Sorde des bords du gave

15 octobre 1972
25m 01s
Réf. 00500

Notice

Résumé :

Aux portes du pays d'Orthe, Sorde-l'Abbaye est au Moyen Âge une étape importante sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Située au bord du gave d'Oloron, le fleuve le plus poissonneux d'Europe qui devient vite le privilège du seigneur et de l'abbé, elle possède une longue tradition de braconnage que les anciens du village, pêcheurs et garde pêche, font revivre à travers leurs récits.

Type de média :
Date de diffusion :
15 octobre 1972

Éclairage

Sorde l'Abbaye (Sanctus Johannes de Sordua, XIe-XIIe s.), au cœur du pays d'Orthe [1], est un haut lieu de la Préhistoire et de l'Histoire landaises. Établie sur la rive droite du gave d'Oloron, juste en amont de sa confluence avec le gave de Pau, la vieille cité a fourni des vestiges du Paléolithique, au bas de la falaise et, à un niveau supérieur, des témoignages du Mésolithique et du Calcholithique. Les noms de Duruthy et Arambourou, qui ont apporté une large contribution à une meilleure connaissance du Magdalénien et de l'Azilien dans la région, sont intimement liés à ces lieux.

Située à un point stratégique, sur la voie romaine reliant Bordeaux à Saragosse, près de l'embranchement vers Lescar, Sorde est un centre important à l'époque romaine. En témoignent les lieux-dits "Barat de By" ou "Barat de Vin", altérations du gascon Barat de via, "fossé longeant une voie", mais aussi les substructions de l'imposante villa située sous et devant la maison des abbés. Un site particulièrement riche qui explique que l'abbaye Saint-Jean, situé sur la via turensis, soit inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO. Fondé au Xe siècle, ce centre religieux important, qui a fourni l'un des rares cartulaires landais, assure le renouveau de Sorde après les temps troublés de la fin du premier millénaire.

La cité médiévale évolue alors avec la fondation d'une "bastide" en 1290. C'est l'apogée avant la période noire des ravages commis par les protestants du prince d'Orange en 1523 et les troupes de Montgomery en 1570, quelques années avant le sac de la petite ville opéré par le duc de la Force en 1616.

Mais la vie, à Sorde, n'est pas figée dans les vieilles pierres. Le gave d'Oloron qui roule au pied de ses murs, anime et rythme toujours le quotidien. C'est là en effet, entre Cauneille et Oeyregave, que confluent le gave de Pau et celui d'Oloron : "un moment du fleuve". Sur une dizaine de kilomètres, baignant Peyrehorade et Orthevielle sur la rive droite, Hastingues sur la rive gauche, coulent alors les Gaves réunis. Venues des Pyrénées bigourdanes et béarnaises, les eaux qui se joignent à l'Adour au Bec du Gave, connaissent un étiage relatif de juillet à septembre et des hautes eaux d'avril à juin quand fondent les neiges des hauts massifs du côté de Gavarnie, de l'Ossau ou de la Vallée d'Aspe. Et ces eaux torrentielles sont bien sûr propices au saumon.

La pêche y est donc fort ancienne : au barau d'abord, un engin de pêche sur poste fixe, en forme de longue poutre munie d'un tourniquet de bois, de pales et de filets, puis à la ligne ensuite.

Mais si en 1972, déjà, on considère comme appartenant au passé les courses-poursuites entre braconniers et gardes-pêche en raison de la raréfaction du saumon dans les eaux du torrent pyrénéen, où ils naissent et viennent se reproduire, la baisse constante de prises inquiète bien davantage aujourd'hui.

Et Lionel Armand, guide de pêche, de s'adresser en ces termes, début 2011, aux membres de l'AAPPMA du gave d'Oloron [2] : "On constate depuis deux ans une baisse du cheptel. Le millier de pêcheurs qui sillonnent le gave ont observé la raréfaction du saumon. Et les frayères, que l'AAPPMA surveille année après année, diminuent également. Mais cette tendance n'est pas directement liée à la pression de la pêche à la ligne ou à la qualité de l'eau du gave. C'est la surpêche en milieu marin et dans les estuaires qui est en cause... Avant 2009, on se plaignait des prélèvements des pêcheurs en estuaire. Depuis, la situation s'est aggravée : comme les ressources au large se tarissent, les chalutiers se sont rapprochés des côtes et prélèvent désormais des saumons et des truites".

