Du bas de laine à la gestion

01 janvier 1970
20m 29s
Réf. 00619

Notice

Résumé :

Reportage sur la gestion d'une exploitation agricole à Saint Sever dans les Landes. Rencontre avec trois exploitants.

Type de média :
Date de diffusion :
01 janvier 1970
Personnalité(s) :

Éclairage

Les années 70, dans les Landes et plus particulièrement en Chalosse dans le Sud-Adour, marquent la fin d'une première révolution agricole dont les points forts sont la culture intensive du maïs hybride, la mécanisation et la fertilisation des terres.

Les causes et les conséquences en sont nombreuses :

- une formation professionnelle acquise dans les centres publics ou privés d'enseignement agricole. L'obtention du Brevet d'Apprentissage Agricole donne droit à une subvention supplémentaire de la dotation d'installation J.A. (jeune agriculteur) qui facilite leur installation comme chef d'exploitation. Un jeune qui a suivi une formation initiale et continue maîtrise parfaitement les notions de revenu, de marge brute ou nette, de financement, d'amortissement...

- une action de vulgarisation dévolue à la Chambre d'Agriculture grâce aux GVA (2).

- l'implantation dans l'environnement agricole d'un réseau dense de Coopératives agricoles, SICA (3), de négociants en engrais et produits phytosanitaires, de dépôts de marques de machinisme agricole. Le nombre de conseillers agricoles, de techniciens, de représentants... qui démarchent le milieu agricole devient très important.

-parallèlement on assiste à l'agrandissement des exploitations agricoles favorisé par l'abandon du métier par beaucoup de jeunes « paysans » attirés par un appel de main d'oeuvre de l'industrie et des services.

- la SAU (4) moyenne des exploitations passe en quelques années de 15 à 30 ha.

-les défrichements accordés alors assez généreusement ont augmenté considérablement les superficies agricoles disponibles.

- le développement du Crédit Agricole qui dispose dans chaque canton d'un bureau.

- on pourrait ajouter que les mariages d'un agriculteur avec une jeune fille issue d'un autre milieu deviennent, sinon courant du moins en rupture avec la pratique de la génération précédente. On assiste aussi à une augmentation sensible du célibat des paysans.

Les années 60 et 70 dans les Landes sont marquées par une deuxième révolution agricole, celle du « gras ». La production de volailles grasses oies et canards prend un essor considérable La filière gras va faire en quelques années de notre département le premier en France avec plusieurs millions de canards gras gavés au maïs et la quasi-disparition de l'oie. Une ferme qui produisait pour le marché local 50 canards gras en 1950 est passée en 1980 à plusieurs milliers.

En 1970, la spécificité de l'agriculture de Chalosse par rapport à celle de la Grande lande (grandes exploitations céréalières) est de rester familiale. La femme aide son mari sur l'exploitation mais n'a pas encore de statut (associé, aide familial, salarié), les enfants travaillent avec leurs parents. Le salariat est très peu développé, la polyculture la règle et chaque ferme conserve sa parcelle de vigne pour la consommation familiale. Vont se faire jour très rapidement, des spécialisations sur deux ou trois spéculations : maïs, production laitière, gavage de volailles à foie gras. Vingt ans plus tard on assistera à des mutations profondes qui vont dessiner dans cette région des Landes, l'agriculture des années 2000.

(1) FDSEA : Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles, branche départementale de la F Nationale DSEA

(2) GVA Groupement de Vulgarisation Agricole devenu plus tard GDA, G de Développement A mis en place par la loi d'orientation agricole de Pisani en 1962

