Les Landes : la forêt ou les hommes ?

12 octobre 1982
34m 37s
Réf. 00105

Notice

Résumé :

Dans les Landes, l'implantation massive de pins résultant de la loi du 19 juin 1857, encouragée par Napoléon III, engendre de profondes mutations dans la société et le mode de vie des Landais. En un demi siècle, l'ancien système agro-pastoral est supplanté par un système sylvicole entièrement tourné vers l'exploitation de la résine et basé sur la privatisation des espaces communautaires.

Type de média :
Date de diffusion :
12 octobre 1982
Source :

Éclairage

Dans cette longue émission d'une série mémorielle apparaît toute la problématique de l'évolution du paysage des Landes de Gascogne.

Au XVIIIe, sinon dès le XVIIe siècle, ces vastes territoires de "lannes" [1] essentiellement partagés entre la généralité de Bordeaux et celle d'Auch, entre diocèses d'Aire, de Bazas, de Bordeaux et d'Acqs (Dax), préoccupent certains administrateurs, puis les bons esprits de progrès influencés par les idées physiocratiques. Alors que le trait de côte n'est absolument pas fixé [2], des autorités du royaume s'intéressent à ces espaces immenses et sablonneux : les responsables des arsenaux de la Royale veulent en savoir davantage sur la production de poix dans les pinhadars de la zone côtière, et bientôt, sortis des cartons de l'Intendance bordelaise, se multiplient des projets de canaux alors que l'état des chemins et des routes est souvent déplorable [3].

Cependant, la grande transformation des paysages tient à l'extension volontariste des boisements en pins maritimes. Contrairement à une idée par trop répandue au XIXe siècle – on songe à la gloire attribuée à Jules Chambrelent sous le Second Empire –, les landes de Gascogne, tant dans le département de la Gironde que dans celui des Landes, principalement avec les vastes et anciennes forêts du Marensin [4], ont déjà au début du XIXe siècle de belles pinèdes d'où l'on tire et du bois et des produits résineux. Mais ces boisements se limitent à certaines zones bien drainées de l'intérieur ou aux montanhas du littoral, c'est-à-dire les dunes anciennes à peu près fixées.

Toutefois, des travaux de Peyjehan à La Teste-de-Buch, jusqu'aux initiatives de Brémontier, en passant par les projets de Desbieys à Saint-Julien-en-Born, la fin du XVIIIe siècle et les débuts du XIXe sont riches de projets. Déjà l'aménagement du territoire !

D'une part, on désire ardemment fixer les sables menaçants en un cordon dunaire stabilisé mettant hors de danger certains hameaux des paroisse côtières. D'autre part, obsession physiocratique, on ne cesse de vouloir assainir un territoire assez pauvre où abondent, selon la topographie, lagunes et marécages. Ce qui d'ailleurs n'a pas empêché de petites communautés de s'y adapter et de vivre en relatif quoique fragile équilibre fondé sur un système agro-pastoral. Dans ce contexte, les impératifs économiques dictés par les besoins en matière premières de la révolution industrielle bouleversent l'ordre des choses. L'ordre établi sous le règne de "Badinguet", qui d'ailleurs montre l'exemple en faisant de Solférino un des fleurons du domaine impérial [5], permet de mener les opérations presque au pas de charge.

Le paysage change donc avec la loi de 1857 menant les communes à vendre et à ensemencer en pins maritimes leurs vastes terrains de landes communales. Pendant quelques décennies les bergers ne décolèrent pas de voir se réduire inexorablement les terrains de parcours de leurs brebis. Ils doivent s'y faire : l'économie devient, quoi qu'ils en pensent, agro-sylvo-pastorale. D'autant que le bois et la résine se vendent très bien. Au temps de l' "arbre d'or", pendant cinq ou six décennies, nonobstant quelques fluctuations au gré des cours mondiaux, colophane, essence de térébenthine et bois d'œuvre pour la construction, la caisserie, le chemin de fer, les régions minières du Nord ou bien encore l'Angleterre se vendent bien.

La société rurale est bouleversée par cette nouvelle donne. Un certain antagonisme apparaît dans ce siècle où se répand le concept de lutte de classes. De nouvelles fortunes foncières se sont établies à la faveur des adjudications de communaux. Les plus avisés ont su développer et faire prospérer leurs pinhadars. Devenus "sylviculteurs", les paysans fortunés, fussent-ils de petits "ayant-pins", n'en gardent pas moins l'amour de la terre, du travail bien mené, le sens de la transmission de propriétés en excellent état ; d'autant que le forestier, vu le cycle naturel des arbres, travaille nécessairement sur le long terme.

