Aujourd'hui un avenir pour Tartas

05 mars 1994
22m 26s
Réf. 00725

Notice

Résumé :

Magazine Questions de Région "Aujourd'hui un avenir pour Tartas": fermeture annoncée et retardée de l'usine de papier absorbant cellulose du pin, filière de Saint Gobain à Tartas dans les Landes. Toute une région s'inquiète. En effet, ce projet de fermeture menace plus de 1500 emplois. Discussion et débat en plateau, avec les invités : Guy Delmas secrétaire CGT, Bernard Ainciart secrétaire CFDT Landes, Roland Martin syndicat des sylviculteurs.

Date de diffusion :
05 mars 1994
Source :

Éclairage

Remontant à un projet datant de 1939 de l'industriel Bernard Navarre, d'origine tarusate, l'usine de la Société Landaise des Celluloses (fabrication d'une pâte au bisulfite pour l'élaboration de la viscose) est installée entre 1942 et 1945 à Tartas. Les employés de cette "papeterie" l'appellent alors la "Calaisienne" car cela correspond à un transfert vers les Landes de l'établissement de Calais détruit par les combats de 1940. On la nomme aussi "Avébène", acronyme élaboré d'après les premières lettres des prénoms des trois frères Navarre, André,Vincent et Bernard...

Au fil des années, le chef-lieu de canton, entre Chalosse et Marsan, à mi-chemin entre Dax et Mont-de-Marsan, se met à vivre largement de l'activité industrielle de la "Cellulose du Pin", puisque cette société (1) passe effectivement bel et bien dans ce groupe en 1960. L'unité de Tartas prend le virage d'une plus grande modernité en 1981-82 en se spécialisant dans la fabrication de la pâte "fluff" destinée aux produits d'hygiène (2).

Évidemment, lorsque en janvier 1994 est annoncé par Saint-Gobain la fin programmée du site, grand est le choc pour les quelque 350 employés, pour les acteurs très divers des activités induites (commerces, sous-traitants, services administratifs et scolaires...) et bien sûr pour les élus locaux. Cependant le vénérable et puissant groupe (3) veut réorienter ses activités vers les matériaux à fort contenu technologique (abrasifs, céramiques techniques ou plastiques). Après sa brève période de nationalisation (1982-1986), il tient à un retour à une croissance durable et rentable et cherche donc à céder son secteur papier-bois condamné, estime-t-on dans le conseil d'administration, par les pertes pour l'année 1993...

À travers le débat télévisé et les illustrations qui l'accompagnent, on repère aussi bien les enjeux locaux que les intérêts régionaux et même internationaux en lice.

En cette période, la mondialisation devient une réalité, non seulement sur le continent européen mais aussi du fait de la montée en puissance des pays émergents.

D'un côté, sévère est la concurrence nord-américaine et nordique (Suède, Finlande) sur le marché de la pâte à papier. On comprend ainsi que les représentants syndicaux évoquent les politiques monétaires (dévaluation suédoise dopant les exportations) ou le prix excessivement bas de la matière première, bois des forêts des États-Unis ou du Canada, voire même importations bradées de bois "soviétique" (4) par le port de Bilbao.

De l'autre, il est rappelé que des redéploiements sont opérés à l'échelle de la planète, vers les pays émergents d'Asie orientale qui deviennent à la fois producteurs et acheteurs de pâte à papier.

Dans le contexte de désindustrialisation qui se confirme en France et dans d'autres vieux pays industrialisés, l'évocation de la "filière bois" ne manque pas d'intérêt. Elle est introduite dans le débat par le secrétaire départemental de la CFDT, Bernard Anciart (1945-2012), comme par le représentant du syndicat des sylviculteurs, Roland Martin. Ce dernier est bien conscient que son activité – en amont du travail des papeteries ou de celui des scieries qui maillent le massif forestier des Landes de Gascogne – est incontournable mais déplore une certaine incompréhension, tant de la part des pouvoirs publics que de l'opinion. N'égratigne-t-il pas par exemple, au passage, les associations écologistes manifestant, à Tartas ou à Mont-de-Marsan, leur soutien aux salariés menacés ? Dans ces années en effet, les milieux dirigeants de la sylviculture aquitaine voient dans le dispositif règlementaire européen sur la biodiversité des forêts une pression sinon une manipulation, de la part des Scandinaves, à des fins protectionnistes de leur production (bois d'œuvre à croissance plus lente sous les cieux nordiques, production de pâte à papier). Néanmoins, conscients qu'à côté du bois d'œuvre (le "bois noble"), il y a les bois d'éclaircies et les déchets des scieries, les propriétaires forestiers savent pertinemment que la consolidation de la filière bois en Aquitaine est indispensable. Au même titre que les usines de Facture-Biganos et Mimizan, Tartas a une spécificité qu'il faut donc garder !