Un constat qui permet d'affirmer que maintenant, on se trouve ici en zone rouge et qu'il y a juste assez de sujets pour assurer la reproduction de l'espèce. Il convient donc de limiter les prélèvements de façon drastique, bien loin des coutumes de pêche d'antan où l'on se régalait de tocans [3] : quatre prises par an et par pêcheur, tel est le verdict, une mesure nécessaire d'autant plus qu'il faut lutter contre d'autres fléaux, pollutions industrielles et domestiques, centrales électriques qui nuisent à la qualité des eaux [4].

En dépit des atteintes à ce patrimoine naturel exceptionnel, le territoire conserve d'autres atouts majeurs, moins connus. Terroir de transition, le pays d'Orthe se caractérise par une architecture rurale spécifique qui annonce déjà la silhouette caractéristique de la maison basque. Ce n'est donc pas par hasard que, un an après la création de la Commission régionale de l'Inventaire en Aquitaine, en 1967, le canton de Peyrehorade est choisi pour réaliser une opération pionnière d'inventaire topographique, avec l'ambition de traiter l'architecture et les objets mobiliers. [5]. Car, rayonnant non seulement sur le Béarn mais aussi sur les Chalosses et les pays mitoyens, l'"école d'Orthez" a diffusé pendant au moins deux siècles des meubles de très belle facture que l'on retrouve encore aujourd'hui, généralement transmis de génération en génération. D'où l'attachement de Monsieur Cazaux à son vaisselier sans doute d'origine béarnaise.

[1] Ce riche terroir baigné par l'Adour et les Gaves réunis, en aval de la confluence des gaves de Pau et d'Oloron, est marqué depuis longtemps par la domination de la famille d'Aspremont qui fonde une vicomté.

[2] AAPPMA : Association Agréée de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques. Cette association de pêche est aujourd'hui très préoccupée par le difficile repeuplement de saumon dans son cours d'eau.

[3] Mot gascon désignant de jeunes saumons qui n'ont pas encore frayé.

[4] 100 c'est grosso modo le nombre de saumons prélevés par le millier de pêcheurs à la ligne sur le gave d'Oloron en 2009 comme en 2010. Contre plus de 300 auparavant. Un témoin de la raréfaction du saumon dans les eaux du gave.

[5] Les résultats de cette enquête ont été publiés en 1973 dans les deux volumes de l'Inventaire topographique du canton de Peyrehorade.

