora un début de notoriété. Peu à peu, il s’impose ensuite comme l’un des historiens incontournables de la guerre d’Algérie, régulièrement invité sur les plateaux de télévision. Il est également convoqué par les médias comme expert de l’actualité algérienne.

Il prolonge ses travaux sur la guerre d’Algérie par une thèse d’État en histoire soutenue en 1991, portant sur l’histoire politique de l’immigration algérienne en France de 1922 à 1962. Il continue également à travailler sur la guerre d’Algérie. Il dirige ainsi avec Mohammed Harbi La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie (Robert Laffont, 2004). Il réalise aussi des documentaires dont Les Années algériennes, diffusé sur Antenne 2 en 1991, qui constitue selon lui « à la fois un travail historique et une enquête subjective » (Les Guerres sans fin, Stock, 2008).

Menacé pour ses prises de position en pleine guerre civile en Algérie, il doit s’exiler au Viêt Nam en 1995 et 1996. Il en tire Imaginaires de guerre, Algérie-Viêt Nam en France et aux États-Unis (La Découverte, 1997) qui compare la mémoire des guerres d’Algérie et du Viêt Nam. Il travaille aussi sur les Juifs d’Algérie, leur consacrant plusieurs ouvrages dont Les trois exils (Stock, 2006).

Devenu professeur à l’université Paris-XIII, il est nommé président du Conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration en 2014.

Éclairage média

Par Christophe Gracieux

Cet entretien avec l’historien Benjamin Stora est extrait de l’émission Caractères diffusée le 22 novembre 1991 sur FR3. Caractères était une émission littéraire, créée et animée par Bernard Rapp, ancien présentateur du journal télévisé d’Antenne 2 de 1983 à 1987. Diffusée de 1990 à 1992, d’abord sur Antenne 2 puis sur FR3, elle avait pour cadre un décor de librairie, dans lequel prenaient place plusieurs auteurs pour une discussion ouverte d’environ une heure et demie autour d’une table, en présence d’un public.

L’émission du 22 novembre 1991 était entièrement consacrée à la prochaine commémoration, le 18 mars 1992, du trentième anniversaire des accords d’Évian. À cette occasion, Bernard Rapp avait reçu quatre écrivains qui venaient de publier des ouvrages sur ce conflit : deux historiens, Benjamin Stora et Jean-Luc Einaudi, et deux acteurs engagés dans la guerre d’Algérie, Francis Jeanson et Jacques Roseau. Jean-Luc Einaudi était invité pour son livre La Bataille de Paris qui reconstituait le déroulement de la sanglante répression policière d’une manifestation d’Algériens de la région parisienne le 17 octobre 1961. Le philosophe Francis Jeanson, animateur d’un réseau de « porteurs de valises » du FLN pendant la guerre, venait quant à lui de publier Algéries. De retour en retour, retranscription de ses entretiens recueillis lors de trois séjours en Algérie à partir de 1990 et diffusés sur France Culture. De son côté, Jacques Roseau, ancien membre de l’OAS et porte-parole de l’association de rapatriés Recours-France, était invité pour Le 113e été. Chronique romanesque (1903-1962), roman historique sur l’Algérie coloniale. Son désir de maintenir des liens avec l’Algérie lui vaudra d’être assassiné par d’autres anciens de l’OAS en mars 1993.

Le quatrième invité de l’émission Caractères du 22 novembre 1991, et le premier à intervenir, est l’historien Benjamin Stora. Ce dernier vient alors de publier La Gangrène et l’oubli, ouvrage que Bernard Rapp tient sur ses genoux. Cette publication commence à apporter à Benjamin Stora une certaine notoriété. La diffusion des trois épisodes de son documentaire Les Années algériennes sur Antenne 2, entre le 24 septembre et 9 octobre 1991, avait déjà contribué à le faire connaître. Par la suite, Benjamin Stora devient une figure médiatique, convoqué comme spécialiste incontournable de la guerre d’Algérie. À partir de 1991, il est régulièrement invité sur les plateaux de télévision pour livrer ses analyses sur les soubresauts réguliers de la mémoire de la guerre d’Algérie ainsi que sur l’actualité algérienne.

Dans l’extrait de Caractères présenté ici, Benjamin Stora livre les principales conclusions de sa recherche sur la mémoire de la guerre d’Algérie. Il explique ainsi que différents groupes en sont porteurs et s’affrontent. Il évoque également les raisons du refoulement de la mémoire de la guerre d’Algérie, à commencer par l’absence de date commémorative ou d’espace de commémoration. Il propose aussi un découpage en trois périodes du rapport à la mémoire de la guerre d’Algérie entre 1954 et 1991.

Bernard Rapp conduit un véritable entretien avec Benjamin Stora. Toutefois, et c’est le principe de Caractères, il s’agit d’une discussion ouverte. Bernard Rapp fait ainsi réagir les autres invités. Dans l’extrait présenté, Jacques Roseau intervient pour souligner les différentes facettes de la « guerre civile » qu’a été la guerre d’Algérie. Benjamin Stora nuance toutefois cette analyse : à ses yeux c’est avant tout l’affrontement algéro-français qui a dominé.

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