La confrontation sociale se manifeste surtout à partir du début du XXe siècle car les gemmeurs se sentent de plus en plus proches, par leur statut, de la condition ouvrière. Les échos de la question sociale finissent par atteindre la contrée.

À vrai dire, quand se met en place ce système productif, deux catégories de gemmeurs coexistent. Dans la zone côtière, ceux des forêts domaniales ont quasiment un véritable statut d'ouvrier, ce qui occasionne d'ailleurs une syndicalisation précoce et combative. Dans les communes intérieures, ils sont généralement métayers mais le vieux statut de métayage, du fait de la dépendance du cours de la résine aux marchés, paraît de plus en plus inadapté [6] ; les us et coutumes régissant le partage des récoltes, semblent eux aussi obsolètes. D'où, sur fond de grande dépression des années 1930, la montée en puissance de la question sociale au cœur des pinhadars où scieries et distilleries de gemme entendent les revendications de 1936.

Le cycle de la résine va lentement entrer en récession après 1945. Pour quatre raisons au moins : a) les incendies de la décennie 1940 amputent largement le massif forestier ; b) l'exode rural s'amplifie en raison de la médiocrité des conditions matérielles dans lesquelles vivent ouvriers et gemmeurs ; c) des produits chimiques d'origine pétrolière concurrencent la résine ; d) la production à bas coût du Portugal ou de Chine arrive sur le marché.

Depuis les années 1970, on ne cesse, en vain d'entendre parler de la relance du gemmage...

[1] "Lannes" : reprise par la scripta administrative française, c'est la graphie patoisante du gascon lanas, "landes". Il s'agit du paysage "classique" des landes océaniques où le couvert végétal associe, selon les sols plus ou moins humides ou bien égouttés, l'ajonc épineux (jauga ou toja en gascon), la fougère (heuç ou heuguèira), la molinie (auguicha), cependant que le chêne (tauzin ou rouvre) et le pin maritime, dans ce bassin aquitain proche de l'Atlantique, prospèrent très bien.

[2] Ce n'est vraiment qu'au XIXe siècle que les Ponts et Chaussées parviennent à le fixer.

[3] Jusqu'au début du XXe siècle, les guides conseillent encore aux automobilistes de passer par Bazas et Mont-de-Marsan pour rejoindre Bayonne...

[4] Le Marensin, ancienne baronnie, s'étend de Lit-et-Mixe à Léon et Moliets-et-Maa.

[5] Solférino : domaine foncier de Napoléon III, constitué à partir de 1857, sur des terrains de Commensacq, Escource, Labouheyre, Luë, Morcenx, Onesse et Sabres. On stimule les innovations agricoles en même temps que se fait l'aménagement des marais du Platiet.

[6] Néanmoins, les papeteries voulues par les milieux de la sylviculture entre les années 1920 et 1940 offrent de nouveaux débouchés.