Heureux épilogue, de nouveaux actionnaires se présentent en 1994 après la compréhensible émotion de janvier-février. Les Canadiens de Cascades et Tembec rachètent l'usine, augmentent même sa capacité de production et optent pour la diversification. En 1999, Tembec devient ainsi actionnaire unique de Tartas connue désormais sous le nom de Tembec Tartas.

(1) La Cellulose du Pin est fondée en 1924 à Facture-Biganos (Gironde) par Saint-Gobain et les papeteries Navarre. À la même époque (1925) sont créées les Papeteries de Gascogne à Mimizan.

(2) La pâte fluff (adjectif anglais, signifiant "doux, laineux, léger, pelucheux") est une pâte de bois qui, à la différence des autres pâtes, mécaniques ou chimiques comme le papier kraft par exemple, n'est pas transformée en feuille. Cette matière première subit un défibrage avant d'être associée à d'autres matériaux (plastique, non-tissé, produits rétenteurs, élastiques, colles...) pour former un produit d'hygiène absorbant (couches pour bébés, protections pour personnes incontinentes, protections féminines externes).

(3) À l'origine, il y a certes la Manufacture de glaces et miroirs instituée en 1665 qui, entre 1678 et 1684, fournit la galerie des Glaces du château de Versailles et qui s'établit en 1693 en forêt de Saint-Gobain, en Picardie (département de l'Aisne). En fait, c'est surtout au tournant des années 1960 que Saint-Gobain devient un groupe diversifié, à forte croissance. Il est confronté déjà à des problèmes de choix stratégiques : réorganisation de la chimie française avec la filialisation de ses activités dans Péchiney-Saint-Gobain en 1962, célèbre tentative, fin 1968-début 1969, d'OPE (offre publique d'échanges [d'actions]) par le groupe verrier et agro-alimentaire BSN, ou fusion de 1970 entre Saint-Gobain et Pont-à-Mousson.

(4) Lapsus du représentant de la CFDT : l'URSS et son économie délabrée cessent d'exister fin 1991 ; mais les Russes vendent ce qu'ils peuvent, notamment leurs abondantes matières premières, hydrocarbures bien sûr et même bois de l'immense forêt sibérienne.

