La forêt landaise

18 novembre 1967
40m 54s
Réf. 00308

Notice

Résumé :

Dans ce numéro de la célèbre émission Les conteurs, André Voisin part dans les Landes à la rencontre d'André Dussel. Ce Gascon, pour qui le grand Nord commence au-delà de la Garonne, nous parle des Landes, de leurs paysages et des habitants qui les peuplent, de leurs traditions et de leurs croyances.

Type de média :
Date de diffusion :
18 novembre 1967
Personnalité(s) :

Éclairage

André Dussel (1909-1974), "né du choc d'un père et d'une vigne", est un conteur gascon doublé d'un fin critique gastronomique. À partir de 1960, ce commerçant montois produit quelques articles d'une verve "au panache éclatant, plaçant en virtuose l'anecdote significative", selon l'expression de Georges Dubos [1]. En 1964, il obtient le prix littéraire de la ville de Mont-de-Marsan pour ses Contes de la Midouze qui manifestent son amour et sa connaissance du terroir.

De la Gascogne et de son âme, il sait tout et, en cette année 1967 où André Voisin, "de la Télévision", vient le rencontrer, il évoque un pays qui s'apprête à basculer vers la "modernité"; l'écomusée de Marquèze, à Sabres, est en gestation mais la Lande historique vit encore.

L'airial, évoqué en début de séquence, demeure, en maints endroits, la structure fondamentale du paysage humanisé, hors des bourgs, où les générations les plus âgées pérennisent une quasi-autarcie. Même si se mêlent à son récit des clichés de jadis, comme la passada [2], André Dussel évoque les caractéristiques immuables de ce "pays" atypique fait de vastitude, de solitude et de silences. La richesse s'y évalue toujours en nombre de porcs, illustrant la relation sémantique très ancienne, dans la plupart des civilisations, entre l'importance du cheptel et l'aisance, ce que traduit parfaitement l'adjectif français "pécuniaire", tiré du latin pecus, "troupeau".

Le portrait qui est fait ici du Gascon, s'éloigne des clichés [3] ; tout y est vrai, analysé avec finesse. Qu'il s'agisse des subtilités des rapports humains, des traditions et croyances, de la variété des milieux partagés entre le monde du pinhadar [4] et les coteaux opulents du Bas Armagnac, tout est dit.

Et le conteur d'évoquer le pouvoir d'adaptation des Landais passés d'une économie agro-pastorale traditionnelle à la sylviculture ; de forcer, tout au long de ses propos, sur l'apostrophe récurrente "Monsieur", soulignant l'importance des prémices d'une relation nouvelle ; d'insister sur la pudeur naturelle mais de reconnaître aussi la faconde et l'humour qui atténuent le portrait austère de ses compatriotes d'en deçà de Garonne : "Nous racontons toujours des histoires" est la phrase de transition qui annonce le passage du propos du chroniqueur historique à celui du conteur.

Tous les Landais l'assurent effectivement : les sorcières, se substituant aux Parques, se sont toujours mêlées du sort des hommes et, en ce début de XXIe siècle, courent encore dans la Lande des histoires d'oreillers et de matelas dans lesquels plumes et bourre de laine forment croix et couronnes annonçant un décès imminent [5]. À Biscarrosse, tout le monde connaît par cœur la légende du vieil orme qui renvoie au rapport ambigu entre l'Histoire de France officielle et l'Histoire de la Gascogne étroitement liée à celle de l'Angleterre [6].

Mais si le Gascon, porteur de béret, conte et raconte à l'envie, il ne se livre pas vraiment : "Nous ne montrons pas ce que nous avons", rappelle André Dussel expliquant, sans le savoir, la notion de "désert landais" qui a longtemps prévalu chez les historiens et les professionnels du tourisme qui ne jurent alors que par la côte. Ne faut-il pas, en effet, attendre les premiers travaux du Conseil scientifique du Parc naturel régional des Landes de Gascogne, au début des années 1980, pour admettre enfin que ce pays a un passé très ancien ? Et les vestiges du Néolithique, voire du Paléolithique, de s'exhumer dans le cadre de programmes pluridisciplinaires valorisant le patrimoine culturel, architectural ou linguistique du pays. Autant de richesses connues en partie par les autochtones et que l'on découvre depuis que la conservation du patrimoine est érigée en culte pour le bonheur de tous.

Mais la conservation du patrimoine passe par la mémoire collective. Ainsi faut-il transmettre ce que fut le travail du résinier, capable de gemmer 1800 pins par jour, le rituel de la dégustation de l'ortolan [7] dont la capture est aujourd'hui interdite, les techniques de la chasse à la palombe et de la distillation de l'armagnac. Évoquant ces choses-là, le conteur devient emphatique, soulignant que cette terre rappelle toujours ses enfants qui tiennent tous à y "laisser une trace".

Car le Landais est patient, opiniâtre ; l'ingratitude du sol, le rythme de croissance de la forêt, rentable seulement à la seconde génération, ne l'arrêtent pas. Il a appris à attendre, le courage l'anime. Il persiste, replante après les années de braise qui détruisent des milliers d'hectares dans les années 1940, replante encore après le souffle monstrueux de la tempête Martin en 1999 et de l'ouragan Klaus en 2009. Mais si André Dussel sait que le vent est le pire ennemi, il n'aura pu donner ces derniers épisodes en exemple. Et c'est tant mieux !

[1] Célèbre chroniqueur et critique taurin au journal Sud Ouest, de 1950 à 1980.