Jean-Jacques Fénié

Transcription

Intervenante 1
Napoléon III est le premier souverain qui a posé les pieds sur la Lande aride dans la noble pensée de la fertiliser. Et c’est la plaque qui était devant son petit chalet. Cette plaque, enfin, avec l’empreinte de son pied. Avec l’empreinte de son pied, avec l’éperon qu’on monte à cheval.
(Musique)
Journaliste
Les Landes, le plus grand massif boisé d’Europe, 1 million d’hectares, moins de 5 habitants au kilomètre carré en moyenne.
(Musique)
Bernard Manciet
On nous a privé de nos marais maintenant. Et bien, nous faisons des piscines. L’eau se transfert d’un côté à l’autre. Non, nous sommes des fils de l’eau, je crois. Nous sommes une moisissure à la surface des eaux. Et là, cela aussi, c’est incompressible. Allez, donc, chasser les moustiques, ils sont chez eux.
(Silence)
Maurice Marrocq
Peut-être qu’on pourrait donner, tout de suite, une image des Landes sous Napoléon III. Les Landes de Gascogne en million d’hectares.
(Silence)
Maurice Marrocq
Cent mille hectares de dune boisée. Le littoral, quelques unes à l’intérieur des terres. Et puis, 900 milles hectares de lande humide. De lande humide, complètement, déboisée, occupée seulement par des bergers. Par les bergers, si réputés sur leurs échasses.
(Musique)
Bernard Manciet
Les Landes d’avant la forêt. Il y toujours eu de la forêt. De la forêt, systématiquement, exploitée comme depuis 150 ans, non. Mais de la forêt, il y a toujours eu de la forêt landaise : la forêt de pins.
(Musique)
Journaliste
Vauban, dès 1690, verra cette forêt, chênes, châtaigniers, pins. Il verra aussi l’état déplorable des routes impraticables en hiver. Il verra les dangers de cette côte battue par l’océan. L’époque rêvait de canaux, il en projettera un de Bordeaux à Bayonne, reliant les lacs et les étangs de la côte. Au 18ème siècle, les intendants de Bordeaux, [Tournille] et Dupré de Saint-Maur, vont inciter des compagnies à présenter des projets. Faute de moyens techniques et financiers, tous échoueront. Seul, Nicolas Brémontier, se limitant aux dunes de la côte, et reprenant un projet de Vauban, va commencer un patient travail de fixation des sols. Les Hautes Landes, aux sols marécageux, malgré leur altitude de 100 mètres en moyenne, n’ont rien à craindre de l’océan. Elles sont encore en sursis.
(Silence)
Bernard Manciet
Au 18ème siècle, à partir du 18ème siècle, elles ont été considérées comme une colonie. Et, je crois que le rationalisme y est pour beaucoup. Vous voyez, la nature ne souffre p…, la nature du rationalisme ne supporte pas le vide, voyant ces grands espaces peu peuplés. Et tout de suite, la tentation vient, aux administrateurs de les administrer, et l’on vous fabrique toutes sortes de plans, toutes sortes de projets. Puis, ça s'y prête parce qu’il n’y a rien, n’est ce pas ? Malheureusement, il y avait quelque chose. Il y avait déjà des systèmes qui existaient.
(Musique)
Francis Dupuy
Tout d’abord, il ne faut pas schématiser à l’extrême. Il y a toujours eu de la forêt dans cette région. Disons que jusque vers les années 1850, il y avait, à peu près, le tiers de la forêt qu’il y a aujourd’hui. Et certainement dans une autre morphologie que la forêt d’aujourd’hui. Mais les deux autres tiers, étaient voués à la lande rase, c'est-à-dire, une végétation qui se compose de fougères, de bruyères, d’ajoncs, de molinies, etc. Le mode de vie lié à ce paysage était un système à agro-pastoral, et je dirais même plus agro que pastoral, en ce sens que la finalité du système, c’était l’agriculture.
(Musique)
Francis Dupuy
Le schéma qu’on peut retirer, c’est une sorte d’équilibre dans la répartition de l’espace, entre, d’une part, espace privé et espace communautaire. Et ce qui était propriété privée, et bien, c’était surtout les endroits habités, les endroits cultivés, les champs et les forêts. Mais, le reste, la lande, pour, à peu prés les 2/3 d’entre elle, n’était pas propriété privée mais propriété communautaire. Puisque ces espaces communautaires de lande, ont pratiqué l’élevage du mouton. Et la fonction de cet élevage des moutons était de produire du fumier. Ici, contrairement à d’autres régions où il y a un élevage ovin le but, cela n’était pas de produire de la viande, de laine, ou du lait.
(Bruit)
Francis Dupuy
La fonction principale, c’était, donc, la production de fumier, que les moutons produisaient dans la bergerie sur une litière qui était faite à partir du soutrage, c'est-à-dire, des plantes qu’on allait également couper dans la lande.
(Bruit)
Roger Sournet