En 2002, Jean-Claude Lasserre propose un retour sur ce terrain afin de dresser un état des lieux 30 ans après la première étude et de présenter les étapes de l'évolution de la méthodologie Inventaire. L'ensemble devait permettre de concevoir une démonstration pédagogique à l'intention des classes reçues au Centre d'Education au Patrimoine de l'abbaye d'Arthous à Hastingues. La publication d'un Itinéraire du patrimoine du Pays d'Orthe en 2003 a livré quelques conclusions du retour sur cette aire d'étude. La base de données Mérimée consacrée à l'architecture sur internet a été actualisée.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Musique)
Journaliste
Pour les uns le Béarn, pour les autres, les Landes, en vérité, le Pays d’Orthe échappe à toutes ces classifications. C’est un univers en soi, un moment du fleuve.
(Musique)
Journaliste
Sorde a toujours été là depuis la préhistoire. Elle dure encore semblable à ces vieux arbres, aux racines plongeant dans le fleuve.
(Musique)
Journaliste
Parmi les personnages que j’allais découvrir, d’abord des pêcheurs. L’un d’eux, André Lassalle, souvenir vivant de l’Epopée du Gave. Des retraités cultivant leur jardin, comme le ménage Tauzia qui partage son temps entre la greffe des rosiers et les collections de cartes postales.
(Silence)
Journaliste
Le maire, Monsieur Récalde, fils d’agriculteurs, toujours à vélo même pour se rendre à la mairie. L’aubergiste, Cazot, ancien boulanger, intarissable sur les histoires de braconnage qui firent la renommée de Sorde. Tous m’avaient dit d’aller voir Monsieur Martin le grand voyageur revenu au pays.
(Silence)
Journaliste
Cet ancien colonel de Chasseurs alpins, au garde-à-vous devant l’histoire ; un chef décrit la chronique de Sorde, l’œuvre de sa vie. Dans son bureau musée, véritable temple à son idole, l’empereur. A peine arrivé, il m’a emmené visiter Sorde. Voilà, nous sommes devant l’abbaye de Sorde.
Monsieur Martin
Exactement, vous avez devant vous le clocher qui a été détruit, puis reconstruit en 1600 et quelques.
Journaliste
Et ce portail ?
Monsieur Martin
Regardez, la pierre est rongée, elle a été brûlée quatre ou cinq fois. Vous avez là quelque chose d’authentique. On était ici au pays de batailles continuelles. C’était une ville fortifiée. Les remparts datent de 1290. C’était à la suite d’un édit anglais qui a décrété la transformation de Sorde en bastide. A ce moment-là, les abbés, ils possédaient tout Sorde.
Journaliste
Qu’est-ce que c’est que cette vieille maison là, avec cette voûte qui enjambe le chemin ?
Monsieur Martin
Ben, c’est l’hôpital de Sorde qui est situé sur le chemin de Compostelle. Nous sommes ici tout à fait à l’écart du pays. Et c’est là où on logeait les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils couchaient ici, et le lendemain ils repartaient. Il est probable que le pèlerinage de Compostelle a cessé bien avant 89. Les pèlerins arrivaient ici, le passeur arrivait et entassait dans sa petite galupe, une dizaine de passagers. Quand il avait chargé les 10 personnes, il en faisait remettre d’autres, qui s’entassaient. Et au milieu du fleuve, il n’hésitait pas, hop, il retournait la barque. Et généralement, ils n'en réchappaient pas.
Journaliste
Sorde n’est plus un repère de brigands ; et les descendants des bateliers maudits qui défrayaient les chroniques du Moyen-âge sont tendres comme du bon pain. Leurs réunions où l’on parle de pêche sont les plus pacifiques. Monsieur Récalde, quel effet cela vous faire vous, Maire de Sorde, d’être maire d’une ville qui est si riche en histoire ?
Monsieur Récalde
Que voulez-vous que je vous réponde là-dessus ? Je suis né à Sorde, et je suis très heureux d’y habiter. Et pour moi, aucun village ne vaut Sorde.
Journaliste
Monsieur Martin m’a raconté surtout l’histoire des objets et l’histoire des hommes. Vous êtes là sur un fleuve, le Gave d'Oloron, mais il y a aussi toute une histoire qui est liée à cette rivière. Vous n’alliez jamais à la pêche ?
Intervenant 1
Déjà, un peu oui, moi j’y suis allé avec mon grand-père, qui avait fait la guerre de 70. Mais vous voyez, c’est loin. Il m’amenait à la pêche aux tocans même.
Journaliste