[2] Mot gascon, dérivé du verbe passar, "passer". Il traduit le passage du cortège de la mariée bien décrit dans Le mariage et la famille en Gascogne (1916-1930) de l'abbé Césaire Daugé.

[3] Les dictionnaires français donnent comme synonymes de l'adjectif "gascon", menteur, hâbleur, fanfaron.

[4] Mot gascon signifiant "forêt de pins".

[5] Les trois Parques, dans la mythologie latine, présidaient au destin de chacun, de la naissance à la mort. Coïncidence ? Elles sont souvent représentées portant sur la tête une couronne de gros flocons de laine...

[6] La bataille de Castillon, en Gironde, signe en 1453, une victoire pour le roi de France Charles VII, mais constitue une défaite des Anglo-Gascons, unis depuis trois siècles aux côtés des Plantagenêts.

[7] Ce mot gascon qui désigne le bruant jardinier est effectivement dérivé du latin hortus, "jardin".

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Musique)
André Dussel
Au départ, on commence par raser les pins à l’endroit où l’on veut se mettre, on plante des chaînes qui donneront des glands aux cochons, qui donneront l’ombrage, aux enfants, …. Et alors, après la clairière, parce qu’on aime bien l’espace chez nous. Nous sommes des pays de vastes perspectives, de grands espaces. Nous ne sommes pas nus comme à la mer. Il faut quelque chose qui nous meuble l’œil. C’est la forêt. Mais, il faut être fou pour monter sa maison en pleine forêt, sans avoir abattu les arbres autour à cause du feu. Et puis, autrefois, ce que l’on appelait la borde, la métairie, avait son existence parfaitement autonome. Les gens vivaient sur leur basse-cour, vous l’avez autour de vous, ils vivaient leur champ de maïs, il est là-bas, ils vivaient leur champ de blé, il est là-bas, il y a certainement un lopin de vigne dans un coin. Cela fait qu’une métairie des Landes peut tenir le siège, tant et plus. Il y a la forêt autour qui vous fournit les cuissots de chevreuils, qui vous fournit le sanglier, qui vous fournit tout le petit gibier à plume. En plus de cela, vous avez, là-bas, le cochon, "lou noble" comme on dit ici, parce que nous sommes un petit peu démocrates [incompris], n’est-ce pas. Le cochon s’appelle le noble. Et, on l’appelle souvent du nom de l’ennemi numéro 1. Par exemple, les cochons se sont appelés Hitler, se sont appelés Kaiser. Ou bien selon la nuance politique de l’habitant, n’est-ce pas, on appelle le cochon d’un nom innommable. Et, il y a là, voyez vous, quelque chose de contradictoire parce que si vous allez dans une maison sans demander des nouvelles des cochons, vous êtes un mal élevé. Parce que, toute la fortune du pays réside sur le cochon. Et vous comptez la fortune d’un paysan landais au nombre de jambons qui pendent à la poutre.
Journaliste
Qu’est-ce qu’on appelle la grande Lande ?
André Dussel
C’est la grande région forestière que nous appelons, nous, les Landes du silence. C’est la véritable mer de pins. Voyez-vous, vous avez des voisins qui sont …, les plus proches sont à 4 à 5 kilomètres quelquefois. Alors, on vous parle quelquefois du téléphone arabe, mais il faut bien que ces gens là communiquent. Alors, ils communiquent en mettant les mains en porte-voix et par des sortes de sons, de cris très perçants, les femmes surtout, n’est-ce pas. Alors, c’est ainsi que de maison en maison, on arrive à alerter le docteur, ou le vétérinaire parce que, attention, le vétérinaire a beaucoup plus d’importance que le docteur, monsieur. Un cochon, une vache, cela c’est quelque chose dans la vie d’un homme. Alors, on se dit comme cela les nouvelles, n’est-ce pas. C’est le téléphone landais si vous voulez. Il y a une chose très amusante, c’est lorsque, autrefois, lorsqu’on ne savait pas ce que c’était les voi…, les autos, il y avait les noces. Alors, les [noces] se promenaient en ce que nous appelons, le [brosse], c'est-à-dire, la voiture, lourd char à bœufs ou à mules. Mais [la noce] chantait. Alors, ce sont des chants très longs, n’est-ce pas, après des finales très longues... "Tiens, une noce qui passe ! Ah, mais c’est le gentil de la [incompris] ! Et oui, il épouse la [gaioule]. Ah, d’accord." Alors, vite, vite ! On allait chercher ce que l’on appelle lou [incompris], c'est-à-dire la bouteille de [Saint Chopine], le vin blanc, n’est-ce pas, et on faisait la passade. C'est-à-dire que sur le passage de la noce, le maître de la maison servait à boire. Ah, dans un seul verre, bien entendu, mais, monsieur, nous n’avons personne de malade dans le pays.
Journaliste
Et vous m’appelez "monsieur", c’est un usage ?
André Dussel