C’était des brebis la laine longue. Oh, cela ne faisait pas beaucoup de viande. C’était comme les gens ça manquait de calcaire... l’ossature ne s’était pas faite comme il le faut.
Journaliste
Ah oui, parce que les Landais sont comme cela ?
Roger Sournet
Cela a été miséreux pour les brebis. Quand ils n’avaient que de la bruyère, il n’y avait rien sur la lande. D’ici jusqu’à Sore, on y voyait à perte de vue. Vous voyez ? Les brebis qui pataugeaient dans la boue.
Francis Dupuy
Le rôle du troupeau étant de fournir du fumier, c’était, bien entendu, pour pratiquer l’agriculture. Ce qui comptait, c’était la production des céréales. Et la céréale principale, c’était, bien entendu, le seigle. Et pour cause, puisque c’était elle qui permettait de fabriquer le pain, c'est-à-dire, l’aliment quotidien des Landais.
(Musique)
Bernard Manciet
Figurez-vous que les Landais existaient même à l’âge de bronze. C’est incroyable. Alors qu’on croirait qu’ils se sont développés que sous Napoléon III.
(Musique)
Journaliste
Le siècle a changé. Les capitaux sont là maintenant. Et les promoteurs reviennent à la charge. On va même apporter une caution médicale. Les Landais sont infestés par le paludisme. Les effluves balsamiques des pins ne peuvent que leur faire du bien. Les Landes, c’est, un peu, le Far West de la France. Le chariot landais va être remplacé par le chemin de fer. Ce chemin de fer que Napoléon III va prendre pour aller jusqu’à Biarritz.
Tucoo Jean Chala
Napoléon III, poussé par des théories comme celles des physiocrates, avait envie d’aménager effectivement. Il avait l’idée de créer de nouvelles richesses. Et puis, il y avait des besoins. La mine apparaissait dans le nord de l’Europe. Il fallait des poteaux de mines, il fallait créer des chemins de fer, donc, avoir des travers, et, enfin, il fallait produire de la résine.
Journaliste
Cela servait à quoi la résine ?
Tucoo Jean Chala
Eh bien la résine, servait à 2 sous-produits essentiels, l'essence de térébenthine et la colophane. Et ces 2 sous-produits, on les retrouve dans des productions ensuite très diverses, que ce soit l’industrie des peintures, des vernies. Autrefois, les colles de brassier, et puis les goudrons. Tout cela était dérivé de la résine.
Journaliste
L’état va devenir le chef d’orchestre de cette expansion économique. Napoléon, par la loi du 19 juin 1857, oblige 110 communes des Landes et de la Gironde à assainir leurs terrains de pacage, et à les planter de pins, à leur frais, bien entendu.
(Silence)
Francis Dupuy
Effectivement, il y a eu une loi sous Napoléon III, celle du 19 juin 1857, qui va systématiser l’implantation de la forêt. Mais, le phénomène était déjà enclenché. Et, dés le 19ème siècle, il y a eu une demande locale, de la part de certains propriétaires, qui demandent à ce que les anciens communaux, qui servaient au pacage des moutons, soient vendus, au moins en partie, à des particuliers, c'est-à-dire, à eux, pour qu’on puisse les mettre en valeur, c'est-à-dire, les planter de pins.
Laurent Me Descoubes
Comme la commune avait beaucoup besoin d’argents, pour l’entretien du chemin car Sore était un lieu de passage très important. Alors, il fallait créer des ressources. Ils n’ont rien trouvé de mieux que de mettre en vente, de commencer à mettre en vente des terrains communaux et ces terrains de parcours.
Roger Sournet
A la première vente ici, la commune, cela s’est fait en 3 fois les concessions. On appelle cela les concessions de …, des concessions communales quoi. Les premiers qui avaient de l’or, avaient acheté un lot, à proportion de l’or qu’ils avaient.
Laurent Me Descoubes
Alors, l’obligation dans cette vente, l’obligation déjà, avant que Napoléon III n’arrive, déjà, la commune impose comme obligation de boiser et de faire des fossés pour irriguer ces terrains. Alors, cette vente s’est faite à un prix normal. Ce prix normal représente, environ, je n’ai pas eu le prix. Mais, enfin, c’était, environ, 20, 25 francs l’hectare.
Roger Sournet
Alors qui avait de l’or ? A commencer par le notaire. D’ailleurs, tous les notaires de l’époque connaissaient des successions de notaires avaient des domaines, des milliers d’hectares, ils y en avaient même qui ont fait, je pourrais vous nommer des noms dans le pays, quoi. Qui avait de l’or après le notaire ?
Laurent Me Descoubes
Et évidemment, ceux qui se sont portés acquéreurs, surtout, c’étaient des petits artisans, qui, eux, monnayaient régulièrement l’argent qu'ils économisaient. En louis, on parlait de louis, on parlait d'écu, d'écu de 5 francs qui n'était pas de 5 francs mais enfin l'écu. Et automatiquement, ces gens là…, le Landais est très économe, était très économe et il l’est encore, un peu rapia, un peu serré et un peu, enfin.