Qu’est-ce que c’était la pêche aux tocans ?
Intervenant 1
Ben, on pêchait avec des…
Intervenant 2
C’est des saumons ?
Intervenant 1
Oui, c’est des saumons. On les pêchait parce qu’ils triaient à cette époque, à Sorde, les saumons. Il y avait quelques frayères.
Monsieur Récalde
J’ai vu des gosses de 4 à 5 ans avec une petite épuisette. Ils allaient pêcher dans les rigoles de la rue, les rigoles qui arrivent du coteau, dans lesquelles il y a aucun poisson. Mais l'idée y était…
Journaliste
Cela c’était les petits, mais les grands, où est-ce qu’ils allaient ?
Monsieur Récalde
Ah, les grands, ils allaient au Gave. Les grands, ils allaient au Gave. La surveillance à cette époque quand j’étais jeune, ce n’était pas terrible. C’est après que c’est devenu terrible. Il n’y avait pas répression.
Journaliste
Comment c’était ?
Monsieur Récalde
Comment vous expliquer ? Je ne peux pas vous raconter que j'ai été pris, puisque je suis allé à la pêche de l’âge de 17 ans à 55 ans sans jamais avoir eu un procès-verbal. Mais ces derniers temps, je n’y allais plus comme avant, j'y allais plutôt comme un amateur.
Journaliste
Il y en a qui se faisaient attraper tout de même.
Intervenant 3
Rarement.
Monsieur Récalde
Rarement, il y a toujours quelqu’un. Il y en a un particulièrement qui se faisait attraper souvent. Nous l’appelions Jules de Suisse, c’était le fils d’un ancien Suisse de Sorde. Le pauvre, il ne voyait pas, il ne pouvait pas courir, il était âgé. Il se faisait attraper à chaque instant. Il est parti 3 ou 4 fois en prison. Quand il avait 7 ou 8 procès-verbaux, il allait en prison. Et il revenait content pour le coup.
Journaliste
Dans votre auberge, vous avez dû en voir quand vous étiez gosse.
Intervenant 1
Oh là si, c'était un problème parce que les gardes-pêche prenaient leur pension ici. Ils ne se déplaçaient pas tous les soirs. Ils ne rentraient pas chez eux, mais il fallait faire la route à pied. Vous comprenez, ils n’avaient de véhicule, même pas de vélo. Alors, les braconniers venaient ici, et les gardes-pêche aussi. Et les braconniers, ils venaient, ils demandaient à ma grand-mère de cuire des tocans pour pouvoir les déguster. Mais où et comment ? Ben, cela se sentait le poisson quand on le cuit à l’huile. Alors, comment faire ? Alors, les gardes-pêche ils disent, ça sent le poisson. J’ai vécu des histoires comme cela, c’était plutôt marrant. Et il y a un garde-pêche, on leur laissait la maison ouverte la nuit. Vous savez, ils avaient le droit d’entrer et de sortir quand ils voulaient même la nuit. Un jour, il y en a un qui fouille les armoires. Ils trouvent tous les tocans dans une assiette, ils dressent un procès-verbal à mon père.
Journaliste
Et il n’y était pour rien ?
Intervenant 1
Mon père, on lui avait donné, il les avait mis dans une armoire. C’était pour les consommer, les poissons étaient morts ; mais avoir quand même la gentillesse de la famille et leur laisser les entrées libres dans la maison, ilsallaient prendre du vin au chai s'ils voulaient, à la barrique, et ils mangeaient et ils buvaient ce qu’ils voulaient. Puis, ils avaient dressé un procès-verbal à mon père.
Journaliste
L’histoire du Gave, c’est une longue suite d’injustices et de révoltes. Fleuve le plus poissonneux d’Europe, il devient vite le privilège du seigneur et de l’abbé. Du seigneur auquel le roi reconnaît le droit exclusif de pêche ; et de l’abbé à qui les pêcheurs doivent remettre tous saumons capturés durant les nuits saintes des Rameaux, de Pâques et de la Pentecôte. Le barau, sorte de moulin à poisson, est dû à l’ingéniosité des moines qui en parsèment le fleuve. C’est un filet tournant placé face au courant sur une fosse artificielle peu profonde, où le saumon vient se reposer. Enlevé par l’épuisette, il tombe dans un entonnoir de toile et se retrouve prisonnier dans une cage. Tous saumons qui passent par là n’y échappent pas.
Monsieur Récalde
Moi je me rappelle très bien de mon père. Je l’ai vu aller travailler au barau. Je l’ai vu aussi faire quelques gueuletons, et naturellement quand le patron ne le savait pas.
Journaliste
Et pour eux, ça avait toujours existé.
Monsieur Récalde
Pour eux, oui. Ca date de très très longtemps, le barau.