Je suis désolé, monsieur, mais …, excusez-moi, j’ai pour vous de la sympathie. Vous êtes pour moi le monsieur, n’est-ce pas ? C’est que, voyez vous, il y a, si vous voulez, un espèce de thermomètre des relations. C’est Napoléon 3, n’est-ce pas, qui a implanté la forêt de Gascogne. Alors, autrefois, n’est-ce pas, quand ce n’était que des sables, des lagunes, avec quelques maigres bosquets, les Landais étaient, avant tout, des pasteurs de moutons. Et puis, après cela, on a implanté la forêt. Alors, le Landais s’est adapté à sa nouvelle existence. Il est devenu forestier. Il a fallu quand même que le siècle actuel pour qu’on se décide à appeler les Landes d’une façon technique, on les appelle les Landes de Gascogne, ce n’est pas moi qui l’ai inventé. La bonne preuve que nous sommes Gascons, c’est que nous racontons toujours des histoires. Nous n’avons ni lieu ni temps, n’est-ce pas. Si nous avons envie de raconter une histoire, le tonnerre de Dieu lui-même ne nous empêchera pas de la raconter, où que cela se passe. Maintenant, ce que nous aimons bien c'est …, maintenant, c’est la saison, et bien, un verre d’un très beau bas armagnac, je vous jure, monsieur, que cela se trouve. Une belle flambée dans la cheminé, là, on est bien. On fait le vide dans son esprit, adieu les soucis, on les retrouvera demain. Alors là, entre bon camarades, n’est-ce pas, on déguste l’armagnac parce que pour boire 2 ou 3 centimètres d’armagnac, monsieur, un honnête homme met au moins une heure, et davantage. C’est tout le pays qui est là-dedans. Pour faire de l’armagnac, monsieur, il faut d’abord, avoir une vigne, vigne de Pic-poule, c'est pas mauvais. Le meilleur de tout les armagnacs est incontestablement distillé avec des vins rouges. Mais il est interdit par l’administration. Pour quelle raison ? Je vous le demande. Elle a peut-être ces raisons qui ne sont pas les miennes. Alors, quand le vin est tiré, quand il est en fût, le bouilleur de cru arrive. C’est une espèce de mi-sorcier, c’est un gars qui a des secrets. On lui a préparé les fagots d'acacia, il a tout ses ustensiles et tout cela, il s’enferme tout seul avec son aide dans la distillerie, et il n’y a que lui qui y touche, au feu. Alors, de temps en temps, il se met sous l'alambic et il goûte. "Force le feu petit !" Il faut forcer le feu. "Ralentis le feu !" Auparavant, il a pris un verre de vin. Il a dit, voilà, ben, je vais vous faire tant de litres à l’hecto. Oh ! Vous ne pouvez pas en faire un plus ? Si, mais alors... bon. Alors, c’est lui qui fini par avoir raison. Cet armagnac là est ensuite mis dans un fût de chêne du pays. Et alors, malheureusement, le métier de tonnelier se perd. Le fût est fabriqué en douve éclatée, c'est-à-dire qu’il ne faut pas trancher, il ne faut pas trancher à coup hache dans la douve, n’est-ce pas. Il faut l’éclater, ensuite la galber au feu. Voyez, c’est un travail, passionnant, certainement. Et alors, on laisse l’armagnac là vieillir. Mais, l’armagnac est une chose vivante. Il faut que l’armagnac respire. Il respire par les pores du chêne. Il respire aussi par cette espèce de poumon qu’on lui a laissé, n’est-ce pas. On ne remplit jamais une bouteille d’armagnac, on laisse un matelas d’air pour que l’armagnac puisse respirer. Et, évidemment, comme c’est un liquide, il finit par s’évaporer. Alors, on ouille. 2 systèmes : On remplace, on renouvelle le niveau, soit avec de l’armagnac du même cru et de la même année, soit, quand on en a plus, pour les armagnacs très vieux, avec des cailloux bien propres. Mais il ne faut pas que le poumon soit trop important. Et alors, voyez vous, monsieur, le progrès s’en est mêlé, figurez vous. On trouve peu de tonneliers, parce qu’il parait qu’ils sont mal payés et les apprentis sont rares. Alors, on a eu l’idée de fabriquer les cuves en verre vitrifié. J’aime autant vous dire que l’armagnac s’est refusé, obstinément, de vieillir dans une saloperie pareille, n’est-ce pas. Alors, on a retourné la question, on lui a mis à sucer du bois de chêne pour lui permettre de vieillir puisqu’il ne veut pas vieillir dans le verre. Alors, au lieu de mettre l’armagnac dans du chêne, ces misérables ont mis du chêne dans l’armagnac. Mais cela, ça n'atteindra jamais cette beauté.
Intervenant 1
Il y a eu ici, un jour, une vieille femme qui vient me trouver et qui me dit, "Ouh, vous avez marié une bien méchante fille". Et je lui dis pourquoi enfin. "Ouh, elle m’a tant voulu de mal. Mais, je vais l’attraper. Je vais me venger". J’ai dit : "qu’est-ce que vous allez faire ?" "Je vais lui jeter un sort". "Et qu’est-ce que vous allez faire ? Vous êtes incapable de jeter un sort, ne me raconter pas d’histoire". "Je vais limer de ma poudre d’ongle et quand elle va sortir après la bénédiction, je vais souffler sur son passage et elle aura ce qu’elle aura mérité". Et je lui dis : "Pauvre femme, soufflez, soufflez". C’est une croyance.
André Dussel