(3) Syndicat d'Intérêt Collectif Agricole

(4) Surface Agricole Utile

Maurice Gassie

Transcription

(Musique)
Journaliste
Pour aborder les problèmes de gestion, tels qu'ils se posent aujourd’hui à l’exploitant agricole, nous vous proposons de partir concrètement de trois exemples vécus. Trois exploitants du sud-ouest, à qui nous allons successivement rendre visite, et qui ont accepté de nous exposer leurs problèmes de gestion.
(Musique)
Journaliste
Christian Safi, de la région de Villeneuve-sur-Lot, dans le Lot et Garonne. Robert Boussière, de la région de Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées. Jean-Pierre Pardade, de la région de Saint-Sever dans les Landes.
(Musique)
Journaliste
Et nous commençons notre enquête en nous rendant chez Christian Safi dans le Lot et Garonne.
(Musique)
Journaliste
Monsieur Safi, pouvez-vous nous dire qui êtes-vous ?
Christian Safi
Eh bien, je m’appelle Christian Safi, j’ai 34 ans, je suis marié et père de deux enfants.
Journaliste
Vous êtes depuis combien de temps sur cette exploitation ?
Christian Safi
En qualité d’exploitant, je suis sur l’exploitation depuis 1960.
Journaliste
Et qu’est-ce que vous cultivez sur cette exploitation ?
Christian Safi
Actuellement, l’exploitation se compose de 37 hectares SAU, sur lesquels il y a environ 9 hectares et demi de plantation en grande partie [inaudible] ; une vingtaine d’hectares de céréales, maïs, blé, céréales secondaires, quelques hectares de culture fourragère pour la graine de semence, trèfle violet et du germe.
Journaliste
Et qu’y avait-il sur l’exploitation quand vous êtes arrivé ?
Christian Safi
En 1960, il devait y avoir à peu près 6 hectares et demi de pruniers. Il y avait du maïs, du blé, de l’orge bien sûr, et un troupeau de bovins de 18 ou 20 vaches à veaux.
Journaliste
Et quels ont été les choix importants que vous avez dû faire depuis que vous êtes exploitant ?
Christian Safi
Hé bien, en 1963, je crois, le troupeau de bovins a laissé place à 100 et quelques brebis mères, qui à leur tour ont disparu en 70. Actuellement, les locaux disponibles sont utilisés pendant la période d’hiver pour un élevage d’agneaux de batterie.
(Bruit)
Christian Safi
58, 60, 60 feuilles à la livre, c’est du calibre 60.
Journaliste
Si je comprends bien, la production de prunes est la plus importante de votre exploitation ?
Christian Safi
Effectivement, la polyculture est une production régionale très spécialisée et relativement intéressante. Je vous ai déjà dit que lorsque j’ai pris l’exploitation en charge, il y avait déjà 6 hectares et demi de pruniers. Par la suite, vu la rentabilité, j’ai planté encore 3 hectares.
Journaliste
Quelles sont les conditions essentielles de rentabilité de cette culture ?
Christian Safi
Ben, j’en vois surtout deux. Bien sûr, avoir un tonnage hectare le plus important possible, mais surtout obtenir un bon calibre. Et cela, grâce aux techniques culturales les mieux appropriées, et en particulier la taille bien étudiée.
Journaliste
La prune d’Agen telle qu’on le consomme est la prune d’Ente séchée, comment faites-vous ce séchage ?
Christian Safi
Hé bien, j’ai une installation individuelle de séchage. Voilà, je dispose de deux cellules comme celles-ci. C’est après un passage de 25 heures environ dans cette étuve à une température de 70° environ que la prune d’Ente devient pruneau.
Journaliste
Pourquoi avoir une installation individuelle chez vous, alors qu’il existe des centres collectifs dans la région ?
Christian Safi
Hé bien, j’estime que du fait de la taille de mon verger, je peux rentabiliser très valablement une installation individuelle. D’autre part, le plus proche centre de ces charges collectives se situe à au moins à 8 km, ce qui nécessiterait un investissement de transport pour la prune verte. J’estime personnellement que je sèche à un prix très compétitif.
(Bruit)
Journaliste
Vous avez dit que vous aviez 10 hectares de prunes, comptez-vous vous limiter à cette surface ?
Christian Safi
Oui, compte tenu des techniques actuelles, je pense que pour moi, 10 hectares constituent un plafond. Si vous voulez, j’ai deux problèmes. Premièrement, au moment de la récolte, je dois – du fait que je sèche individuellement – surveiller les étuves, et en même temps, être dans le verger pour surveiller aussi la récolte. D’autre part, pendant la période d’hiver, il faut tailler les arbres, ça demande pas mal de temps et de travail. Là aussi, 10 hectares me paraissent être un plafond.