Journaliste
Le barau survivra à la révolution. Et ce n’est qu’en 1926 que des raisons électorales l’interdisent définitivement tant au propriétaire riverain qu’à l’administration qui en bénéficiait. Alors maintenant c'est devenu une pièce de musée, on la garde ici à la mairie, puis….
Monsieur Récalde
On la garde en souvenir si on peut dire.
Journaliste
La fin des baraux consacre la fin des privilèges de pêche. Mais la tradition du braconnage demeure pour devenir la grande aventure de Sorde.
(Bruit)
Journaliste
André Lassalle a été le témoin actif de cette aventure. Vous avez une bonne histoire de braconnage à me raconter ?
André Lassalle
Non, il faut dire que je n’ai jamais été braconnier, vous savez.
Journaliste
Personne n’a été braconnier à Sorde.
André Lassalle
Non, pas ça, non.
Journaliste
Qu’est-ce que vous pêchez là ?
André Lassalle
Je pêche le gardon, on l’appelait l’anguille, mais bon.
Journaliste
Vous pêchez le saumon ?
André Lassalle
Non, j’en ai pêché autrefois, maintenant c’est fini.
Journaliste
C’est une réserve là où vous êtes maintenant.
André Lassalle
Ça l’a été, mais je ne crois pas que ça soit encore, c’est fini, c’est terminé depuis le mois de janvier dernier.
Journaliste
Donc, qu’est-ce que c’est tous ces trous là sur la pancarte Réserve de pêche ?
André Lassalle
Ah ça, c’est des coups de carabine qui ont dû être tirés dessus, par dépit peut-être ou pour cible, je n’en sais rien.
Journaliste
C’est les marques de carabine ?
André Lassalle
Oui !
Journaliste
C’est votre fille qui est avec vous ?
André Lassalle
Oui !
Journaliste
Elle vous accompagne à la pêche ?
André Lassalle
Oui, elle aime la pêche.
Journaliste
Elle sait pêcher ?
Lassalle André
Oui, tout le monde ici à Sorde, pas d'histoires hein, même les petits gosses, tout le monde pêche, un morceau de fil, un hameçon, et ça y va.
Journaliste
On l’apprend au berceau.
Lassalle André
Ah ça, oui.
(Bruit)
Journaliste
Vous l’aidiez quand il allait….
Intervenante
Braconner ?
Journaliste
Oui !
Intervenante
Oui, j’aimais bien ça d’ailleurs.
Journaliste
C’était l’aventure.
Intervenante
Pour moi, oui.
Journaliste
Comment ça se passait ?
Intervenante
Voilà, le matin, on se levait d’abord 4 heures et demie, 5 heures souvent, le réveil sonnait. Alors, il nous arrivait de partir avec la barque d’aller tendre les cordeaux pour la pêche à l’anguille. Alors là, il fallait faire tout un montage avec les petits fils, le ver au bout, et puis on partait sur une berge. On accrochait les cordeaux. On mettait une pierre au bout pour que justement on retrouve l’endroit du départ. Et on allait à l’autre bord de la rive avec la barque. On faisait la même chose. On remettait une pierre pour que le lendemain, quand on allait relever les cordeaux, on retrouve exactement l’endroit.
Journaliste
Et les gardes-pêche, ils étaient cachés dans les forêts ?
Intervenante
Parfois, oui. Alors bien sûr pour ça, nous avions de petites astuces. Il nous arrivait de camoufler des fils avec un système d’alarme, un pistolet exactement. On camouflait bien ça avec des feuillages pour que dès que les gardes-pêche approchaient de nous, en passant sur le fil, ils déclenchent le système d’alarme. Puis, un gros boum partait. Alors, à ce moment-là, ben, on fichait tout à l’eau, puis on se sauvait.
Journaliste
Le braconnage à Sorde, ça a toujours été vraiment la tradition.
Lassalle André
Oui, de tout temps ici, bien sûr. Etant petit, je voyais déjà beaucoup qui l’ont fait. Vous voyez, [inaudible], et je parle même de 45 ans déjà ou davantage.
Journaliste
C’était presque finalement…, on devait le faire. Pour être un homme ici, il fallait qu’on le fasse.
Lassalle André
Il fallait le faire, c’est ça.
Journaliste
C’était l’initiation.
Lassalle André
Ah oui ! Autrefois, on était très nombreux. Et puis, c’est perdu, vous savez, maintenant c’est fini.
(Bruit)
Journaliste
A quoi vous pensez là ?
André Lassalle