Une autre croyance quand on suppose qu’il y a un sorcier ou une sorcière dans le village, si à la fin de la messe, le prêtre ne referme pas l’évangile, le sorcier ne peut plus sortir à l’église. Il y avait un capucin, il est encore des capucins à Mont-de-Marsan, dont un qui était exorciste. Et à tout coup, n’est-ce pas, il faisait défaire l’oreiller ou la couette, n’est-ce pas. Et l’on trouvait là, soit l’oiseau de mort, spontanément, les plumes s’entrelacent de façon à former un oiseau ; et quand l’oiseau est terminé, le sujet meurt. Ou bien une couronne, ou bien une croix. Et si je me souviens bien, je l’ai vu. Figurez-vous qu’à l’époque de l’invasion anglaise, lorsque le Prince noir, de célèbre mémoire, a été vice roi d’Aquitaine, a été nommé vice roi d’Aquitaine, il s’est ému, à juste titre parait-il, de l’inconduite des dames du Pays de Born. Alors, il a fait savoir, il a fait assavoir à son de trompe et d'affiches que toute dame ou demoiselle peccatrice, surprise en flagrant délit, serait exposée sans voile et sur une futaille contre l'ormeau de Biscarrosse. Mais, vous savez ce que c’est que les petits pays, la médisance, les jaloux, etc. Il y avait une fille belle et jolie qui a été accusée, justement, d’avoir péché. Alors, on traine la malheureuse sur la place publique, à son de trompe, on la dénude complètement, on la hisse sur une futaille, sans voile contre l'ormeau. Et aussitôt, à hauteur de sa tête, s’est fixé dans l'ormeau, naquit, spontanément, une couronne blanche, une couronne de fleurs blanches. Bien sûr, il a quelques centaines d’années de cette histoire-là, 400 ans peut-être. Et on pourrait accuser les gens d’avoir inventé l’histoire si la couronne n'y était toujours et ne refleurissait au printemps, et ne se fanait, en fin d’été, d’une façon à laisser quand même suffisamment de traces pour qu'en toute saison vous puissiez vérifier le fait. Alors, un jour, la municipalité de Biscarrosse tombe entre des mains d’esprits forts. Des gens, vous savez, les légendes, tout cela, cela ne marche pas. Enfin, bon. Alors, en bons scientifiques, d’autant plus que l’un d’eux était pharmacien et que Dieu veuille le pardonner, non pas d’être pharmacien mais d’être esprit fort ; il a fait un prélèvement, comme ils disent. C’est-à-dire qu’il a cueilli quelques follicules de la couronne, et l’a envoyé à l’institut pour faire une analyse. L’institut, qui a toujours quelque chose à dire, a conclu à un phénomène de nanisme accompagné d’une carence chlorophyllienne. Mais vous n’avez pas un indigène du pays qui vous montrera la couronne parce que, pour eux, paf, mais oui, cela y est, vous n’avez qu’à le regarder. Et cela aussi, c’est typiquement gascon. Nous ne montrons pas ce que nous avons. C’est aux gens de le voir et de le découvrir. Il faut aller à Biscarrosse, et surtout, ne pas partir sans voir l'ormeau. Mais l'ormeau ne va pas se jeter à la tête des gens. Et, il n’y a pas tellement longtemps, voyez-vous, le béret avait encore une signification. Dans cet immense pays, qui porte le béret, depuis le fin fond du Pays basque espagnol jusqu’à [Ager], vous vous rendez compte. Cela fait du monde qui porte le béret. Comment se reconnaitre ? Et bien, on se reconnaissait à la grandeur du béret et la façon de porter le béret. Par exemple, en pays d’Albret, puisque nous sommes un pays d’Albret, on porte le béret relativement petit et en [couic] sur le devant. Cela nous sert à tout. D’abord, pour nous couvrir, bien sûr, nous protéger du soleil, nous protéger de la pluie. Maintenant que nous sommes en automobile, cela nous sert aussi à essuyer les glaces. Si nous trouvons une source trop basse, nous nous servons du béret pour boire, on le retourne à l’envers, on le remplit d’eau et on boit dedans. J’ai attrapé des alevins avec le béret. J’ai fait toutes sortes de chose avec le béret. Le maitre de maison ne se découvre jamais, sauf quand il rentre à l’église, quelquefois en parlant au curé s'il n'est pas anticlérical. Mais, c’est tout. Et cela, cela vient d’un vieux privilège qui a été accordé à ces hommes par Jeanne d’Albret, qui pour les remercier de leur fidélité, leur a accordé le privilège de rester couvert, même devant elle. Ils étaient tellement fiers qu’ils restaient couverts même quand Jeanne d’Albret n’était pas là. Pour moi le Nord, le grand Nord, commence dès que j’ai passé la Garonne. Je ne suis pas à mon aise, je ne suis pas chez moi, je ne comprends pas. On me sert une gastronomie qui n’est pas la mienne. Ou alors, le [va-tout] n’est-ce pas, le bifteck frites et les trucs comme cela qui ne m’intéressent absolument pas. Voyez-vous, je suis perdu parce qu’il n’y a pas, chez les gens, une résonnance que j’attends d’eux ; la peur de la mort, [incompris], course landaise. Vous ne savez pas ce que c’est une vache landaise.
Journaliste
J’en ai vu.
André Dussel