Jean-Jacques Fénié

Transcription

musique
(musique)
Olivier (de) Marliave
Un avenir pour Tartas, ce titre, vous l’avez noté, se situe entre l’affirmation et l’interrogation. Il s’agit, bien sûr, donc de l’usine de la Cellulose du Pin qui connaît de graves difficultés. On parle d’une fermeture éventuelle de cette unité de Saint-Gobain. Alors avec moi sur ce plateau, trois personnes, trois hommes qui connaissent bien le dossier à des titres divers. D’abord, Bernard Ainciart, Secrétaire Général de la CFDT des Landes, Guy Delmas, il est Secrétaire du Comité d’Entreprise CGT et Roland Martin qui est exploitant forestier, sylviculteur exactement et qui est là au titre du Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest. Je dois vous signaler que Jean-Christophe Morell qui est chargé de la communication dans le groupe Saint-Gobain pour les usines de la Cellulose du Pin devait participer à cette émission. Vous le savez peut-être, nous en avons parlé dans les journaux télévisés, il y a eu un report du plan de fermeture, du projet de fermeture de l’usine et la direction de la Cellulose a donc jugé qu’un de ses représentants n’avait pas sa place aujourd’hui dans cette émission. Alors, avant ce débat et pour que vous puissiez nous suivre en connaissance de cause, et bien, je vous rappelle ce rappel des faits concernant donc la situation à l’usine de Tartas.
Journaliste
Elle crache, elle fume, la fière usine cinquantenaire de Tartas, implantée en plein cœur du massif forestier Landais. Ici, la Cellulose du Pin, la Pinpette, comme ils l’appellent, fait partie du paysage. Ce qu’elle prend à la forêt, 700000 tonnes par an de bois d’éclaircie et de déchets de scierie, elle le remet entre les mains des hommes de ce pays. Ils sont 340 à travailler à la CP, filiale du Groupe Saint-Gobain, une unité de production de pâte fluff, cette pâte absorbante qui sert à fabriquer couches-culottes et articles d’hygiène. Elle crache, elle fume encore, mais pour combien de temps ? La consternation, suite à l’annonce du projet de fermeture, a fait place à la hargne.
bruit
(bruit)
Inconnu 1
On reste optimiste jusqu’au bout.
Inconnu 2
On est dans la rue pour prouver notre détermination à ce projet de fermeture, pour stopper ce projet de fermeture et forcer Saint-Gobain à développer cette usine au lieu de la fermer.
bruit
(bruit)
Journaliste
A Tartas, à Mont-de-Marsan, à Paris, ils ont clamé leur volonté de vivre et travailler au pays. Derrière eux, solidaires, des familles entières, des commerçants, des sous-traitants de la Cellulose, des élus, bref, tout un département qui refuse cette petite mort.
Henri Emmanuelli
On est venu nous faire un grand numéro à Bordeaux avec, je ne sais combien de ministres sur l’aménagement du territoire. Il me semble que le Gouvernement de la République est concerné par le développement économique et surtout la situation sociale. On fait parler d’eux.
Régine Ducamp
Toute la jeunesse va partir, jeunes familles, des maisons fermées, nos commerces vont en pâtir, la vie de la commune aussi.
Marcel Estivals
Nous avons un produit de taxe professionnelle émanant de la Cellulose du Pin qui équivaut à peu près à 80% de notre ensemble de taxes professionnelles. Et donc, nous avons fait des emprunts, comme toutes les communes, et que si nous n’avons pas ce produit espéré, nous serons dans des difficultés extrêmement importantes.
Journaliste
1500 emplois directs et induits menacés face aux 153 millions de francs de pertes financières pour 93 brandis par le Groupe Saint-Gobain. A Tartas demeure un fol espoir.
Olivier (de) Marliave
Oui, alors y a-t-il un avenir, y a-t-il un espoir ? Vous allez nous le dire dans un instant. D’un côté, on l’a vu, il y a le problème humain, dramatique. Et puis de l’autre, et bien ma foi, il y a la logique du libéralisme économique dans lequel nous vivons, qu’on le veuille ou non. Et les arguments de la direction sont très durs, écoutez leur porte-parole. Le porte-parole de la direction, Jean-Christophe Morell justement.
Jean-Christophe Morell