Je pense, vous voyez, à cette histoire, ils se sont arrivés des faits divers quoi, question braconnage. Vous savez, ce n’est pas toujours rose comme on dit. Il nous est arrivé un jour, c’était en février 56, il a fait un hiver épouvantable. Il y avait moins 6 ou moins 12 tous les jours. Ce jour là je braconnais, je n’étais pas le seul, mais enfin, ce jour-là, ça aidait. Je partais un matin, j’étais avec un copain. Et puis, nous étions dans une barque. Nous arrivons au bord sur la berge pour décrocher la ficelle, et d’un seul coup [inaudible]. Puis, la torche et les gardes-pêche étaient là. Alors, sans demander notre compte vous savez, nous avons plongé la flotte, envoyer la barque où elle a pu quoi, retrouvée le lendemain, après. Puis, l’eau n’était pas tellement chaude, mais on ne l’a pas senti. Une fois, nous étions là-bas au barrage. Nous pêchions le tocan. Voilà que les gardes-pêche s’amènent, aussitôt, tout le monde à la flotte. Et le filet est abandonné sur l’herbe quoi, sur la berge. Les gardes-pêche s’amènent, le filet à bout de manche. Ils disaient, venez ici, vous allez vous noyer, espèces de…. Alors, ils ont essayé d’attraper les filets, non, ce n’était pas pour nous sauver, c’était pour nous foutre à la baille, mais il a vu clair le monsieur. Mais nous avions été heureux de le foutre à l'eau, croyez-moi, remarquez, on l'a enlevé, on l'a pas fait noyer, bien sûr.
Journaliste
Ces histoires se passaient avant la guerre. Mais comme partout ailleurs, le poisson disparaît, et avec lui, pêcheurs et gardes-pêche. Un des derniers gardes-pêche de la grande époque, Monsieur Bertrand, refait quotidiennement avec son chevalet de peintre, le pèlerinage du barrage.
(Bruit)
Journaliste
Dites-moi, le barrage que vous êtes en train de peindre là, vous l’avez surveillé plus d’une fois autrefois.
Monsieur Bertrand
De nombreuses fois, de très nombreuses fois.
Journaliste
Qu’est-ce qui s’y passait ?
Monsieur Bertrand
Oh, ce qui se passait, c’était assez connu, les braconniers de Sorde et ils étaient nombreux à l’époque où je suis arrivé moi. Il faut dire qu’il y a 30 ans de ça, plus de 30 ans, mon métier était peintre. Puis, du fait des événements de la guerre, d’avant-guerre même, de 34 jusqu’à la guerre, je ne vendais plus un tableau. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai pris un emploi qui s’est révélé être un emploi de garde-pêche. Je n’avais rien de spécial, je ne connaissais rien. Et ma foi, je n’en suis pas trop mécontent, parce que j’ai acquis une petite retraite modeste. Mais enfin, j’ai fait mon travail aussi correctement que j’ai pu, sans aucune sorte d’acrimonie. Mais certains braconniers du pays peuvent vous dire que j’étais toujours juste. Quand il y avait de l’exagération, je ne les loupais pas quand je pouvais les prendre. Ben, on ne les prenait pas toujours.
Journaliste
Vous en avez fait beaucoup ?
Monsieur Bertrand
Ben, entre Sorde et Bayonne, 150 peut-être.
Journaliste
En combien d’années ?
Monsieur Bertrand
Pendant 25 ans.
Journaliste
Ça fait un beau tableau de pêche ça.
Monsieur Bertrand
Il m’a été dit à l’inspection des eaux et forêts de Bayonne une fois, il m’a dit : mais vous faites du tapage vous. Non, je ne fais pas de tapage, je fais mon travail, il s'est trouvé que je suis passé à de nombreux endroits où il y en avait qui exagéraient un peu. Ben, j’ai fait mon travail, je les avais verbalisés, voilà. Mais je dois dire qu’à Sorde, ils m’ont donné du fil à retorde. Ils m’ont donné du fil à retorde en ce sens que c’était la rigolade à l’époque. J’ai vu jusqu’à 25 ou 30 braconniers masqués sur la digue. Ils se mettaient un bas de femme, une vieille capote militaire, un vieux vêtement quelconque. Ils arrivaient des îlots, comme celui-ci, autour ils partaient sans rien, puis, vas te faire foutre. Ensuite, ils accostaient à la digue où ils avaient l’habitude préalablement de planter un ou deux piquets entre les deux pavés avec un lasso. Ils lançaient une corde, et ils grimpaient sur la digue, parce que ça se passe toujours en crue, en plein courant. Et une fois là, ils connaissaient tellement la digue, ils connaissaient tous les trous. Mais non, nous étions là, vous voyez, voilà l’usine ici. Donc, nous ne pouvions pas aller sur la digue, ou alors ça aurait été vouloir se suicider. Puis d’ailleurs, on aurait voulu se bagarrer avec, qu'on serait tombés à l’eau l’un et l’autre. Alors, on s’abstenait, mais on les empêchait d’aller à la grille où il s'en prenait 20 fois ou 100 fois plus que plus loin. A la grille, tout était rassemblé, les tocans, les bécards, c’est le saumon de descente qui est amoindri et qui a frayé, etc. Alors, qu’est-ce qu’on faisait là ? Mais il m’est arrivé d’y passer des nuits entières. Et quand il y avait accalmie, couché sur le ciment dans l’usine. Une couverture et puis là, ce n’était pas toujours rigolo, il fallait le faire. Et moi qui n’avais pas l’âme d’un garde-pêche. Enfin, il a fallu le faire, je n’en suis pas déshonoré que je sache.