Oui, si peu ! Si peu et si mal. Et bien, vous êtes absolument désarmé devant la vache. Parce que la vache, elle, reste intouchée. Elle ne risque rien. Et les vaches les plus meurtrières, ont des têtes d'affiche à faire palir Brigitte Bardot. Elles font le plein des arènes. Ce sont des vedettes, vedettes meurtrières. J’ai connu des vaches qui ont tué deux hommes, trois hommes. Alors, vous allez vous présenter devant cette bête. Si vous réussissez l’écart, c’est le triomphe, mais, si vous ratez l’écart, c’est l’hôpital. Et les gens, ils reviennent. Vous avez des gens comme le pauvre [Giret]. Il a été cousu et recousu combien de fois. Bon, l’histoire du photographe appelé pour photographier le mort, il arrive avec son [pieu] au milieu de la nuit parce que le pauvre toubib qui, pour soulager ces pauvres femmes, ne savait que faire, il dit "Ecoutez ! Photographiez-le puisqu’il est si beau. Faites le photographier". Alors le toubib va vite chercher le vieux photographe, le photographe qui était d’ancien temps, arrive avec son ustensile, vous voyez, n’est-ce pas, recouvert du drap noir et puis, il sort de là-dessous, il tient la poire et dit : "Attention ne bougeons plus !" C'est tout juste s'il n’a pas dit "souriez". Non mais, monsieur, vous pourriez croire, parce que nous plaisantons sur tout, que nous n’avons pas de souci. N’en croyez pas un mot. Nous avons des soucis, exactement comme les autres. Je n’ose pas dire plus, je ne connais pas les leurs. Mais, c’est une forme de pudeur. Vous avez des hommes, comme vous et moi, qui partent le matin, quelque fois avant la pointe du jour, et qui ne retrouveront leur maison et société humaine qu’à la tombée du soleil, que la nuit tombée. Toute la journée, le résinier résine, seul, seul, tout seul. Alors, quelquefois, ce silence qui dure des semaines, des semaines, des semaines, il est à peine tranché quand il rentre à la maison ; il mange sa soupe en silence, crevé de fatigue, et se jette sur sa paillasse. Il n’a rien dit. Alors, quelquefois, ne vous étonnez pas si, en forêt, vous entendiez le chant, un chant de tête, en voix suraigüe. C’est le résinier. Le résinier qui chante, il chante parce qu’il sait qu’aussi éloigner que soit son premier voisin, ce chant tombera, quand même, dans une oreille humaine. Alors, pour lui, n'est-ce-pas, ça lui sert de soutien. Notez bien que si vous demandez, à ce moment là, au résinier, pourquoi il chante, il ne vous répondra pas parce que vous auriez l’air de violer une part de son âme et cela, il n’y tient pas du tout.
(Musique)
Intervenant 2
Vous faites compagnie du travail. C’est cela qui vous entraine, voyez-vous. Ah, j'allais pas faire ça, je dis il faut activer un peu plus ou un peu moins, cela dépend. Oh non, c’est …, vous êtes bien dans la [nuit] tout seul. Moi, j’étais bien, tout seul sur le …. Le travail me faisait compagnie. On ramassait tous les mois. En 6 mois, vous avez fait la campagne. Il faut 8 mois fois après pour nettoyer la care, le [barrasquage], tout cela.
Journaliste
Mais vous, vous êtes résinier depuis combien de temps ?
Intervenant 2
Oh ! Depuis l’âge de 16 ans. Bof, même avant. 14 ou 15, parce qu’on n’allait pas à l’école jusqu’à 14 ans à ce moment.
Journaliste
Jusqu’à quel âge ?
Intervenant 2
Oh ! 11 ans, moi, j’y suis été. Après, j’ai commencé à travailler avec mon pauvre père dans les bois, comme cela.
Journaliste
Et vous faisiez combien d’arbres par jour ?
Intervenant 2
On en faisait …. Cela dépend, cela dépend des cares qu’il y avait. S’il n’y avait qu’une care, vous en faisiez 1800. Autrement, à 2 cares par pin, 1400, 1500 par jour.
Journaliste
1400 ou 1500 pins par jour ?
Intervenant 2
Oui !
Journaliste
Et bien !
Intervenant 2
Comme cela, on partait le matin de bonne heure, avec le pain et …, à manger pour la journée quoi, dans le sac. Vous comprenez ? On mangeait sur le tas, enfin, il y avait une petite cabane en brandes on mangeait là. Et puis, on faisait un peu de sieste et on repartait [incompris] jusqu’à la nuit. Cela, un arbre, c’est la vie d’un résinier cela. Autrefois… à présent cela ne paye pas, mais autrefois, cela rapportait. Tout le monde s’y intéressait, vous savez, au gemmage.
Intervenant 3
Nous sommes au cœur de la lande ici, vraiment au cœur. Voyez, nous sommes à 50, 65 km de Mont-de-Marsan, n’est-ce pas ; 55 km de Bordeaux. Nous sommes bien centrés. On peut appeler la Grande Lande.
Intervenant 4
La forêt vraiment commence là. Vous avez ici un cône, et la graine, cette cupule que vous voyez au bout de ce jeune semi est issue d’un cône absolument comme celui-ci. Au printemps, cet arbre, naissant, a un jour, à peu près. Et à cette taille, il a déjà une implantation très importante. Vous voyez, un sujet analogue qui vient d’être arraché et qui a à l’intérieur de ce sol qui est travaillé, au moins, 10 cm ou 12 alors qu’à l’extérieur, il a à peine 3 cm. Cet arbre, dans d’excellentes conditions et s’il n’existe aucune catastrophe dans 30 ou 35 ans, fera 1 mètre cube de bois.
Intervenant 5
Dans du bon terrain !
Intervenant 4
Dans du bon terrain, comme vous dites.
Journaliste
Et 1 mètre cube, c’est 16 mètres ?
Intervenant 4
C’est un arbre de 1 mètre 10 à 1mètre 15 de circonférence et de 16 à 17 mètres de hauteur.
Journaliste
C’est cela 1 mètre cube ?
Intervenant 4
Voilà, 1 mètre cube de bois sur pied.
Journaliste
Et alors, il faut attendre donc ?
Intervenant 5