Du point de vue de l’industriel, tout a été fait pour essayer de sortir cette usine de son problème. Ça n’est plus aujourd’hui possible. Je crois qu’il y a un jour où il faut faire un constat et ce constat, d’un point de vue strictement industriel, a été fait. C’est une usine qui, en 1993, a perdu plus de 15 milliards de centimes. C’est une usine dont les pertes vont s’aggraver en 1994, voilà le constat.
Journaliste
Qu’est-ce que ça veut dire, tout a été fait ?
Jean-Christophe Morell
Tout a été fait, ça veut dire qu’on a fait des investissements, on a essayé de trouver des nouveaux produits, on a lancé une nouvelle gamme dite sans chlore, une gamme plus adaptée à ce que nous demandait la clientèle. Mais tout ceci ne suffit pas quand vous avez un prix de revient qui n’est pas compétitif par rapport aux concurrents. On a un prix de revient qui est entre 20 à 30% plus cher que celui de nos concurrents nord-américains ou scandinaves.
Olivier (de) Marliave
Alors y a-t-il des réponses ? Tout de suite, Guy Delmas, y a-t-il des réponses à ces arguments ?
Guy Delmas
Il y a beaucoup de réponses à tous les arguments développés par la Cellulose du Pin. Notamment, je prendrai le dernier sur le prix de revient non compétitif. Il faut savoir que les exemples pris par la Cellulose du Pin sont des exemples pris dans des situations très difficiles. Par contre, ce qu’on sait, c’est que vis-à-vis des scandinaves, eux bénéficient d’un avantage dû aux dévaluations qu’ils ont effectuées. Cet avantage va vite être gommé par l’inflation qui va monter dans ces pays-là. Et par rapport aux Etats-Unis, l’avantage de compétitivité soit disant des Etats-Unis est lié uniquement au prix du bois. C’est de l’ordre de 500 francs la tonne en moins, parce qu’il faut savoir que les producteurs américains, ce sont avant tout des forestiers. C’est-à-dire que leur premier débouché pour eux, c’est la construction, et la pâte arrive en second. Donc, on peut même se poser des questions sur la réalité du prix du bois aux Etats-Unis.
Olivier (de) Marliave
C’est-à-dire que vous mettez en doute donc ces arguments de la direction très, très directement. Bernard Ainciart, la CFDT des Landes, on le sait, se mobilise. Vous partagez ce point de vue avec un peu de recul peut-être. Mais lorsqu’il y a un produit que l’on dit dépassé, lorsqu’il y a une usine dont on dit qu’elle est insuffisante, lorsque les prix tombent, que peut-on faire ? Y a-t-il une viabilité économique ?
Bernard Ainciart
Je crois que au niveau du Comité d’Entreprise, un contrat argumentaire point par point a été développé. L’outil technique est performant et je crois que personne ne le conteste, même pas la direction. Deuxième aspect, le produit est performant et de plus, le produit, un nouveau produit étant mis en place, le HDP, qui est concurrentiel, plus que concurrentiel, il a de meilleures caractéristiques que les produits issus des pays scandinaves et il est à égalité avec des produits qui arrivent des Etats-Unis. Troisième point, un argument qui n’a jamais été développé par la direction et pour cause, qui veut tuer son chien dit qu’il a la rage. C’est que le marché doit se développer, il doit se développer de façon très importante dans les pays du Sud-Est asiatique, dans les pays de l’Est, dans le Mexique, dans l’Amérique Latine, et toutes ces choses-là ne sont pas développées. Alors économiquement, vous l’avez dit dans votre introduction, est-ce que c’est une logique de l’ultra libéralisme ou est-ce que c’est une logique économique ? Et la logique économique doit être au service des hommes.
Olivier (de) Marliave
Bien sûr, il n’en reste pas moins qu’il y a une compétition mondiale à ce niveau-là.
Bernard Ainciart
Oui, bien sûr, mais nous savons aussi...
Olivier (de) Marliave
Je ne suis pas l’avocat du diable mais je crois que tout le monde l’a constaté.
Bernard Ainciart
Mais nous savons aussi qu’au niveau de, j’allais dire, de la compétitivité, je veux dire financière, économique, les produits du papier fonctionnent par phénomènes cycliques.
Olivier (de) Marliave
Oui. Roland Martin, vous ne semblez pas d’accord avec ces arguments, pas entièrement du moins ? Alors vous, vous êtes donc très, très concerné parce que pour vous, c’est un débouché vital, l’usine de Tartas.
Roland Martin
Oui, je dirais même que nous sommes condamnés à l’optimisme, puisque j’interviens aujourd’hui en qualité de principal sinistré.
Olivier (de) Marliave
