Le barrage de la Gioule

16 septembre 1986
02m
Réf. 00853

Notice

Résumé :
Le barrage de la Gioule dans les Landes en construction
Date de diffusion :
16 septembre 1986
Source :

Éclairage

Aux confins du Marsan et de l’Armagnac mais encore dans le Tursan, le petit bourg de Cazères 1 est baigné par l’Adour. Constituées de terroirs essentiellement agricoles, la commune et celles qui l’environnent dépendent grandement des ressources en eau. L’Adour est là mais connaît des étiages marqués qui ne permettent plus alors l’irrigation. Ici, la terre est lourde, faite d’argiles caillouteuses, riche certes, mais inféconde lorsqu’une sécheresse trop forte l’assoiffe. D’où la nécessité de prendre des mesures.

C’est Jacques Chaban-Delmas, président de la région Aquitaine, qui, en cette veille de l’attentat de la rue de Rennes 2, présente un projet phare pour ce secteur excentré du département. Ancien premier ministre au début de la présidence de Georges Pompidou, de 1969 à 1972, également président de l’Assemblée nationale à l'issue des élections législatives de cette année 1986 qui engendrent pour la première fois, dans l’histoire de la Ve République, une période dite de « cohabitation » entre un Président de la République et un Premier ministre de couleur politique opposée, l’homme cumule les mandats car il est aussi député-maire de Bordeaux. Autant dire que les dossiers, entre ses mains, avancent vite !

Il est vrai que, au milieu des années 1980, la chute du prix du pétrole, la diminution de celui des matières premières en général et la baisse continue du dollar modifient profondément l’environnement international de la France et les conditions de la croissance. Une reprise s’annonce avec les espoirs fondés sur une mondialisation dont on ne perçoit encore que les aspects positifs. Les gains des termes de l’échange, qui représentent 2,2 % du PIB marchand, procurent un revenu s’ajoutant à ceux de la croissance. Doubler l’enveloppe dédiée à l’irrigation ne semble donc pas poser problème…

Et ce type de dossier est justement prioritaire dans un contexte où ces pratiques nouvelles sont considérées comme une panacée. Modifier l’environnement, fragiliser les équilibres naturels par la réalisation de grands travaux hydrauliques ne rencontre alors guère d’opposition. L’agriculture intensive, toujours plus productiviste, a besoin de terres, a besoin d’eau. Le maïs, qui devient prédominant dans le bassin aquitain, impose un peu partout sa loi 3 ; le barrage de la Gioule ne fait qu’annoncer la réalisation d’autres ouvrages conçus dans le souci d’un rendement immédiat. Le concept de développement durable n’est pas encore dans les esprits et les précautions environnementales qui ont entouré la construction de l’autoroute A65 enjambant le petit ruisseau du Gioulet en aval de la retenue, inaugurée 24 ans plus tard, feraient sourire ceux qui admirent en cette belle journée de septembre, le chantier qui devrait les prémunir contre les aléas climatiques.

La SEPANSO, fondée en 1969, est impuissante4 ; la pression est trop forte face à Politique Agricole Commune (PAC) qui impose partout ses quotas5. Le petit ruisseau de Gioulet, au bord duquel « poussent les hièbles »6, est défiguré, comme le sera bien plus tard la zone humide du Testet, emplacement du futur barrage de Sivens, à Lisle-sur-Tarn, près de Gaillac7.

Mais en 1986, on ne meurt pas encore pour s’opposer à un barrage hydro-agricole et les maïsiculteurs, toujours en recherche de récoltes plus rentables pour payer - entre autres - l’approvisionnement en eau de leurs terres, n’ont cure des sages propos de Jacques Ellul : « La Terre est notre seul lieu. Regardez cette patrie, ce jardin fait pour l’homme, à sa mesure, et non pour sa démesure. Contemplez la plénitude de la campagne, la grandeur des monts, la majesté de l’océan et le mystère de la forêt »8.

Les chiffres alléchants promis pour 1987 ont beaucoup plus de sens, pour le moment…
 

[1] Du gascon casèras, « petites habitations ». Bastide fondée en 1314 à la suite d’un paréage entre l’abbé Vital de la Case Dieu et Marguerite de Foix.

[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_la_rue_de_Rennes

[3] http://www.landes.fr/files/cg40/entreprendre/dda40/18mais_grain.pdf

[4] Depuis 1969, la Société pour l’Etude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest est une association française de défense de l'environnement qui œuvre pour la sauvegarde du patrimoine naturel et de notre cadre de vie. Elle s’implique dans tous les domaines touchant à l’Environnement et à l’aménagement du territoire : agriculture, eau, forêt, énergie, transports, chasse, montagne, pêche, déchets, carrières, zones humides, etc.

[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Politique_agricole_commune

[6] Cet  hydronyme semble procéder du gascon gèule, « hièble, sorte de sureau ».

[7] http://www.notre-planete.info/actualites/4081-barrage-zone-humide-Sivens-Testet

[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Ellul

Bénédicte Boyrie-Fénié
Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
Bien qu’exceptionnelle, la sécheresse de cette année peut toujours se reproduire. Et l’on sait l’importance du manque à gagner pour les maïsiculteurs. C’est donc pour tenter d’assurer l’irrigation, quoi qu’il arrive, que ce projet a été décidé. Un projet qui se compose de trois éléments différents, bien que complémentaires. D’abord, un barrage, 75 hectares de surface, 3,5 millions de mètres cubes de capacité. Sa fonction sera double, assurer l’irrigation bien sûr, et réalimenter l’Adour en été, 500 000 mètres cubes sont prévus pour cela. Partant du barrage, 7,5 kilomètres de grosses canalisations qui alimenteront 5 ruisseaux. Ce sera le réseau d’irrigation proprement dit. Enfin, les agriculteurs eux-mêmes auront accès à cette eau de deux manières différentes. S’ils sont riverains d’un ruisseau, ils se serviront eux-mêmes en libre-service et payeront 300 francs par hectare et par an. S’ils sont éloignés, on leur apportera à domicile de l’eau sous pression, et cela leur coûtera 1 200 francs par hectare et par an.
Jacques Chaban Delmas
Nous voulons irriguer chaque année, non plus seulement, ce qui n'était déjà pas mal, 2 500 hectares par an, mais 5 000. Pour doubler la surface irriguée, il faut doubler les crédits. C’est la raison pour laquelle, dans le budget de 1987, qui sera voté dans six semaines et qui sera appliqué à partir du 1er janvier prochain ; nous avons porté les crédits d’hydraulique de 16 millions en 1986 à 32 millions en 1987.
Journaliste
Coût du projet, 30 millions de francs, financé à 50 % par la région Aquitaine et l’Etat, et à 36 % par les agriculteurs eux-mêmes. La retenue d’eau sera effective en juin 1987. Mais qu’on ne rêve pas trop, ce nouveau lac artificiel ne servira pas de zone de loisir. Les seules négociations actuellement en cours sont menées avec les fédérations de pêche.