Journaliste
C’est plutôt une vertu ?
Laurent Me Descoubes
Oui, c’est une vertu. C’est ce qui a permis à ces gens là de…, d’acquérir, évidement, ils n’acquéraient pas plusieurs lots mais, un lot à une vente, un autre lot à une autre, 10 hectares d'un côté, 5 hectares de l’autre. Ce qui a permis à tout ces gens là, c’étaient des petits commerçants, des artisans, des petits propriétaires qui s’essayaient au [incompris].
Roger Sournet
Tout, comme tout bon commerçant, ils voyaient loin, ils disaient : "Cela, on va planter des pins, cela va …" Et c’étaient des gens qui n’étaient pas à courte vue. Ils voyaient déjà loin.
Francis Dupuy
Les communes vont garder quelques communaux, parfois, elles se dépossèdent totalement de leurs communaux, et parfois, elles en gardent des parties. Et ces communaux vont être, bien sûr, eux mêmes plantés de pins, si bien qu’en l'espace d’une cinquantaine d’année, la mutation va s’opérer et va être intégrale, entre 1860, en gros, et la guerre de 14, tout va être, systématiquement, planté de pins. Et, bien entendu, la reconversion de la société, et du mode de vie va être complète.
(Musique)
Bernard Manciet
Les Landais sont incompressibles. Vous attaquez d’un côté, c’est comme si vous ne faisiez rien, mais il faut attendre un certain temps. Il suffit de patience.
(Musique)
Roger Sournet
La préparation de la forêt s’est faite, mon père avait, il est né en 65. Et à 20 ans, mon père avec des voisins, entre autre, un camarade, ils faisaient des entreprises pour les plus riches propriétaires, qui n’avaient pas de mains d’œuvre. Et ils faisaient planter des pins. On faisait les semis. D’abord, il préparait les semis, puis on arrachait aux pelles-fer, qu’on appelle une pelle fer, quoi, en vrai acier, on taillait en motte. Ils avaient des entrepreneurs, mon père, il faisait cela. Il plantait des milliers de pins pour d’autres propriétaires. Il gagnait des sous. Il y en avait un, même, un voisin…, pour qui il a planté…, ils étaient…, ils n’étaient pas en amitié à cause du troupeau. Son premier voisin était là, [incompris]avec qui nous jouxtions la propriété. Il leur disait, la famille avait des dettes. Il avait fait beaucoup de frais pour planter tout cela. Et il avait emprunté. Et, alors, il voulait, la famille, ne voulait plus cette dette, alors il leur disait : "Mais, attendez, vous n’avez pas [incompris]." Il nous l’a dit combien de fois, à mon père et à moi. "Il va venir une époque, les affaires vont prendre, le commerce va …, il deviendra plus fort. Tout se vendra, la résine arrivera, il y en aura du bois. Vous aurez de l’argent à ne pas savoir quoi en faire." Il nous le disait souvent : "On a été quand même naïfs tu sais, moi et maman, de ne pas écouter mon parrain." Et son grand père, il disait, et il nous l’avait bien dit qu’on ne saurait pas quoi faire de l’argent. Et c’est le cas.
(Musique)
Francis Dupuy
Alors, comme je vous le disais, tout à l’heure, il y avait à l’époque de la lande, un équilibre entre espaces communautaires et espaces privées. L’espace communautaire servant à assurer le stock de ressources, qui permettait, ensuite, à chaque particulier de vivre. Cet équilibre va être rompu, puisqu’on va passer à un espace qui va être essentiellement privatisé. C’est le cas de la forêt d’aujourd’hui. Elle est privatisée à plus de 92%.
Journaliste
Alors, qu’est-ce que cela change dans le mode de vie ?
(Silence)
Francis Dupuy
Je dirais tout.
(Musique)
Germain Rablade
On avait un berger ici, un autre à 2 km. On avait jusqu’à 4-5 km comme cela.
(Musique)
Germain Rablade
Un jour là, et un jour plus loin. On en avait pour la semaine pour faire le tour. Il y avait des endroits où on restait un jour ou deux. Et les dimanches, on se rendait à la maison.
(Silence)
Germain Rablade
Oui
(Silence)
Journaliste
Il était berger votre mari, quand il était jeune ?
Madame Rablade
Il n’a jamais été que cela, berger. Et moi…
Germain Rablade
26 ans ici, et 2 ans à [incompris].
Madame Rablade
On ne sait pas où c’est, mais c’est la route de Sabres.
Journaliste
Ce n’est pas très loin ?
Madame Rablade
Non, mon fils, il a un mouton.
Journaliste
Et comment c’était d’être berger alors ? Racontez-moi un petit peu, comment c’était d’être berger ?
Madame Rablade