Vous ne vous situez en aucun cas dans une logique de fermeture ?
Roland Martin
Et bien écoutez, ce n’est pas nous qui gérons la Papeterie de Tartas. Il n’empêche quand même que les produits nécessaires à l’usine de Tartas, chez nous, ils sont programmés depuis vingt ans. Ça fait vingt ans que nous avons mis ces produits en fabrication, aujourd’hui, ils sont sur le marché.
Olivier (de) Marliave
Vous parlez des pins, naturellement.
Roland Martin
Nous parlons, naturellement, de la ressource et des bois de trituration, ce que nous appelons des bois d’industrie. Or, le principal souci de nos ministères, que ce soit l’industrie ou l’agriculture, qui sont nos ministères de tutelle, c’est que l’industrie ne manque pas d’approvisionnement. Or, ce contrat était largement rempli et la forêt de Gascogne n’est pas seulement un immense piège à palombes.
Olivier (de) Marliave
Mais alors, vous parlez de long terme. Moi, ce que je trouve un peu étonnant, quand même, c’est que tout d’un coup, on découvre ce problème économique à Tartas. Vous, en tant que sylviculteur, Syndicat des Sylviculteurs, vous en tant que salarié et Comité d’entreprise, vous en tant que Secrétaire Général d’une formation syndicale dans les Landes, aucun d’entre vous n’a eu d’éléments, personne n’a tiré la sonnette d’alarme depuis quelques temps ? Guy Delmas.
Guy Delmas
Si, nous avions au niveau du Comité d’Entreprise déjà, avant, 5 ou 6 jours, une semaine avant l’article de Sud-Ouest du 26 janvier, c’est une date importante, le 26 janvier. On avait tiré une sonnette d’alarme, plus en Comité d’Entreprise, on a démarré une procédure qu’on appelle Procédure d’alerte. C’est-à-dire qu’on s’est posé des questions parce qu’on sentait qu’il y avait un léger danger. Mais il faut être convaincu, il faut que tout le monde sache que jusqu’au 26 janvier, on n’a jamais reproché à Tartas de problème structurel. C’était uniquement un problème conjoncturel, un problème de prix. Et ce n’est que depuis le 26 janvier qu’on nous dit : Cette usine est dépassée, son procédé est dépassé. Tout ça est faux.
Olivier (de) Marliave
A aucun moment, ces arguments n’ont effleuré dans quelque discussion que ce soit ?
Guy Delmas
Jamais, mais que ce soit au niveau de la Cellulose du Pin à Tartas, au niveau de la Cellulose du Pin de la branche Cellulose du Pin, et même moi, je siège personnellement au Comité du Groupe à Saint-Gobain, même à ce niveau-là, jamais on n’a évoqué de problème structurel.
Olivier (de) Marliave
Roland Martin non plus, vous, dans vos documents en tant que Syndicat de Sylviculteurs, vous n’avez jamais été alerté sur les problèmes de Tartas à venir ?
Roland Martin
Nous savions que la capacité de production de Tartas qui est de 140 000 tonnes par an était nettement inférieure à celle des grands groupes américains. Mais c’est une production qui est à la taille de la France. Parce que n’oublions pas que l’industrie papetière est grosse consommatrice en eau, que pour faire une tonne de pâte, vous ne me démentirez pas, il faut 85 tonnes d’eau et que c’est une industrie qui est très polluante, entre guillemets. Dans le concert des gens qui défilent depuis quelques jours pour sauver Tartas, je retrouve quand même quelques personnes qui, à une certaine époque, posaient dans l’Expansion en disant : Tartas est la ville la plus polluée de France, il faut que cette papeterie disparaisse.
Olivier (de) Marliave
Des noms, des noms ? Qui tenaient ces arguments ?
Roland Martin
Et bien, moi j’ai vu des pêcheurs à la ligne, je vois Les Amis de la Terre, aujourd’hui, qui viennent au secours de Tartas. Ça me fait un petit peu penser au Syndicat des Bourreaux qui défilerait pour demander l’abolition de la peine de mort.
Olivier (de) Marliave
Oui, Guy Delmas ?
Guy Delmas
Sur la pollution, juste deux mots.
Olivier (de) Marliave
Guy Delmas et Bernard Ainciart.
Guy Delmas
Sur la pollution, la pollution était fortement diminuée à Tartas. Nous avons même obtenu des pouvoirs publics, du Ministère de l’Environnement, un brevet pour bonne gestion de l’environnement. Il faut savoir que côté centre de recherche à la Cellulose du Pin, il y a des études qui sont faites, il manque juste un financement. On est capable encore à Tartas de diviser par 5 la pollution. On est en avance de deux ans sur l’arrêté préfectoral qui dit qu’en 96, il ne devrait y avoir que tant de tonnes de pollution.