(Musique)
Journaliste
Nous allons maintenant rejoindre Robert Boussière dans les Hautes-Pyrénées.
(Musique)
Journaliste
Monsieur Boussière, pouvez-vous vous présenter ?
Robert Boussière
Je suis agriculteur, j’ai 41 ans. Je suis marié, j’ai cinq enfants.
Journaliste
Vous êtes sur cette exploitation depuis combien de temps ?
Robert Boussière
Depuis 1960, je suis mutant du Tarn.
Journaliste
Et qu’est-ce que vous cultivez sur cette exploitation ?
Robert Boussière
Je cultive principalement du maïs, du seigle, de l’orge et de la prairie sur laquelle se trouve une vingtaine de bovins à l’embouche. J’ai également un élevage de 20 truies, ma femme s’occupe de l’élevage de canards pour la production du mulard.
Journaliste
Et qu’y avait-il sur l’exploitation quand vous êtes arrivé ?
Robert Boussière
Je suis arrivé en 1960, il y avait une dizaine de bovins avec la production du veau, et il y avait des truies, et un troupeau de brebis. D’ailleurs, je vais vous montrer sur plan comment se trouve mon exploitation et comment elle a évolué.
(Bruit)
Robert Boussière
Voici deux plans, ici l’exploitation en 1960 et ici l’exploitation aujourd’hui. Vous voyez que l’exploitation est groupée au point de vue propriété, mais assez dispersée au point de vue répartition des cultures, céréales ici, maïs, blé et orges. Ici, vous avez de la prairie naturelle et prairie temporaire, et ici des bois et des landes. Mon premier souci a été de faire reculer les landes et les bois. Ceci a été défriché, ceci aussi, et de regrouper les prairies autour des bâtiments d’exploitation. La céréale est groupée au début du maïs, maintenant de l’orge. Vous voyez l’évolution de l’exploitation. En 1964, j’ai loué 15 hectares de landes à 13 km d’ici, que j’exploite avec un agriculteur qui a ses 15 hectares ici. En 1970, j’exploite un fermage avec un autre agriculteur, c’est 60 hectares qui sont répartis en maïs et en seigle.
(Bruit)
Journaliste
Vous avez beaucoup d’activités ? Quelle est la répartition de votre travail au cours de la journée ?
Robert Boussière
Vous me voyez en train de préparer de l’aliment pour moudre pour les porcs. C’est le travail que je fais tous les jours en commençant ma journée. Ensuite, je passe deux heures par jour pour l’alimentation des truies et le nettoyage de la porcherie. En moyenne, la porcherie me prend quatre heures par jour. Le reste du temps est consacré aux cultures et à l’aménagement des bâtiments et entretiens des bâtiments.
Journaliste
N’y a-t-il pas des difficultés particulières au cours de l’année ?
Robert Boussière
Si, au printemps, au moment des labours et des préparations des terres pour le maïs, durant l’été, et en octobre et novembre pour le ramassage du maïs. Pour cela, j’emploie des stagiaires durant un mois au printemps, et durant quatre mois durant l’été.
(Bruit)
Journaliste
Monsieur Boussière, vous avez une famille nombreuse, je suppose que ceci a dû peser sur vos décisions de chef d’exploitation.
Robert Boussière
En effet, toutes les décisions, même concernant l’exploitation, nous les avons toujours prises à deux. Nous avons aussi essayé de donner un revenu correct à la famille. Comme conséquence, nous avons différé certains investissements.
Boussière
Oui, puisque nous avons décidé de construire la maison avant de bâtir la porcherie, malgré la désapprobation de notre entourage.
Robert Boussière
Comme autre conséquence, nous avons toujours eu une trésorerie difficile, et je pense que la rentabilité de l’exploitation en a été retardée, elle a été moins rapide.
Journaliste
Est-ce que ceci explique en partie votre désir d’accroissement des superficies ?
Robert Boussière
Oui un peu, puisque je pense que dans la culture, il y a beaucoup plus de sécurité que dans une production animale. Et une culture demande moins d’investissements, la trésorerie est plus rapide. Mais de toute façon, nous avons essayé de mettre l’exploitation au service de la famille.
(Musique)
Journaliste
Nous reprenons la route pour nous rendre chez le troisième exploitant, Jean-Pierre Pargade, dans les Landes.
(Musique)
Jean-Pierre Pargade