Eh bien, vous savez, c’était très fatiguant d’être berger. Comme, maintenant, il y avait la chaleur, ils ne restaientt pas dehors les moutons, à cause des mouches. Il fallait les faire manger la nuit. Et lui, il couchait au pied d’un pin, puisque, dans le frais. Et la journée, il fallait travailler, ramasser la résine, couper les pins. Et faucher, et faner. Et un cheval et une vache, deux cochons et les enfants. Et vous savez, aussi mes jambes ne veulent plus tourner, elles ont trop tourné.
(Silence)
Madame Rablade
Je ne me plains pas quand même. Et oui, voilà, comme on a été.
Germain Rablade
[Incompris]
Madame Rablade
Il ne m’obligeait rien, oui. Et pourquoi tu parles patois, alors ?
Germain Rablade
Et bien, pour qu’on prenne pas. [Incompris]
(Silence)
Journaliste
Et alors, pourquoi on a vendu les troupeaux ?
Germain Rablade
Ils mettaient des pins partout, et puis, les métayers partaient. Après les métairies, elles n'étaient plus entretenues... pas de pré. Il fallait que j’aille chez les voisins. Cela allait un moment cela. Et après, il ne voulait plus de brebis des autres. Alors, on commençait de vendre les troupeaux. Eh bien, cela a été la fin des landes. [Inaudible]. Il n’y avait pas de fumier pour cultiver. Il foutait le camp, et en ville, et voilà.
(Silence)
Germain Rablade
On avait la priorité d’acheter. Alors ? On ne pouvait pas. Il y en a qui en ont acheté. Et nous,… il n’y avait pas les moyens, l'économie comme maintenant.
(Bruit)
Germain Rablade
Eh oui.
(Bruit)
Francis Dupuy
Il y a, donc, surtout, une disparité entre ceux qui peuvent acquérir des landes pour les transformer en forêt, et ceux qui ne peuvent pas. Alors, ceux qui ne peuvent pas, qui étaient parfois des petits propriétaires, auparavant, ne peuvent même plus survivre en tant que tel, puisque leur agriculture reposait sur le libre usage des communaux avec le pacage des moutons. Donc, ils sont exclus de ces pacages, et par conséquent, ils ne peuvent plus assurer l’exploitation de leur petite unité de production. A ce moment là, donc, ces gens là n’ont plus que 2 solutions, soit s’expatrier, soit devenir des métayers au service, donc, des propriétaires.
Journaliste
Oui, au service des propriétaires d’une forêt, qui demande une main d’œuvre importante, pour en exploiter la résine, la gemme.
(Musique)
Journaliste
On appelle le gemmage, le fait d’entailler le pin avec le hapchot, pour couper les canaux porteurs de résine. La résine va alors couler dans un pot, le gemmeur la récupère, fait l’amasse, et puis, l’emmène dans des barriques, à l’atelier de distillation.
(Musique)
Marcel Ducos
Celui-ci a été résiné. Voilà un pin qui a été résiné. Il y a longtemps. La première care a été mise du côté de l’est. La deuxième, un peu au nord-ouest. La troisième au sud-ouest, et puis, on recommence. On faisait le tour de l’arbre comme cela. Et cela durait 25-30 ans ou, quelque fois, davantage. Ensuite, on attendait le moment de l’abattage, quand le propriétaire voulait abattre les pins. Alors, on pratiquait le résinage à mort. On mettait 2 ou 3 cares à la fois.
Journaliste
Est-ce que l’activité de gemmeur représentait une grosse proportion de l’activité du métayer ?
Intervenant 1
Oui, beaucoup, cela prenait, au moins, 4 à 5 journées par semaine.
(Silence)
Intervenant 1
Et le reste du temps, se passait aux champs, parce que tous les métayers avaient de la terre arable pour faire du seigle, du maïs, de quoi faire leur pain.
Intervenant 2
On peut dire qu’au début du siècle, on va compter plusieurs dizaines de milliers de gemmeurs. 20 000, 30 000, certainement plus. Donc, là, toute la forêt produit de la résine. Quand on lit des textes de cette époque là, on apprend que la forêt va siffler du bruit des hapchots.
(Bruit)
Intervenant 1
Eh bien, le résinier était indépendant puisque nous prenions un lot de pins à résiner. Il y avait des conventions entre propriétaires et le métayer. Chacun suivait ces conventions. Et puis, chacun était libre et indépendant. Ce qui faisait le charme du métier.
Marcel Ducos
Ce que nous devions aux propriétaires, c’était le loyer de la prairie. Nous payons notre part de seigle, de maïs, de millet et une indemnité pour avoir une loge à cochon.
Laurent Me Descoubes
C’était le propriétaire qui, à l’occasion de la saint André à Sore réunissait les métayers et réglait avec eux. On réglait, une fois par an, les journées qui avaient été faites par les métayers, les journées qui étaient faites pour les besoins de la propriété, les résines, les transports, tout ce qui pouvait être fait par les…
Intervenant 2
Et alors, ce qu’il faut bien voir c'est qu’au 19ème, enfin, fin 19ème, début 20ème, même si on a des discussions serrées avec le propriétaire, le propriétaire est présent. Le propriétaire, il est sur ses terres. Il les travaille, il les exploite.