Il faut attendre dans le bon terrain, n’est-ce pas, une trentaine d’années pour avoir un bois de 1 mètre 15 de circonférence. Dans du terrain moyen, nous attendons, patiemment, 50 ans. Et dans du mauvais terrain, on ne sait plus combien il faut attendre parce qu’on a intérêt, même, à le vendre si on pouvait le vendre. 58 a été une très bonne année pour les semis de pin. Vous avez des années catastrophiques pour les semis. Certains printemps, n’est-ce pas, vous... nous semons et il faut recommencer en automne. Soit qu’il y ait eu trop d’eau, soit que la graine, n’est-ce pas, n’ait pas bien germé. Alors, à ce moment là, c’est une année de perdue ou à peu près.
Journaliste
Mais il y a tout de même des plaisirs. La chasse, vous qui êtes chasseur, c’est votre grand plaisir ?
Intervenant 6
Ah ben, c’est le passe-temps principal quoi, en principe, parce que nous restons, d’habitude, tout le temps dans nos coins, surtout en hiver.
Intervenant 5
Le mois d’octobre, c’est le mois sacré cela pour, aussi bien, pour l’ouvrier que pour le propriétaire ou l’industriel. C’est le mois où les usines ferment pour donner le congé, n’est-ce pas, de façon à permettre à tout le monde de chasser la palombe.
Journaliste
Alors comme cela, le rendement, on ne s’en occupe plus ?
Intervenant 5
Ah, le rendement tombe à 0. Exactement, on ne s’en occupe plus, on …. A ce moment là, l’industriel fait revoir ses machines qui ont travaillé toute l’année. Le propriétaire, lui, en profite quelquefois pour marquer ses pins quand il ne chasse pas la palombe. Autrement, tout le monde chasse. C’est très prenant comme chasse, surtout quand on la fait au filet. Il est évident, n’est-ce pas, quand vous avez un joli vol de palombes, que vous avez posé, n’est-ce pas, sur les arbres et que vous arrivez à les faire descendre sur le sol, cela, c’est extraordinaire. Parce que vous ne savez jamais ce que vous allez prendre. Peut-être une, peut-être vingt, peut-être aucune. Cela, c’est l’appeau que nous mettons, n’est-ce pas, sur cette raquette. Alors, nous le montons, ensuite, quand il sera en haut, nous l’agitons de façon à ce qu’il ressemble à ces palombes qui, sur les chênes, essayent d’attraper un gland. Alors, les congénères qui arrivent par vol, voient cette palombe qui volette et se disent : tiens, voilà une qui a trouvé de quoi manger sur ce chêne ; nous allons nous poser aussi.
Intervenant 6
On appelle cela glané !
Intervenant 5
On appelle cela glané. La palombe qui est sur le chêne en train d’attraper les glands, cela s’appelle glaner. Et maintenant, on devrait se taire et puis, tout doucement, s’en aller en haut de la tour pour pouvoir agiter cette palombe depuis le haut de la tour quand les vols arriveront. Normalement, il y a plusieurs passages dans la journée. On ne sait jamais quand arrive le vol. C’est pour cela que le chasseur a beaucoup de mérite. Il faut qu’il reste toute une journée à regarder le ciel en attendant ce vol.
André Dussel
Ah, les palombes. Le coiffeur raccroche ses ciseaux, le forgeron éteint la forge, le toubib dit "je suis à la palombière".
Intervenant 1
Dès que passe les premières palombes, le Landais sent le frisson. On prend le fusil, on arrête tout et à la palombière. Et alors, là, on passe, quelquefois, des heures à regarder le ciel, à regarder la cime des pins. Et pour, quand on est poète, mais les Landais le sont tous un peu, et ils regardent quand la palombe ne passe pas. Ils voient l’écureuil, ils regardent à droite, à gauche, le ciel bleu, les nuages qui passent et puis, tout d’un coup, les vols de palombes. Alors, là, le silence. Et, commence, avec des appeaux, à tirer, attirer le vol. C’est tout un art. Le vol passe, tournoie. Et à ce moment, on voit les gros chasseurs qui sont là, presque tremblants. On n’ose plus respirer, on n’ose plus respirer. Et enfin, le vol se pose. Deux choses, où il y en a beaucoup et, en effet, il faut les attraper au filet, ou bien elles sont éparpillées. Et, si elles sont éparpillées, chacun prend son fusil, doucement, suit les longs couloirs "On la tient ?" "Oui ! Et toi, tu la vois ?" "Oui". Et alors un, deux, trois, boum !
André Dussel
Tout part !
Intervenant 1
Tout part. Mais cela, c’est la vie. A partir du premier, du premier octobre jusqu’à la saint Luc, le grand truc.
André Dussel
Le grand truc. Vous savez le grand truc ?
Intervenant 1
Parce que c’est …. La légende veut que ce soit …, le jour de la saint Luc, c’est le jour où passent le plus de palombes. C’est vrai ou ce n’est pas vrai, mais, enfin, c’est la légende. Et il faut y croire. Et pas un Landais, véritablement paloumayre ne manquera sa saint Luc. Il y va, il en attrape ou il n’en attrape pas. Mais dans tout les cas, il revient content et il revient, presque, heureux d’avoir accompli un travail, d’avoir accompli sa mission.
Journaliste
Et l’ortolan ?
André Dussel