Olivier (de) Marliave
Oui mais enfin, ce n’est pas cela qui rend plus compétitif le site sur le marché international.
Guy Delmas
Sur le marché international, la comparaison, il faut la faire par rapport au scandinave. Tartas est aussi grand que le scandinave. Bien sûr, mais les américains sont plus grands, mais les américains ne font pas que du fluff. Ils peuvent aller dans un sens ou l’autre, pâte marchande ou pâte fluff.
Olivier (de) Marliave
Alors le fluff, entre parenthèses pour ceux qui nous écoutent, il faut rappeler que c’est le sous-produit du bois avec lequel on fait des produits d’hygiène et notamment des couches-culottes, et cetera. Un produit qui semble être dépassé, d’après ce que disent les spécialistes.
Guy Delmas
La stratégie de Tartas a toujours été une stratégie qu’on appelle de niche, c’est-à-dire de petits créneaux. On visait à Tartas la protection féminine, l’incontinence adulte et le service, et là, on nous a toujours dit que la taille de l’usine était parfaitement adaptée à cette stratégie.
Olivier (de) Marliave
Oui, Bernard Ainciart.
Bernard Ainciart
Juste pour confirmer, je crois que sur la dimension de l’unité, ben, vous regardez ce qui se passe dans les pays scandinaves, mais les unités sont de l’ordre de 140000, 150000 tonnes. Donc, le problème du niveau de l’unité est un faux débat, même si c’est vrai que avec une unité plus grande, des coûts fixes seraient plus faibles. Maintenant sur le procédé. Le procédé qui est utilisé, le Bisulfite, a aussi un certain nombre d’avantages. Il a un certain nombre de propriétés particulières qui font que ce type de procédé a un certain nombre de marchés bien spécifiques et que Tartas est la seule unité européenne qui est capable de produire ce produit-là. Donc, je crois que c’est un faux débat. Alors, c’est vrai que cette année, en 1993, le compte d’exploitation est en négatif. Il est en négatif, pourquoi ? Parce que effectivement, en même temps, il y a eu, j’allais dire, le dumping commercial des pays scandinaves, il y a eu aussi les phénomènes de dévaluation, et cetera. Mais quand on regarde sur les onze dernières années, le résultat est positif de près de 24 millions de francs par an. La marge nette d’autofinancement est de près de 70 millions de francs par an. Je veux dire par là, je crois que c’est un faux débat. Je crois que au-delà de ça, il y a eu un autre aspect, alors c’est clair. Pour notre part en tous les cas, le site doit être consolidé, il doit être adapté, il doit évoluer ; mais il doit évoluer dans un autre aspect qui est celui de la filière bois, parce qu’il y a un deuxième aspect...
Olivier (de) Marliave
La filière bois, j’aimerais que l’on prenne un peu de recul avec Roland Martin, à nouveau, la filière bois.
Bernard Ainciart
Il n’y aura pas, je voudrais quand même le dire de façon forte. On ne fera pas l’économie d’une réflexion plus globale sur la filière bois, pourquoi ? Les papeteries Tartas, 25% de la production, sont une pièce capitale dans la filière. Si Tartas saute, ça veut dire que l’ensemble de la filière est déséquilibré. Donc nous avons un certain nombre de propositions à faire, que nous souhaitons faire avant la fin de l’émission.
Olivier (de) Marliave
Bien, alors Roland Martin, justement, le Syndicat des Sylviculteurs a demandé à plusieurs reprises, je vous cite : La mise au point d’une politique nationale de la filière bois, forêt, bois, papier. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que vous n’avez pas été entendu par l’Etat qui aurait, dans ce cas-là, une part de responsabilité dans les difficultés actuelles.
Roland Martin
Vous savez, les pouvoirs publics et l’opinion ignorent totalement la forêt. On ne voit la forêt...
Olivier (de) Marliave
Sauf les investisseurs, peut-être ?
Roland Martin