Journaliste
Et maintenant, vous êtes resté copain avec les anciens braconniers ?
Monsieur Bertrand
Pas avec tous, il y en a certains qui se sont conduits comme des salauds, moi jamais. A ma connaissance, jamais je n’ai fait une…. Vous avez ici à Sorde un nommé Lassalle par exemple, il reconnaît lui-même, vous le verrez peut-être. Non, il reconnaît qu’il a été braconnier. Ce n’est pas un déshonneur d’être braconnier, ce n’est pas un déshonneur d’être un garde-pêche.
Journaliste
Il est justement à côté de nous Monsieur Lassalle.
Monsieur Bertrand
Je vous demande pardon. Oh, Monsieur Lassalle, bonjour ! Si j’avais pu l’attraper, je ne l’aurais pas loupé, c’est de la franchise. Mais vous avez des personnalités dans la région.
Journaliste
Mais lui, qu’est-ce qu’il pense de vous ?
Monsieur Bertrand
Ah ça, j’ignore ce qu’il pense de moi. Et je ne veux même pas le savoir. Vous savez, c’est tellement formidable ce métier, nous avons toujours tort nous. Tout ce qui est gendarme, tout ce qui est pandore a tort. On dit grand et bête pour faire un gendarme, ce n’est pas toujours vrai.
Journaliste
Est-ce que vous avez pris des bains ensemble ?
André Lassalle
Non !
Monsieur Bertrand
Non, je n’en ai pris avec aucun, jamais. Il y en a qui m’ont menacé même de mort, et il y en a un, il sait qui je veux dire, ici à Sorde, qui m’a envoyé de nombreuses lettres qu’il a oublié de signer. Il est mort maintenant, celui qui s’est noyé en prenant son bain là.
Journaliste
L’auberge Cazot a été le saloon de ce Western du Gave. On y retrouve les anciens rêvant mélancoliquement à l’époque où ça sentait bon le tocan frit ; et où l’on jouait à cache-cache avec les gardes-pêche. Il y a beaucoup de braconniers qui ont monté cet escalier ?
Intervenant 1
Oh, il y en a eu, oui. Les braconniers, parce que du temps où la maison était fréquentée par les gardes-pêche et les braconniers. On faisait quelquefois manger du poisson braconné... Il y avait une salle également en haut où on recevait les clients. Alors, ils montaient l’escalier pour aller dans cette salle.
Journaliste
Ça vous rappelle des souvenirs aussi.
Intervenant 1
Oh oui, beaucoup de souvenirs. Parce que tout bébé, il fallait monter cet escalier. Il a toujours été à peu près entretenu glissant. Et il arrivait quelquefois qu’on trébuchait un petit peu, ça faisait mal l’escalier. Puis, c’est quand même une pièce. Il y a des connaisseurs qui ont regardé. Ils ont vu que c’était fait tout à fait avec des moyens pas primitifs ; puisque c’était quand même un tour qui tournait, pas avec un moteur électrique ni même un moteur à essence ; mais avec un mulet ou un âne qui faisait tourner le tour. Puis, il n’y a aucune balustre qui soit faite exactement comme l’autre. Il n’y en a pas deux de pareilles, exactement pareilles. C’est pour ça que ça a une valeur d’antiquité.
Journaliste
Et sentimentale.
Intervenant 1
Et sentimentale aussi.
Journaliste
Le grand meuble qui est dans votre salle à manger là, à quoi ça servait à l’origine ? Qu’est-ce qu’on mettait dedans ?
Intervenant 1
C’était un placard pour la vaisselle, pour mettre certains ustensiles de service de table en outre.
Journaliste
Est-ce que vous trouvez qu’il est beau ce meuble ?
Intervenant 1
Ah oui, il est beau le meuble. Bien sûr, il ne représente pas la somme même très importante que l’on m’offre pour le céder.
Journaliste
Combien ?
Intervenant 1
Ben, 4,5 millions et même 5 millions plutôt que de le voir partir ailleurs.
Journaliste
Mais alors, c’est que vous l’aimez si vous ne l’avez pas cédé.
Intervenant 1
Ah, je ne le cède pas, peut-être que quelqu’un le cédera après moi. Mais pour le moment, non, tant que vivrai, il reste là.