Ah ! Alors là. Alors, voyez-vous, monsieur, l’ortolan c'est un peu comme l’armagnac. Il faut y penser très longtemps avant de le manger. Il faut attraper l’ortolan, au passage du printemps, avec un piège que l’on appelle la matole, faire très attention que la bête ne soit pas blessée. Un ortolan blessé ne peut pas vivre en captivité. C’est fini. Quand vous avez pris votre ortolan bien vif, vous le mettez dans un endroit sombre, et dans une petite cage où il ne peut pas voler ni se déplacer. Et vous lui mettez, dans sa mangeoire, rien que du millet de Chalosse, du mil de Chalosse, rien que cela avec de l’eau. Il adore cela. Alors, il en mange, monsieur, et puis, s’ennuie ; alors, il mange, et puis s’ennuie, alors il mange …. Alors là, il attrape, mon cher toubib, tu le sais bien, il attrape une belle hypertrophie du foie qui s’appelle la cirrhose. Et alors, cela le …
Intervenant 1
Le tue.
André Dussel
Oui, alors, à ce moment là, il assimile même plus le millet. Et au lieu de faire de la graisse, il distille de l’huile de mil, donc il se gonfle au point de tripler de volume. Et puis, un beau jour, n’est-ce pas, il est sur son perchoir, il va claquer. Il n’a plus de foie, c’est fini, n’est-ce pas, il …. Alors, il s’ébouriffe les plumes, il prend la position d’un oiseau qui va mourir. Alors, là, on le prend, et on lui trempe le bec dans un verre d’armagnac. Oh, c’est qu’il n’aime pas cela du tout. Il rouspète, il proteste, il n’est pas content. Et puis, il goute et y réfléchit, il dit : hé, mais, c’est bon ce truc là. Et il se remet, de lui-même, le bec dans le verre, il ramasse une cuite tellement monumentale qu’il en crève. Alors, là, vous le plumez, n’est-ce pas, et cela y est. Il est prêt. Alors, il y a plusieurs façons de préparer l’ortolan mais je vais vous donner ma préférée. Vous faites une barquette de carton, vous mettez votre ortolan, un petit peu de poivre, un petit peu de sel, tout juste ce qu'il faut. Vous y mettez une noisette de beurre. Pas de ce beurre que l’on vous vend en papier d'étain, je vous en prie, du beurre fermier et du beurre, du beurre qui, …, oui, du beurre quoi, du vrai, du vrai. Bon. Et vous passez au four ; le four, il a fallu le tâter la main, n’est-ce pas, il ne faut pas qu’il soit ni trop chaud ni trop frais. Et alors, votre ortolan arrive à prendre une teinte ; oh, c’est un tour de main, un tour d’œil à prendre, n’est-ce pas, il ne faut pas qu’il soit trop cuit parce qu’il a … ça va être gaspillé et ni trop cru, il ne sera pas bon ; une teinte de pain mais pas doré. Mais le pain à peine cuit, voyez-vous. Et là, vous le servez, tout de suite, parce que sachez qu’en Gascogne, on ne fait attendre jamais la cuisinière. C’est nous qui attendons la cuisinière, la cuisinière nous attend jamais. Alors, le beurre continu à bouillir dans la cassolette. Votre ortolan est immangeable, il est brulant. Alors, vous le prenez par une patte, n’est-ce pas, et tout en continuant à causer, parce que chez nous, rien ne se passe en silence, vous lui faites faire ce mouvement. Je reconnais que pour des profanes, on ne doit pas avoir l’air très fin, chacun avait sa bestiole au bout du doigt, à monter, à descendre. On doit avoir l’air très bête mais cela, cela nous est égal. Et alors, il se forme, évidemment, une goutte au bout du bec. Alors, de temps en temps, on tâte la goutte sur la langue. Ah, c’est encore trop chaud. Et on y va, parce que, il faut tenir compte du fait que l’extérieur de la bestiole sera, peut-être, frais, mais l’intérieur sera encore brûlant. Voilà pourquoi, c’est un long apprentissage la dégustation de l'ortolan. Quand votre armagnac est à température, vous l’avez approché de votre joue, comme les anciennes repasseuses faisaient avec le fer, vous savez, autrefois, …
Journaliste
L’ortolan ?
André Dussel
L’ortolan, oui. Vous l’approchez à votre joue, n’est-ce pas, alors, là, il est à point, cela va, à peu près, cela va. Alors, vous coupez la tête, le cou, au ras des épaules, d’un coup de dent, puis vous posez cela c'est immangeable, n’est-ce pas. Vous retournez votre ortolan à l’envers, puis, vous le prenez par les épaules, et là, vous lui sucer le sot-l'y-laisse ; pour parler selon le dictionnaire, n’est-ce pas ; alors, tout doucement, tout doucement. Il y a des gens qui trouvent cela dégoutant, moi, je trouve cela ravissant. Alors, ce suc de mil, qui a ce goût de noisette, plus ou moins mitigé, de foie gras, c’est quelque chose d’exceptionnel, auparavant, bien entendu, vous êtes tapissé le palais, du bon médoc qui va accompagner la bête. C'est entendu, il faut enlever tout les rebus de ce que vous avez mangé précédemment. Et alors, vous sucer votre mil, c’est bon, c’est bon, mais votre bestiole diminue, elle se dégonfle. Et alors, lorsque l'onguent de mil ne vient plus, votre ortolan peut alors entrer dans la bouche. Alors, vous le mettez dans la bouche, n’est-ce pas, et vous vous voilez la face avec votre serviette, en bouchant bien les écoutilles. Il vous faut, en effet, l’obscurité et le silence. Il faut que vous soyez seul avec l’ortolan. Alors, encore une fois, supposez que l’étranger rentre dans une salle où, vous voyez toutes ces espèces de Ku Klux Klan, n'es-ce-pas, sous les serviettes, ça doit avoir une gueule terrible, évidemment. Nous, nous trouvons cela normal. Mais, c’est extrêmement bon. Alors là vous malaxez avec la