Jean-Pierre Pargade, je suis marié, j’ai 26 ans, j’ai deux enfants, je suis agriculteur. Depuis 62, l’année du décès de mon père, j’assume des responsabilités sur l’exploitation. À ce moment-là, l’exploitation montait à environ 13 hectares de SAU qui était partagé par moitié élevage, moitié, maïs grain. En 69, je me suis installé comme agriculteur, c’est-à-dire comme chef d’exploitation. L’augmentation de la surface a été de 13 à 40 hectares actuellement, ceci par étape bien entendu. Donc aujourd’hui, j’exploite 40 hectares dont 33 en fermage et 7 et demi en fair-valoir direct. Les productions sont en premier le maïs, qui occupe 33 hectares, dont deux destinés à l’acidage. Mais actuellement, je relance la production laitière qui devrait m’amener dans deux ans à avoir 30 bêtes et à occuper ainsi environ 15 hectares.
(Bruit)
Journaliste
Vous êtes un chef d’exploitation jeune, pourtant, depuis que vous êtes responsable de cette exploitation, la superficie est passée de 13 à 40 hectares. Est-ce que vous pourriez nous dire les grandes étapes de cette extension des surfaces ?
Jean-Pierre Pargade
Hé bien, l’extension s’est faite à la faveur d’un remembrement, d’un défrichement aussi de cette zone que vous voyez là ; qui était une zone boisée ; donc un rapport, mais par contre qui était d’excellent terrain pour la culture depuis d’ailleurs. Ce défrichement m’a apporté une parcelle de 6 hectares, en surface agricole utile plus un agrandissement d’une autre parcelle qui est passée de un à trois hectares, sur une augmentation de 8 hectares. Depuis, c’est-à-dire en 69, j’ai trouvé et acheté une parcelle de 7,5 hectares, toujours dans cette zone. Également, il restait sur l’exploitation où je suis, 8 hectares boisés ; qui n’étaient d’aucun rapport ni pour le propriétaire, ni pour moi-même. Et que le propriétaire c’est-à-dire le conseil d’administration qui gère ces exploitations a bien voulu me faire défricher, moyennant l’achat des bâtiments d’exploitation. Ce qui me faisait donc huit hectares de plus. Depuis, c’est-à-dire depuis 2 ans, j’ai loué diverses parcelles qui m’ont amené à 40 hectares.
Journaliste
Vous venez de nous dire qu’actuellement, vous consacriez à peu près 9 hectares à la production laitière, mais que vous comptiez à l’avenir consacrer une quinzaine d’hectares à l’élevage. Je suppose que cet accroissement de surface se fera au départ du maïs. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous comptez accroître proportionnellement cet élevage ?
Jean-Pierre Pargade
Pour moi, le choix a été relativement simple. Si je voulais maintenir mon revenu, le revenu actuel, sachant que les marges nettes à l’hectare du maïs diminuent chaque année ; de par l’accroissement des coûts de production, et plus ou moins la stagnation des prix et des rendements. Il me fallait ou augmenter mes surfaces chaque année, ce qui devient quand même assez difficile actuellement ; ou alors arriver à revaloriser cette matière qui est une matière première de façon à la vendre mieux et à ajouter une valeur à ce produit. Et c’est au travers de la production laitière que j’ai choisi d’essayer d’améliorer le revenu.
Journaliste
Parce que vous préférez faire une production laitière plutôt qu’une production de viande ?
Jean-Pierre Pargade
Oui, le choix là était relativement simple aussi, parce que pour faire de la viande, je n’avais absolument aucune garantie ; étant donné que rien n’existe comme garantie de prix à la commercialisation. Donc, je ne pouvais pas m’engager, ne sachant pas à l’avance combien j’allais vendre en produit. Ce qui était absolument indispensable, vu les investissements et les capitaux qu’il s’agit d’engager. Alors que pour la production laitière, il existait un outil de commercialisation qui est actuellement la SICA Aquitalait ; qui me garantissait un prix de production et un revenu que je pouvais déterminer à l’avance.
(Bruit)
Journaliste
Entre 62 et 69, il s’est passé 7 ans, pourquoi avoir autant attendu avant de vous spécialiser dans cette production laitière ?
Jean-Pierre Pargade
D’abord, il faut dire que le contexte économique n’est plus le même, et que d’autre part, au début, j’ai été amené à améliorer les structures d'exploitation ; c’est-à-dire à utiliser le financement d’abord pour l’achat de terre et ensuite pour l’équipement, et que cela ne me laissait pas la possibilité d’investir à nouveau pour une étable pour vache laitière. Donc, il m’a fallu attendre quelques années pour pouvoir lancer une étable vache laitière. D’ailleurs, il faut dire que le choix des spéculations est souvent lié aux possibilités de financement, et ceci est vrai en particulier pour bon nombre de jeunes agriculteurs.
(Musique)