Laurent Me Descoubes
Il s’est créé, à ce moment là, une bourgeoisie de gros propriétaires. Il n’était pas rare de voir des 200, 300, 1000 hectares. Une fortune, qui existe encore, qui ne sont pas toutes constituées dans la commune de Sore, mais dans les alentours.
Intervenant 2
Plus tard, on aura des discussions avec un régisseur. Plus tard, la forêt deviendra une sorte d’enjeu en matière économique. Et là, le gemmeur, lui, s’organisera en syndicat et discutera avec des représentants des syndicats des sylviculteurs.
Intervenant 1
Quand moi j’étais ouvrier, les syndicats existaient déjà. Et, ici, dans la région, c’est, à peu près, en 1906, qu’ils se sont formés. Et ce fut une époque brave, si on peut dire. Il y a eu des combats et même des occupations d’usines. Pour nous, notre usine c’était la forêt. On était les patrons. Et on a souvent enfermé les propriétaires dans la salle de la mairie. Dans beaucoup de communes, cela s’est passé comme cela.
Journaliste
Et c’était de quel ordre leur revendication ?
Laurent Me Descoubes
Ah, mais, c’était, cela portait surtout sur le partage de la résine. Le partage de la résine se faisait à moitié, c'est-à-dire on récoltait 100 litres, c'est-à-dire, la valeur de 100 litres de résine. Le propriétaire touchait l’argent, les cours variaient suivant les usines.
(Musique)
Marcel Ducos
En 1926, c’était l’année de l’âge d’or. La moitié d’une barrique de résine valait 776 francs, pour le métayer. Elle avait été à 906. C’était pour la 4ème amasse.
Journaliste
C’était vraiment la richesse ?
Marcel Ducos
Oui, tout le monde a amélioré son mode de vie, à ce moment là, dans les Landes.
Laurent Me Descoubes
Cette période de prospérité est venue des suites de la guerre 14-18, la reconstruction, les bois, les régions dévastées. Soit en France, soit dans le Nord, soit dans l’Est. Et tout cela, alors, automatiquement, les besoins des dérivés de la résine. Tout cela ont fait que le prix de la résine a augmenté dans des proportions très importantes. Je ne peux pas vous dire de chiffres exacts parce que je ne les ai pas à présents à l’esprit, mais, la période, … mais, malheureusement, cette période n’a duré que 2 ans, 2 ans et demi.
Marcel Ducos
Mais, cela n’a pas duré très longtemps. En 1931, nous voyons que le prix d'une barrique de résine était tombé à 196 francs. Puis, elle est tombée à 145. On avait l’impression qu’il y avait quand même quelques chinoiseries pour les adjudications que l’on faisait à la mairie. Il y avait des ententes si on veut. Il nous le semblait toujours à nous les résiniers. Oui.
(Musique)
Inconnu 2
Elle leur a apporté beaucoup de richesses. Mais, le malheur veut, précisément, que cette monoculture, dès que la moindre crise intervient, c’est tout le pays qui est en crise.
(Musique)
Journaliste
1937, le syndicat des métayers et gemmeurs du Sud-Ouest revendique un statut de la profession. Un prix fixé pour la résine en début de campagne, la prise en charge des enfants par la sécurité sociale.
(Silence)
Journaliste
Pour obtenir gain de causes, les gemmeurs vont utiliser une technique du monde ouvrier, la grève. En février 37, les pins ne seront ni préparés, ni gemmés. La forêt va rester vide. La grève sera totale pendant plus d’un mois.
Laurent Me Descoubes
Ce qui a commencé à détériorer les relations c'est 1936. A ce moment là, on a créé des…, tout un tas de…, enfin, bon, je n’ai pas besoin de vous dire ce qui s’est passé en 36, le Front populaire. Cela a été le moment où il y a eu le commencement. Remarquez, cela a été l’exception. En général, même encore les relations sont en [incompris] des métayers. Les gens occupent les métairies, bien souvent, sans payer le loyer. Ils profitent des jardins, de l’airial. Et les relations sont excellentes. En général, le propriétaire ne demande même pas une location pour la maison, ou pour les granges. Le contact est excellent. En général, il y a, comme partout, il y a l’exception qui confirme la règle. Mais enfin, en général, les relations sont excellentes.
Intervenant 2
Après 37, donc, la reconnaissance du fait que le gemmeur soit un métayer sans cheptel, mais c’est un peu une astuce. Mais cela n’a pas résolu le problème. Et c’est pour cela qu’il y a eu des conflits encore pendant tout le temps où cette activité a existé.
Journaliste
C'est-à-dire ?
Intervenant 2