langue, n’est-ce pas, et avec les dents vous malaxez cette bestiole, de temps en temps, parce que vous êtes un petit délicat, vous retirez un embryon d’os, n’est-ce pas, c’est très bon. Et alors, la bouteille de Medoc n'est pas loin, n’est-ce pas, c’est tout à fait très bien. Dès que vous avez posé votre verre, un autre ortolan qui était en train de cuire, arrive. Et vous recommencez l’opération. Voyez-vous, maintenant, on est à l’économie. C’est une bestiole qui doit coûter, dans le commerce, arrivée sur table, je ne sais pas moi, sept ou huit cent francs. Alors, évidemment, ça réduit les frais. Alors, on essaie de lancer la mode, de servir un ortolan ou pas du tout. Mais que voulez vous qu’on foute d’un ortolan ? Je vous le demande un peu. Un ortolan, vous mettez juste, vous préparez le palais pour le second. Si après cela, il y en a plus, cela ne vaut pas le coût. Je ne vois pas d’endroit, monsieur, où l’on peut se trouver aussi bien. Aussi bien, pour la carcasse et aussi bien pour l’âme. Parce que cela nous va. Pensez, monsieur, que quand un enfant, vous voyez un enfant « oh, il y a longtemps que je ne l’ai pas vu celui-là. Quel âge a-t-il ? ». On vous répond froidement, il est né l’année de la neige. Et l'enfant est landais. Voyez-vous ? Quand il neige un peu plus que tout les 5 ou 6 ans, ici, c’est le scandale. Et on photographie vite la neige avant qu’elle ne fonde. Nous avons, par le petit bout, une douzaine de jours de grosses gelées par an. Et puis, c’est tout. Nos pluies, et bien, c’est une averse. Quand, par hasard, il pleut pendant 3 jours, attrapez le journal, l’Europe est sous l’eau. C’est l’inondation partout. C’est le désastre, la calamité. Je sais bien que l’esquimau trouve son pays le plus beau du monde. Pourquoi le Landais ne trouverait-il pas que son pays est le plus beau du monde ? Mais, l’esquimau, à sa défense, n’est jamais sorti de chez lui. Et quand il en est sorti, il n’est jamais revenu. Il n’est pas fou. Tandis que nous, nous sommes allés très loin, et nous revenons. Vous avez des gens qui sont partis faire fortune aux Amériques ou autres parts, qui ont même réussi à le faire et qui reviennent dans leurs Landes. Je crois que la grande terreur du Landais, ce serait d'être venu sur Terre sans savoir pourquoi, et d’en partir sans avoir laissé de traces : un arbre, une maison, des enfants, une œuvre, quelque chose. Et cela, je crois que tous nos Landais le font. La forêt est ravagée par le feu. On replante la forêt.
Intervenant 7
Il y a, je connais les équipes moi, ils étaient au moins une dizaine, par personne, 8 ou 10. Et bien, les équipes qui ont éteint des kilomètres de feu, monsieur, vous m’entendez. Il ne faut pas oublier la gourde parce qu’il faut boire un petit quand même, de temps en temps …
Journaliste
Oui
Intervenant 7
Mais pas trop. Et alors, la gourde, c’est très pratique parce qu’on ne boit pas trop, voyez-vous. Et alors, l’astuce, c’est d’y mettre un peu d’eau pour ne pas qu’on se saoule trop facilement.
Journaliste
Alors, il y a la gourde et la brande ?
Intervenant 7
Et la brande. Et nous tapons. Et non pas la brande mais le pignon.
Journaliste
C’est-à-dire ?
Intervenant 7
C’est-à-dire le jeune pin. Voilà ! Et on tape tous ensemble, même, il y en a qui chante en tapant. J’ai entendu cela. Depuis 1928, n’est-ce pas, que je combats les incendies, j’ai vu que quand le vent tournait, il fallait manœuvrer comme cela ou comme cela, n’est-ce pas. Et puis, il y avait les vieux bergers, qui ont été, pour moi, des professeurs remarquables. Moi, j’ai vu des bergers faire des incinérations, seuls, le soir, sans jamais laisser passer le feu, monsieur. Quand le feu arrive sur vous, à ce moment là, pour faire un contre-feu, il faut se mettre assez loin quand il y a beaucoup de vent. Et alors, le feu, il faut l’éteindre au fur et à mesure, n’est-ce pas, ne pas trop le laisser gagner parce qu’à ce moment là, cela ferait un second incendie. Et, il faut malgré tout qu’il rejoigne le premier après avoir brûlé une certaine surface. Parce que quand les deux feux se rencontrent, n’est-ce pas, à ce moment là, c’est très grave. Ils risquent de faire une grande étendue de feu. On ne sait jamais quand un feu prend, où il va s’arrêter, pour la raison suivante, on me disait autrefois, quand j’étais gosse : "Si tu mets une allumette en contact avec la [incompris] et que tu sois là, avec un verre d’eau, tu peux l’éteindre. Si ce feu fait 1m2, avec un sceau, tu n’es pas sûr de l’éteindre. Et si tu n’es pas assez près de ton feu, tu ne sais plus où il ira s’il y a du vent." Hors, le grand ennemi du forestier, c’est le vent ! Je crois que l'incendie de 43 a fait dans les 30 000 ou 35 000 hectares. Il est parti de la région de Bourideys pour aller, pour s’arrêter pas loin du bassin, Arcachon.
Journaliste
Alors, un forestier, en deux jours, peut voir …
Intervenant 7
A tout disparaitre !
Journaliste
Et qu’est-ce qu’on fait quand c’est comme cela ?
Intervenant 7
On recommence. Voilà !
(Musique)