Sauf les investisseurs. On ne voit la forêt que lorsqu’elle brûle ou lorsqu’une usine ferme. Or, nous avons manifesté à Nantes l’année dernière et à Bordeaux, il ne semble pas qu’on ait eu beaucoup d’échos à ce moment-là. En ce qui concerne la filière elle-même, il y a pourtant en Aquitaine des compétences impressionnantes, mais il reste encore trop de positions relevant de la rivalité. Nous sommes ressentis comme un modèle négatif actuellement parce qu’il y a un refus de s’engager sur la voie du partenariat. Et ce refus, c’est engager le massif sur le déclin. Or, il faut un véritable dialogue. Or, actuellement, je pense un peu, nous sommes dans l’état de la France en 1938 où la France était bien tranquille derrière sa ligne Maginot. Nous avons trois forteresses : Tartas, Facture et Mimizan. Et puis, une de ces forteresses, aujourd’hui, est attaquée, et puis on court se réfugier dans les autres. Or, la papeterie, c’est bien, mais ça n’est pas tout, il faut une grande industrie. Et c’est vrai que nous avons...
Olivier (de) Marliave
Si on prenait les choses dans l’ordre, imaginons le pire, demain Tartas ferme, que devenez-vous ? 700 000 tonnes de bois en moins, que devenez-vous, vous, producteurs du bois ?
Roland Martin
Et bien, c’est des débouchés qu’il va falloir rechercher éventuellement à l’exportation, et où va l’emploi dans tout ça ?
Bernard Ainciart
Parce que l’exploitation, je crois que c’est de l’ordre de 100 francs la tonne supplémentaire. Si on sort du massif, c’est un coût de transport supérieur. Donc le bois devient moins compétitif.
Guy Delmas
Et c’est économiquement, ça ne tient pas puisqu’on sait aujourd’hui que des apprentis sorciers font venir, ont fait venir du bois soviétique sur Bilbao à un prix qui est vraiment plus que compétitif ; puisque il est pratiquement au prix du bois sur pied sur les Landes. Donc, je veux dire par là, envisager, il est inenvisageable de pouvoir vendre du bois des Landes, il doit être valorisé, je veux dire, sur le massif. Et c’est pour ça que c’est impensable, comme cela a été souligné, qu’une papeterie comme ça disparaisse parce qu’elle déséquilibre la totalité de la filière. En fait, c’est une pièce capitale. On peut discuter économiquement, financièrement, on peut discuter comme on veut, c’est une pièce capitale quant au fonctionnement de la forêt. C’est pour ça que pour notre part, très officiellement dès le 8 février, le jour où effectivement la procédure a été engagée, on a saisi le Préfet des Landes et aussi le Préfet des régions pour lui demander de réunir l’ensemble des partenaires concernés par la filière bois. Certes, il est important qu’on ait une approche globale et qu’effectivement, Tartas soit mis en termes de valorisation, de consolidation et d’évolution, sur la filière. Et nous souhaitons que cette réunion ait lieu avant la fin du mois. Et très concrètement, si le Préfet des Landes ne réunit pas cette réunion-là, la CFDT prendra l’initiative de réunir l’ensemble de ces partenaires-là. Parce que nous, ce n’est pas parce que nous sommes en période électorale que nous devons être en vacances des services de l’Etat sur le terrain.
Olivier (de) Marliave
Absolument. J’aimerais qu’on revienne très concrètement à Tartas. Roland Martin, vous avez vécu en tant que professionnel du bois, la fermeture de Roquefort. On tient les parallèles aujourd’hui, quelles ont été les conséquences, il y a 17 ans, de la fermeture de Roquefort pour vous, fournisseurs de bois ?
Roland Martin
Il a fallu réaménager complètement le circuit d’approvisionnement. Mais à l’époque, le volant des usines utilisatrices était plus important qu’à présent. Mais on a assisté à des escalades au niveau de l’investissement. Et aujourd’hui, nous voyons un autre secteur vital pour la sylviculture ; puisque je rappelle quand même que les bois utilisés à Tartas étaient pour un tiers des rondins d’éclaircies, ce qui est nécessaire pour faire de la bonne sylviculture,
Olivier (de) Marliave
Pour la qualité des pins qui poussent plus longtemps, oui.
Roland Martin
Pour la qualité des pins qui vont jusqu’au sciage, c’est-à-dire jusqu’à la coupe rase, et pour les deux tiers restants, c’étaient des déchets de scierie. Or, on sait que le rendement du bois d’oeuvre dans notre forêt, c’est 50% et à 50% de produits nobles, il y a 50 % d’écorces de sciures et de déchets de scierie. Ceci représente 4% du chiffre d’affaires des industriels du bois. Et pour nous, le débouché en bois de trituration, c’est 30% en volume, c’est entre 5 et 8% en chiffre d’affaires.
Olivier (de) Marliave
Bien, Guy Delmas ?