Eh bien, c'était justement, justement, c’est qu’on constate qu'aujourd'hui il reste moins de 300 gemmeurs. Et dans les années 60, il y avait encore des gemmeurs dans la forêt. Et actuellement, la forêt est vide d’hommes. Donc, cette activité, on peut se demander si on n’a pas vraiment sacrifié, on n’a pas vraiment tiré un trait dessus.
(Bruit)
Roger Lamaison
La résine a, bientôt, disparu, et vous savez sans doute la raison que notre production, enfin, au prix du pays, ne sont pas du tout compétitif. Enfin, certains pays, tels que la Grèce, le Portugal, la Chine sont susceptibles d’importer des produits au 2/3 de notre prix. Et c’est cela qui a progressivement fait faire l’abandon.
Laurent Me Descoubes
Alors, c’est fini la résine, étant donné le prix ridiculement,…. Ah non, il y a eu une autre cause, le prix de la résine n’est pas suffisant, mais, surtout, tous les jeunes, ceux qui ont quitté le résinier. Les gens sont partis, ils n’ont plus de travail. Ce qui fait que la population de Sore a diminué de plus de 50 %, dans l’espace de 5 ou 6 ans. Et ce qui vaut la dépopulation.
Journaliste
On ne pourrait plus les payer de toute façon ?
Laurent Me Descoubes
On pourrait les payer avec la résine actuelle. Il y a un format qui donne une certaine somme qui s’ajoute au prix de la résine. Je ne suis pas très au courant de la valeur. C’est un organisme d’Etat qui donne une subvention de quelques centaines de millions, pour les quelques résiniers qui restent. Mais, ici dans le pays, je ne connais qu’une famille de Portugais, qui exploite. Il n’y a qu’une seule famille et un seul propriétaire. Alors, ceux là, ils font de l’exploitation forcée, hein. Cela il faut voir les cares et les pins comment ils souffrent. Véritablement, hein.
(Silence)
Intervenant 1
Bon, cela m'a laissé un bon souvenir, si j’avais trouvé mon compte, j’aurais continué. Oui, vous savez, dans la forêt, nous étions libres. Quand il faisait trop chaud, et bien, on arrêtait un peu. On restait dans la cabane.
Journaliste
Est-ce qu’on se sentait…, est ce que vous vous sentiez, un petit peu propriétaire de la forêt que vous exploitiez ?
Intervenant 1
Ah, nous l’aimions, oui, oh cela, la forêt, nous l’aimions. Elle n’était pas à nous, mais s’il y avait le feu, tout le monde partait. Ah, oui, cela, c’est sûr.
(Musique)
Journaliste
De 1943 à 1949, les grandes incendies, qui vont détruire, par endroit, 85 à 90% de la forêt, vont accentuer cet exode économique.
(Musique)
Journaliste
La forêt et sa résine avait exclu les agriculteurs de jadis. Elle n’a plus besoin de ses métayers-gemmeurs. Elle reste en tête à tête avec ses propriétaires.
(Musique)
Roger Sournet
Ce qui n’empêche que celui qui aime la forêt fera [incompris], parce que c’est une valeur sûr quand même. Seulement, c’est trop long, cela ne paye pas, le commerce, maintenant, vous voyez, quand même, cela fait une planche avant. Elle a de la valeur, une planche. Mais, quand elle est taillée.
(Bruit)
Roger Sournet
Et cela coûte ce conditionnement. Sachant que les ouvriers ne veulent plus travailler, comme autrefois, pour rien. On ne fait plus travailler les gens pour rien. Et au contraire, il faut les payer de plus en plus. Et ce qui fait que, maintenant, nous sommes les propriétaires de bois en forêt. Vous ne trouverez aucun qui soit optimiste.
Laurent Me Descoubes
Oui, nous vivons avec notre forêt. Et quand le feu passait, souvent je pleurais de rage. Je disais en famille : "je liquide tout. Je n’en veux plus. C’est fini." 2 jours après, on repartait, et on remettait cela. C’est cela le propriétaire, le vrai de vrai.
Roger Sournet
Ah, la forêt brulait. Moi… les gens qui viennent, c’est ennuyeux, c’est monotone, on ne voit que des pins. Et moi, je trouve que c’est le contraire. Moi, je suis en connaissance. Je jette l'oeil partout, je dis : oh la, que c’est bien tenu, là. Là, que les bois sont beaux, qu’ils sont bien préparés. Là, elle me plaît cette forêt. Il mérite d’avoir de la forêt , il ne mérite pas celui d’avoir de la forêt parce qu’il ne la travaille pas comme il le faut. C’est un âne, il ne comprend rien. Il ne peut pas faire des [incompris]. Et non, la forêt, je l’aime parce que je les trouve un peu… cela fait partie de…, comme dans le temps où j’avais des brebis, c’était pareil. La forêt, c’est ma chose à moi. Je ne suis jamais rassasié de me promener en forêt.
(Musique)
Inconnu 3
Ces mythes, vous savez, le berger landais, les [transhumances] qui n’ont jamais existé. Les immenses déserts qui n’ont jamais été habités. Au fond, cela nous rendait la vie facile, nous étions un peu à l’abri des perquisitions. Et à l’abri de vous, par exemple.
(Musique)