Guy Delmas
Sur la forêt peut-être, juste un mot. Il faut savoir qu’il y a en gros, je crois que c’est 7 millions de mètres cube de bois exploités, mais sur une potentialité de la forêt qui est supérieure à 8 millions de mètres cube par an. Ce qui veut dire que la forêt est déjà un peu sous-exploitée. La forêt n’évolue pas au jour le jour. Il peut y avoir des rétentions, on ne fait pas l’éclaircie ou on ne fait pas la coupe rase. Mais ça pose problème après, disons, pour la gestion et l’évolution favorable de cette forêt cultivée.
Olivier (de) Marliave
A Tartas, quelle est l’ambiance ? On ne se situe bien évidemment pas, pour des raisons de stratégie syndicale et politique au sens large du terme dans une logique de fermeture. Il n’y a pas de résignation ?
Guy Delmas
On est conscients, on n’est pas des irréalistes. On sait qu’on a ce projet sur la tête. Le bras de fer, comme on l’a annoncé, il est engagé avec Saint-Gobain. Mais on est confiants parce que nos propositions sont réalistes. Saint-Gobain, dans sa précipitation, a même commis des erreurs. On a pu le constater puisque la Direction Départementale du Travail a cassé sa procédure. Saint-Gobain s’est précipité là, depuis le mois de janvier. Et du côté économique aussi, tous les arguments de Saint-Gobain vont être démontés par notre expert économique prochainement, lorsqu’il nous livrera les conclusions de son étude.
Olivier (de) Marliave
Alors, comment analysez-vous cette volonté de Saint-Gobain de fermer l’usine ? C’est un coup de poker financier ?
Guy Delmas
C’est une opération uniquement financière, c’est dans le cadre du redéploiement de Saint-Gobain. Saint-Gobain a déjà annoncé qu’il allait faire un cadeau aux actionnaires de 660 milliards de francs, les grands actionnaires de Saint-Gobain, c’est l’UAP, BNP, Compagnie Générale des Eaux, pour, de manière à se redéployer vers les pays de l’Est et vers l’Asie du Sud-Est. Ça c’est la stratégie de redéploiement d’une multinationale.
Olivier (de) Marliave
Bien, Roland Martin, les sylviculteurs vont se mobiliser. On ne vous a pas beaucoup entendu jusqu’à présent. Vous avez sans doute manifesté avec tout le monde, mais je veux dire que en tant que sylviculteurs et sur un problème vital comme celui-là, vous allez vous mobiliser davantage ?
Roland Martin
Mais nous avons des contacts déjà. Bon, on n’a pas l’habitude de voir beaucoup les sylviculteurs dans la rue. Et quand ils y vont, il faut vraiment que le motif soit grave. Mais une preuve que la filière ne fonctionne pas bien, c’est qu’une décision comme celle de la fermeture de Tartas n’a pas été prise en 48 heures. Or, il n’y a pas eu de concertation. Au moins, nous n’avons pas été invités à la concertation. Par ailleurs, je crois savoir que Monsieur le Président du Conseil Général des Landes avait demandé, et je m’en réjouis, à un moment donné, une étude sur les possibilités de l’économie du bois dans le département des Landes, dans le cabinet spécialisé [Jacquot Pouerry], Nous n’avons pas été tenus au courant. Ce n’est pas nous qui l’avons commandée naturellement. Et il appartient au Conseil Général des Landes de faire l’usage qu’il entend faire avec des résultats d’études.
Olivier (de) Marliave
C’était un projet de diversification de débouchés pour les sylviculteurs ?
Roland Martin
Et bien, je ne connaissais pas la demande qui a été faite à ce cabinet spécialisé, mais qui est un cabinet international, extrêmement sérieux, et je pense que les réponses ont été données. Il serait intéressant que tous les partenaires puissent avoir connaissance du résultat de cette étude, et éventuellement en débattre.
Olivier (de) Marliave
Bien, il y a un certain nombre de rendez-vous dans les jours à venir. La CFDT tient une conférence de presse importante lundi sur le problème de Tartas bien évidemment, du côté de l’usine elle-même ?
Guy Delmas
Du côté des élus du Comité d’Entreprise et avec le comité de soutien de la Mairie, nous allons convoquer par voie de presse tous les responsables d’organisations, de partis politiques, de syndicats, d’associations, à une réunion dans la salle de cinéma à Tartas le mercredi 9 mars, pardon, en vue de décider tous ensemble d’une action d’ampleur régionale.
Olivier (de) Marliave
Merci.